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Un Dimanche Une Critique : Le Pirate

Avant l’été nous avions commencé une petite rétrospective en partenariat avec Wildside. Le distributeur de films en salles (en association avec Le Pacte) et éditeur de DVD et Blu-Ray fête ses dix ans tout comme nous. C’était l’occasion d’évoquer donc quelques titres de leur bien joli catalogue.

On continue ce dimanche après une pause estivale avec un film des Shaw Brothers. Et cette fois, pas de Shaolin ni de Ninja mais … un Pirate !
Le film est bien entendu disponible en DVD dans toutes les bonnes crémeries.

 

 

La légendaire boîte de production Shaw Bros, dont on vous parle de temps en temps, s’est parfois essayée au mélange des genres, sujet fascinant s’il en est, avec des résultats pour le moins atypiques et qui ont le mérite d’exister. On pense bien sûr à la coproduction inoubliable avec la Hammer dans le but de confectionner La Légende des 7 Vampires d’Or, qui est une petite pépite à ne pas manquer si vous en avez l’occasion (Van Helsing et Dracula aux côtés d’artistes martiaux dans une histoire de kung-fu et d’immortalité, ça ne se refuse pas).

Mais l’horreur ne fut pas la seule entreprise de synergie des genres, en atteste Le Pirate, qui comme son nom l’indique, se veut film de piraterie chinoise à l’aube du 19e siècle.

Un groupe de pirates menés par l’intrépide Pao-Chai voit son bateau subir une avarie et est forcé d’amarrer au port d’une ville dans laquelle les pirates n’ont pas bon vivre afin d’acheter du matériel de colmatage. Dans cette ville, un homme tyrannique tire les ficelles et exploite les pauvres gens dans le but de s’enrichir sur leur dos… des actes vils qui n’échapperont pas à la grandeur d’âme de notre héros.

Sur le principe, il s’agissait donc d’opposer les codes de deux genres, à savoir le film de pirates et le film de tradition Xia, qui même sans les sabres, est constitué de codes relativement immuables. Nous y reviendrons.

Mais évoquons d’abord ce qui saute aux yeux : Le Pirate bénéficie, il faut l’admettre, d’une production soignée, notamment en ce qui concerne les décors, les costumes et les accessoires, qui retranscrivent parfaitement l’époque et immergent le spectateur dans la diégèse du film. Il est cependant malencontreux d’identifier quelques petits soucis en matière de projets d’exécution, de production design, comme on aime l’appeler par son petit nom. En effet, le seul point noir de cette entreprise de reconstitution réside probablement dans la propreté, la perfection de conception du bateau pirate, qui ressemble bien trop à la frégate anglaise qu’il aborde en début de métrage.

Ceci étant, l’ensemble est assez élaboré pour suspendre notre incrédulité et se laisser entraîner. On nous présente donc plusieurs personnages clés : un héros issu de la piraterie, un tyran à la fourberie démesurée, un général de la branche maritime de l’armée chinoise, et même un sale pirate de plus perfides. De nombreux éléments hélas brossés grossièrement, qui ne dépassent pas les oppositions monolithiques et évacuent de fait toute possibilité de composition sur les ambigüités qui pourraient flouter les rapports entre personnages.

Certes, nous ne sommes peut-être pas là pour ça, et l’histoire, même si elle reste modeste, n’a aucun mal à multiplier les rebondissements et à renouveler son rythme régulièrement.

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Dans son approche du divertissement, Le Pirate tient la route et exécute quelques passages obligés en s’appliquant, témoignant d’un grand respect pour son public. Seulement voilà, au-delà de cette petite histoire, toute sympathique qu’elle soit, on sent un potentiel qui ne demande qu’à être exploité.

En effet, les pirates n’ont bizarrement pas grand-chose de pirates. Il est même dit au cours du film que les circonstances les ont forcés à le devenir. On touche là une toute autre approche de la piraterie, qui n’est plus vue ici comme un choix de vie ni même comme une plaisanterie (telle que souvent dépeinte dans les films occidentaux) mais bien comme une fatalité que les héros vont devoir dépasser. Cette absence des codes du film de pirates est d’autant plus dommageable que l’alliance des genres n’en ressort que plus imposée, plus superficielle.

Le déséquilibre en question trouve son contrepoids dans l’omniprésence, toute légitime, du code Xia dictant au héros de mettre ses talents au service du plus grand bien et d’harmoniser la justice sociale. Au final, on peut assez facilement rapprocher Pao-Chai de Robin des Bois. L’utilisation de la tradition Xia constitue d’ailleurs le cœur du récit, qui en fait son moteur, son carburant. Il est intéressant de remarquer qu’une fois que le héros a quitté son navire endommagé, toute l’histoire se déroule à terre, et tous les actes du protagoniste embrassent les règles instaurées par son héritage de fiction, délaissant complètement toute préoccupation de piraterie.

Ce classicisme que l’on retrouve assez vite est porté par une narration toute aussi conventionnelle… du moins jusqu’à son troisième acte, qui opère une étrange césure de ton, abandonnant la bienséance envahissante du film pour se permettre quelques écarts de violence inattendus. Malheureusement, ce climax devient quelque peu comique par moments, parfois de manière intentionnelle dans ses situations burlesques, parfois pas à cause de ses chorégraphies qui auraient méritées un peu plus de préparation.

Les dernières 15 minutes, quant à elles, paraissent forcées, plus superficielles que le reste du métrage, qui même s’il utilisait quelques éléments maladroitement intégré au récit, comme le pirate s’échappant de captivité, conservait une structure logique. Or l’épilogue se veut pour le moins indépendant, isolant deux personnages pour un combat au sommet étrangement monté par alternance de l’affrontement lui-même et d’inserts sur le paysage environnant. On se doute qu’une dimension poétique aurait dû en découler, et la séquence n’est pas dépourvue d’intérêt, mais la narration hachée ne l’aide pas à retenir toute l’attention d’un spectateur qui se voit imposer un second dénouement.

Au final, Le Pirate est un film bien moins hybride qu’il n’y paraît. Sa bonne facture de divertissement historique réinstaurant l’un de ses célèbres pirates dans un système de pensée plus uniformisé empêche peut-être une réelle entreprise d’exploration des genres, et se satisfaisant d’une étiquette de grande aventure. On se contentera donc d’une aventure assez académique à la fabrication globalement correcte, même si on se permettra une petite remarque sur le statisme de la réalisation lors des scènes d’action, et un découpage symptomatique des productions Shaw, à savoir pas toujours réaliste dans sa spatialisation. Mais que voulez-vous, on n’y résiste pas.

 

Le Pirate – produit en 1973
Réalisé par Chang Cheh, Wu Ma, Pao Hsueh-li
Avec Ti Lung, David Chiang, Tien Ching,Fan Mai-sheng, Yu Feng
Un groupe de pirates ayant subis un avarie lors d’une bataille navale accoste près d’une petite ville dirigée d’une main de fer par un tyran local. Très vite, ils se rendent compte de la misère de la population et décident de bouleverser l’ordre établi, au risque de braver les autorités…

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