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Un Dimanche, Une Critique : Le Chateau de l’Araignée
En 2012, pour fêter nos dix ans respectifs, nous avions plongé dans le catalogue de Wildside pour évoquer quelques uns des films proposé par la firme au chat qui miaule.
Il restait un dernier titre à évoquer disponible depuis 2008 en DVD, un film japonais sorti en 1957 et librement inspiré de Macbeth de Shakespeare.
Un Dimanche Une Critique est consacré au Château de l’Araignée.
Il s’agit pour moi de ma deuxième plongée dans l’univers du maître japonais. Après avoir découvert avec émerveillement le génial La Forteresse cachée, grande fresque d’aventure grand public du cinéaste nippon, je me suis donc penché sur une œuvre autrement plus sombre, moins accessible mais tout aussi jouissive.
Si le synopsis vous rappelle quelque chose, c’est tout à fait normal. Le Chateau de l’Araignée est ni plus ni moins une adaptation quasi littérale du Macbeth de Shakespeare dans le Japon féodal. À cette période le pays est en pleine guerre civile, une guerre de clans qui s’affrontent afin de prendre le pouvoir sur une ou plusieurs provinces. Les seigneurs de guerre mènent des batailles redoutables, et tout comme dans Macbeth, multiplient les complots et conspirations afin d’atteindre leurs objectifs. Un contexte politique en tout point identique à la situation décrite dans Macbeth. En 1986, Kurosawa expliquait à une journaliste de la BBC: “Lorsque j’ai lu Macbeth, j’ai trouvé ça très intéressant. Ça m’a fait penser à beaucoup de choses. Le Japon de la guerre civile et l’époque de Shakespeare se ressemblent beaucoup. Les personnages aussi. Donc prendre du Shakespeare et l’adapter à un contexte japonais n’était pas difficile.”
Ainsi, si Kurosawa adapte le contexte, les personnages et les place dans un japon féodal, la trame de l’œuvre du dramaturge britannique est respectée quasi à la lettre. Une adaptation relativement étonnante, qui reste au final extrêmement fidèle.
Le charismatique Toshiro Mifune (aussi présent dans La Forteresse Cachée et bien d’autres films de Kurosawa) campe donc ici le général Washizu, qui après avoir croisé le chemin d’une sorcière qui lui annonce son avenir (scène incroyablement belle et fantasmagorique), tue et complote pour arriver au pouvoir (en étant poussé par sa femme).
Kurosawa ose. Film autant réaliste que fantastique (dans l’intrigue comme dans l’esthétique), Le Château de L’Araignée est aussi un véritable hommage au théâtre Nô. Ainsi, outre la mise en scène des séquences en intérieur et leur jeu volontairement théâtral, le personnage de Lady Asaji en est la parfaite représentation. Le visage blanc, presque fantomatique, comme une sorte de masque physique qui représente aussi le masque qu’elle porte devant son mari, qu’elle manipule au gré de ses désirs quitte à sombrer dans la folie. Et Kurosawa tout au long du métrage joue avec cette folie : Washizu est-il fou ? Que représentent ses visions ? Une forêt peut elle réellement se déplacer physiquement ?
Après, on va pas se mentir, la première partie du long métrage m’a semblé terriblement ennuyeuse. A part la magnifique scène de la rencontre avec la sorcière dans la forêt, tous les dialogues sur les stratégies militaires et politiques ont été durs à appréhender. Le jeu volontairement théâtralisé m’a complètement sorti du film à ma première vision. C’est une fois le film terminé que j’ai pleinement saisi ce que voulait dire Kurosawa, et le rapport au théâtre m’a alors paru évident et logique.
Puis dès l’assassinat et l’ascension de Washizu, tout décolle. Jusqu’ou ira-t-il pour vivre la prophétie de la sorcière ? Sera-t-il maître du Chateau de l’Araignée ? Au prix de quels sacrifices ? Est ce qu’il récoltera ce qu’il a semé ? Quel est la part de fantasme, la part de surnaturel (scène fabuleuse de la forêt mouvante, d’une beauté hypnotique et dont le rendu laisse une impression étrange, entre incompréhension et fascination pour une action dont ignore la véracité) ?
Kurosawa enchaîne alors des séquences brillantes, toujours porté par la performance hallucinante de Toshiro Mifune, qui explore à merveille la folie et l’ambition de son personnage, jusqu’à un final d’une noirceur étonnante mais logique, magnifiquement mis en scène lors de la scène choc des archers. A ce sujet, il faut savoir que lors de cette séquence fabuleuse (au cours de laquelle les archers du général Washizu se retournent contre lui) a été effectuée sans aucun effet visuel. Les flèches n’ont pas été rajoutées en surimpression : de vrais archers ont été engagés pour tirer de vraies flèches. Kurosawa voulait renforcer le réalisme de la scène, et voulait que Toshiro Mifune ait vraiment l’air effrayé et acculé. “Dans la scène, on voit l’acteur fait de grands mouvements avec ses bras, apparemment pour écarter les flèches qui se sont fichées dans la paroi derrière lui. En réalité, ceci permettait aux archers de savoir dans quelle direction le comédien allait faire son prochain mouvement.” d’après Wikipédia. Et bien le résultat est impressionnant, et Kurosawa sait faire monter la tension bien comme il faut. Un final tout simplement brillant.
Difficile de ne pas parler de la mise en scène incroyable de Kurosawa, qui non seulement sait raconter des histoires, il montre ici une puissance formelle assez hallucinante, entre cadrages osés mais pertinents (en particulier lors de la scène finale), travelling déroutants et surtout des décors magnifiques. Le film respire la poussière, le brouillard, ce qui accentue le côté oppressant et met souvent le spectateur dans un sentiment de malaise.
Au final, Kurosawa se sert de Shakespeare et lui rend un vibrant hommage tout en apportant son approche visuelle, ses obsessions, la thématique de la folie et de l’ambition, la filiation au théâtre Nô, en jouant entre réalisme et fantastique, en parlant en sous-texte de l’utilisation de la nature. Et bien mine de rien c’est un sacré challenge, remporté haut la main ! Et s’il a fallu que je me force au début pour continuer (allez savoir pourquoi, la fatigue, l’alcool, la drogue ou toute autre raison obscure), le film dégage une puissance phénoménale et finit dans un feu d’artifice d’émotions contradictoires. On vit pas ça tous les jours.
Le Chateau de l’Araignée
Réalisé par Akira Kurosawa
Avec Toshirô Mifune, Chiaki Minoru, Isuzu Yamada
Dans le Japon du XVIème siècle, deux généraux, Taketoki Washizu et Yoshiaki Miki, sont perdus dans les brumes et la forêt au retour d’une bataille victorieuse. Ils rencontrent une sorcière qui leur prédit que Washizu deviendra commandant du fort septentrional et succédera à son seigneur Kuniharu Tsuzuki. Cependant, ce sera Yoshiteru, le fils de son ami Miki, qui régnera. Sous l’influence de sa femme Asaji, Washizu assassine le seigneur Tsuzuki, puis envoie ses hommes tuer Miki, mais son fils échappe à la mort.