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La Force est avec eux. A l’occasion de la sortie de Star Wars Visions saison 2, nous nous sommes entretenus avec trois réalisateurs de trois studios européens, trois personnalités que nous avions déjà eu la chance de croiser par le passé.
Julien Chheng et le studio français La Cachette ont réalisé The Spy Dancer, une histoire d’espionnage rappelant Mata-Hari. Bien que le court mette en scène la Rébellion et l’Empire, l’inspiration de ce très beau court, dans le style du studio désormais bien connu, vient naturellement des Guerres Mondiales et des mouvements européens de résistance.
Pour sa première réalisation, le producteur et désormais metteur en scène Paul Young a choisi de raconter avec ses équipes de Cartoon Saloon un « conte irlandais dans une galaxie lointaine », inspirée notamment de jeunes enfants cherchant un semblant de liberté après la grande famine qui a frappé l’Irlande. Là aussi, vous serez en terrain connu si vous aimez le travail du studio : la narration est carrée autant que les décors sont superbes. Et l’émotion est au rendez-vous.
Enfin, Rodrigo Blaas, réalisateur des meilleurs épisodes de la série Trollhunters est désormais installé en Espagne où il a fondé le studio El Guiri. Pour l’occasion, il s’est intéressé à l’univers des Sith dans le court métrage le plus fou esthétiquement. Une bombe visuelle.
Nous leur avons demandé comment s’est mis en place leur projet avec Lucasfilm, comment la firme les a aidé tout en leur laissant leur liberté créative. On a aussi, forcément, parlé musique, design ou encore de leur passion pour Star Wars – deux mots qu’ils peuvent désormais tous indiquer sur leur CV.
Quelle était votre relation à Star Wars avant de vous lancer dans Visions ?
Paul Young : comme beaucoup de gens de ma génération, j’ai une longue relation avec Star Wars. Je les ai découvert à la maison et je crois avoir acheté les jouets avant de voir les films. C’était une révélation. J’ai adoré que les films originaux nous propulsent dans un univers déjà construit. En terme de narration, c’est super intéressant.
Julien Chheng : j’aime l’univers Star Wars au sens large, sans pour autant avoir vu les originaux étant jeune. Je suis plus de la génération Prélogie. Et comme beaucoup, je suis resté fan de l’univers grâce aux nouveaux films et séries.
Je ne suis pas un spécialiste hardcore mais il y avait tout ce qu’il faut dans l’équipe de La Cachette.
Rodrigo Blaas : j’ai eu la chance de voir les Star Wars originaux au cinéma. C’était une de mes premières expériences sur grand écran. J’y suis retourné avec Rogue One en particulier, qui m’a vraiment intéressé pour ses connexions avec les premiers films. Et puis Andor aussi.
Votre Star Wars préféré ?
Julien Chheng : Rogue One, pour le coté très terre à terre de l’histoire, pour les différentes facettes de la Rébellion.
Paul Young : L’Empire Contre-Attaque.
Rodrigo Blaas : c’est une question compliquée mais je vais répondre L’Empire Contre-Attaque.
Comment s’est passée la mise en relation avec Lucasfilm ? Le téléphone a sonné au studio et c’était Kathleen Kennedy ?
Julien Chheng : c’était incroyable. J’étais sur la fin d’Ernest et Célestine 2. On a reçu un mail des producteurs. Nous nous étions jeté comme des morts de faim sur la première saison, en bon gros fans d’animation japonaise. On aimait beaucoup l’ampleur et la diversité des épisodes. C’était à la fois un grand honneur et une obligation de le faire, même si au moment de la proposition le studio était bien occupé entre les deux séries de Genndy Tartakovsky [Primal et Unicorn Warriors Eternal] et la fin du Voyage en Charabie.
On a proposé plusieurs pitchs, sans savoir si on allait être sélectionné ni qui étaient les autres studios. Ils ont choisi l’histoire la moins canon.
Paul Young : Tomm Moore Nora Twomey, avec qui j’ai fondé Cartoon Saloon, m’ont encouragé à passer à la réalisation. Ca fait désormais vingt ans que je suis producteur. Et alors que je songeais à un projet de science-fiction, Jacqui Lopez de Lucasfilm nous a appelé pour proposer Star Wars.
Rodrigo Blaas : Jacqui Lopez suivait mon travail, sur Trollhunters entre autre. Elle m’a donc appelé. J’ai commencé à songer à des idées. En tant qu’animateur, j’adore l’aspect visuel des Star Wars, les designs, l’aspect industriel… J’étais heureux de m’y plonger, comment je designerai un sabre, un vaisseau ou un droïde.
Quels étaient les autres projets pitchés ?
Julien Chheng : les deux autres étaient une adaptation de l’histoire de Jeanne d’Arc en version Star Wars, une jeune fille qui entend la Force et est prise pour une sorcière. On avait aussi imaginé une histoire autour d’un droïde sensible à la Force, que Lucasfilm a refusé net. Un droïde ne peut pas être sensible à la Force. Et moi j’ai pitché cette histoire de danseuse de cabaret, infiltrée pour le compte de la Rebellion.
Paul Young : on a pitché ce qui est devenu le court, et une autre idée de Will Collins. Il est parti sur une histoire basée sur la tombe de la Reine Maeve issue du folklore irlandais. Il y aurait eu deux sœurs, dont l’une aurait été enfermée dans la tombe. En Irlande, les gens ajoutent des pierres sur ce cairn, qui existe vraiment, pour veiller à ce que la reine reste dans le sol.
Rodrigo Blaas : je n’en ai pitché qu’un. J’avais une idée très précise de ce que je voulais faire. En plus du script, j’ai fourni des idées visuelles. Et j’ai joué cette unique carte, en sachant que cette chance ne reviendrait pas. Je voulais être original et respectueux à la fois et je pense que ça a fonctionné.
Avez-vous reçu un guide avec des règles à suivre par rapport à l’univers ?
Julien Chheng : ils nous ont laissé carte blanche sur le concept, sur l’histoire. Ils voulaient juste que, si possible, il y ait une sensibilité française. On a donc exploré ce qui était remarquable et adaptable dans l’Histoire de France et on a trouvé cette histoire avec un personnage inspiré de Mata-Hari ou Joséphine Baker.
Paul Young : la seule règle était de ne pas utiliser de personnages du canon principal pour ne pas complexifier la chronologie. Au delà, on a pu faire tout ce qu’on voulait. Ils nous ont fourni une bible avec des designs et des idées mais on n’a pas voulu s’en servir. Leur liberté nous permettait de faire ce qu’on voulait.
Rodrigo Blaas : Lucasfilm nous a laissé faire ce qu’on voulait. Ca peut être un challenge d’avoir trop de libertés. Mais ils nous ont soutenu, jusque dans l’ouverture d’un studio dédié pour obtenir le look de Sith.
Avez-vous eu accès à des aides techniques comme les sons caractéristiques ou les designs des vaisseaux ?
Julien Chheng : on pouvait faire ce qu’on voulait mais si on avait une demande spécifique, on avait tout à disposition, y compris les sons. Pour les bruitages, on a eu des sons watermarkés pour pouvoir travailler avec dès les animatiques. La seule contrainte qu’on a eu, c’est un instrumentiste qu’on a voulu placer dans le cabaret. Ils ont refusé parce qu’il était utilisé ailleurs. Et je l’ai vu dans Andor.
Paul Young : le travail sur le son a été l’une de mes parties favorites. On est allé au Skywalker Ranch pour le mixage final. Avant cela, on avait déjà échangé parce que je voulais que les speeders ressemblent à des tracteurs irlandais, y compris pour le son. Et aussi parce que je voulais qu’on entende des bécassines dans le fond, qui sont des oiseaux typiquement irlandais.
Quelles ont été les sources d’inspiration ?
Paul Young : Lucasfilm nous a encouragé à piocher dans notre culture. On pouvait même mettre des accents irlandais dans un Star Wars ! On s’est inspiré des ateliers où vivaient des enfants au début du siècle, avec des héros qui cherchent leur liberté. Et puis Star Wars s’est déjà inspiré de l’Irlande, Luke trouve refuge sur l’île de Skellig Michael, dans le Kerry. En vacances là-bas, j’y ai trouvé l’inspiration pour la grotte en me promenant sur les falaises. On a ajouté à tout ça un peu d’iconographie catholique.
C’est le Kerry dans une galaxie très très lointaine !
Rodrigo Blaas : je voulais faire quelque chose qui s’inspire de notre propre ressenti de la Force. C’est un concept très primal. Je me suis demandé, si on pouvait contrôler les choses avec la Force, que ferait-on avec ? Et que ferait un artiste ou un animateur ? L’idée de départ, l’inspiration, c’est ça. Le pinceau de l’artiste.
Rodrigo, « Sith » est intéressant parce qu’il parle de création mais vous avez presque créé un studio pour le faire…
Rodrigo Blaas : je dois remercier Lucasfilm de nous avoir permis de faire ça. On a du tout créer, en plus pendant le Covid à distance. A cause du look si spécifique, on a du tout développer, tout imaginer. Il y a effectivement une connexion entre l’histoire et le studio.
Comment s’est passé la production ?
Julien Chheng : il y a eu un premier temps de six mois pour développer un pitch, le faire valider. Puis creuser les dialogues et les personnages jusqu’à avoir un script. J’ai travaillé sur l’écriture avec Gabrielle d’Andrimont. Puis une équipe a travaillé pendant trois-quatre mois sur le design pendant que le storyboard se mettait en place. La prod totale a duré un an, alors qu’on finissait nos autres gros projets. L’animation a été rapide, 15-20 personnes pour vingt minutes ça va vite.
Rodrigo Blaas : c’était un gros challenge. Mais l’équipe était prête. On a eu quelques soucis mais l’expérience de l’équipe du studio, qui avait un bon passif, nous a permis de bien avancer. Les étoiles étaient alignées.
Le style La Cachette collait vachement avec l’univers Star Wars
Julien Chheng : on ne voulait pas se répéter non plus. On se rejoint beaucoup sur l’amour de la ligne claire, sur un dessin très énergique et sensible. On a pris ce qu’on savait faire et on l’a poussé, avec un trait qui bave encore plus, proche du pinceau. Et l’histoire a imposé un style un peu plus réaliste, moins cartoon que d’habitude.
Julien, vous avez parlé du projet à Genny Tartakovsky ?
Julien Chheng : la confidentialité nous l’a interdit. Mais on en a eu très envie, d’autant qu’on l’a croisé au Skywalker Ranch à San Francisco où nous sommes allés faire la post-production.
On lui a parlé depuis la sortie et il nous félicité. Nous on doit beaucoup à Genndy.
Paul, c’est votre première réalisation. C’était un challenge pour vous ?
Paul Young : j’ai eu quelques moments d’anxiété. Mais j’ai été aidé par une formidable équipe qui avait déjà travaillé sur nos films. Almu Redondo, directrice artistique sur le court, a fait un travail de dingue.
Je me rappelle d’un moment en particulier : on s’est retrouvé coincés par un problème et tout le monde s’est retourné vers moi, le réalisateur. Mais je n’avais pas plus d’idées qu’eux ! On a fini par trouver tous ensemble.
Vous avez été aidé par Tomm Moore ou Nora Twomey ?
Paul Young : je partage tout avec eux. Tomm a été d’une grande aide sur une scène en particulier. Il est fort en storyboard et pour visualiser les choses dont on a besoin. Nora, elle, a aidé à l’histoire.
La musique est une pièce essentielle dans Star Wars. Comment vous avez travaillé la musique ?
Rodrigo Blaas : j’ai travaillé avec Dan Levy. J’ai adoré son travail sur J’ai Perdu Mon Corps. On s’est posé une question essentielle : comment décrire des couleurs avec de la musique ? Je voulais que la musique remplisse les blancs que l’animation ou les dialogues ne pouvaient apporter. Dan a fait un travail impeccable, quelque chose d’innovant quand il s’agissait de mettre en musique la peinture mais aussi quelque chose de plus classique pour les combats au sabre. Il a fait le boulot en amont de la production et on a monté sa musique sur le court.
Paul Young : Leo Pearson a fait un travail incroyable. On a d’abord travaillé sur le thème de l’héroïne puis sur celui de la « banshee » avec une chanteuse remarquable, Siofra Ni Chasaide. La musique fonctionne très bien, comme un paysage sonore. D’ailleurs quand le vaisseau arrive à la fin, les bruitages et la musique se mélangent.
Julien Chheng : Avec Olivier Derivière, on l’a travaillé comme pour un long-métrage. On lui a envoyé un montage avec des maquettes musicales issues de ses précédentes productions. Mais lui a voulu travaillé sur une maquette sans image, uniquement pour s’inspirer des images. Moi j’avais une idée de la progression musicale et lui aussi donc ça a bien matché.
A titre personnel, qu’est ce que ça fait de pouvoir ajouter « Star Wars » sur son CV ?
Julien Chheng : je suis très honoré d’être avec des réalisateurs que j’admire et qui m’ont inspiré comme Aardman, Cartoon Saloon, le studio Mir. Même en termes de création de studio, ils nous ont inspiré. Nous sommes chanceux d’être les seuls représentants français. C’est un peu comme l’Eurovision, on est fiers de représenter la France.
Paul Young : je suis très fier de ça, et du studio en général. On a fait quelques films qui ont bien fonctionné. Et puis faire un Star Wars braque les projecteurs sur le studio. Lucasfilm nous permet de sortir dans la lumière. Ca nous permet d’être vu, dans le monde de l’animation, comme un medium et pas comme un genre.
Rodrigo Blaas : c’est super agréable maintenant que les gens voient le résultat. Je suis ravi qu’on ait réussi à faire une lettre d’amour à Star Wars tout en repoussant les limites du medium.
Quels sont les projets de vos studios ?
Rodrigo Blaas : c’est un studio encore tout jeune. On réfléchit à de nouvelles choses où on pourrait aussi repousser les limites. Et puis j’ai le film Ozi The Voice of the Forest que j’ai produit et qui sera projeté au Festival d’Annecy.
Julien Chheng : on a terminé Unicorn Warriors Eternal. On va donc se lancer dans la production de projets personnels. D’abord la série d’Ulysse, le Collège Noir, qui devrait sortir d’ici de la fin de l’année. Il y a aussi le projet d’Oussama Bouacheria sur un facteur en banlieue parisienne, plus ado-adulte dans la narration. Et moi je développe un projet qui s’appelle pour le moment Mu-yi, qui se déroule en Chine.
Paul Young : je réfléchis à un long métrage. Mais ça prend du temps. On en reparle dans quelques années.
Sinon, on travaille sur la préproduction du film de Louise Bagnall, Julian, d’après le livre « Julian est une Sirène » et on termine le film dérivé de la série Puffin Rock qui sortira cet été en salles en Irlande. Pour des jeunes, ça pourrait être une bonne première expérience de cinéma.
Remerciements infinis à Rodrigo Blaas, Julien Chheng et Paul Young ainsi qu’aux équipes de El Guiri, La Cachette, Cartoon Saloon et Lucasfilm.