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Star Trek : Nouvelles vies, vieux amis, quelle civilisation ?

A l’occasion de la sortie mercredi prochain de Star Trek Into Darkness, nous avons voulu dépasser le cadre du film de J.J. Abrams pour évoquer l’univers Star Trek dans sa globalité à travers plusieurs thèmes.

Arkaron a évoqué les origines de la série, son ancrage dans l’histoire américaine, son coté avant-gardiste, ainsi que les films et les séries qui ont suivi la première.

On arrive donc tout naturellement à l’avant-dernière étape : le reboot, ou presque, avec le Star Trek de J.J Abrams sorti en 2009…

Nouvelles vies, vieux amis… quelle civilisation ?

Toutes les marques ayant traversé les décennies ont dû, à un moment ou un autre, renouveler complètement leur image sans aliéner le marché cible en devenant totalement méconnaissable. Paramount, frileux à l’idée de réinvestir dans une série, décide donc au milieu des années 2000 de continuer l’aventure Star Trek au cinéma uniquement (sans compter les produits dérivés en livres, comics ou jeux vidéo, non seulement moins connus mais souvent non reconnus comme faisant partie des productions dites officielles de la franchise).

Pour revitaliser une franchise que beaucoup voient comme vieillissante ou appartenant à une autre époque, le studio confie l’écriture d’un nouveau scénario au duo Orci & Kurtzman, habitué aux blockbusters estivaux. Ce script de commande a plusieurs impératifs : il doit s’inscrire dans le système de la série d’origine, utiliser les mêmes personnages et lieux communs, et surtout proposer une approche plus en phase avec le divertissement mainstream sans se mettre l’importante communauté de fans à dos. Une ressortie du placard de la vieille idée d’Harve Bennett vingt ans plus tôt, en somme.

Ultime addition à la formule du rajeunissement par pirouette temporelle, le réalisateur J.J. Abrams, qui a connu un grand succès à la télévision grâce à des séries très populaires, et qui n’est pas tout à fait étranger à la science-fiction. Se décrivant lui-même en tant que « non-fan », Abrams promet de rendre la franchise de nouveau accessible à tous les spectateurs, de tous les âges, et presque de tous les goûts.

La décision du studio est la plus logique et la plus intelligente qui soit à tous les niveaux car après tout, réitérer les origines d’un mythe, c’est le perpétrer, c’est le réinscrire dans la conscience culturelle d’une société. En cela, les scénaristes du nouveau Star Trek (qu’on nommera ST09 par commodité) réussissent à articuler une histoire qui combine éléments nouveaux (acteurs, antagonistes, situations) et avatar ultime de la première incarnation trekkienne : Spock, interprété par Leonard Nimoy.

En se situant à la fois dans une sorte de continuité et dans un espace de liberté, l’équipe derrière ST09 pose toutes les bases nécessaires à son travail ; et son travail commence, de la plus surprenante des façons, par un prologue empreint d’un héroïsme mélancolique envoûtant, qui mêle ainsi la naissance de son héros au traumatisme initial, élément déclencheur de sa nouvelle mythologie. Habile entrée en matière, qui semble promettre un traitement intéressant de la franchise.

Arrivé aux deux tiers du film, cependant, impossible de ne pas remarquer le parti pris, conscient ou pas, d’externaliser graphiquement la parenté de l’œuvre au Western. En effet, le réalisateur multiplie l’usage de poncifs du genre (grands paysages désertiques, bagarres de bar, la promesse de la grande aventure au bout de l’engagement dans l’exploration, mêlées armes de poing en main, mineurs devenus apatrides, vengeance, massacres, manichéisme tranché et irréfuté, etc.) alors qu’il passe sous silence les éléments mythiques auparavant établis par la série d’origine, à savoir la frontière, les relations complexes avec les peuplades voisines, la destinée manifeste et le progrès technique, social et politique de l’humanité.
C’est même la direction opposée qui semble rapidement être prise : Kirk, autrefois dépeint comme explorateur un peu audacieux mais responsable et faisant partie d’un système unifié, devient dans ST09 une tête brûlée indépendante qui ne s’en remet qu’à son instinct. Pourtant, son instinct est, étrangement, toujours correct. Chacune de ses décisions mène à la survie de ses camarades ou à la victoire sur l’ennemi, au mépris le plus ouvert envers toute stratégie ou raisonnement logique. Les directives, son entraînement et l’opinion de ses amis ne pèsent plus dans la balance de ses choix, et Kirk phagocyte désormais tout l’héroïsme de l’histoire.

Il est également intéressant d’observer le remaniement des personnages de Spock et de McCoy, qui dans la série partageaient un temps d’écran équivalent et étaient surtout utilisés, à de nombreuses reprises, comme incarnations de deux côtés de la personnalité du capitaine : l’une logique et méthodique, l’autre plus émotive et plus compatissante. Spock avait pour habitude de souligner les solutions les plus efficaces au niveau global, tandis que McCoy s’inquiétait des conséquences de ces solutions sur les individus.

Dans ST09, non seulement McCoy s’efface complètement, n’étant utilisé que comme ressort comique dont on se souvient à peine, mais la personnalité de Spock (le jeune) est déformée. En effet, celui-ci commet des erreurs de jugement échappant à toute logique et qui auraient pu se révéler désastreuses (envoyer Kirk, sans ressources, sur un astre aux multiples dangers suite à son insubordination). Il sert également de contre-pied à Kirk et permet de mettre en valeur les décisions de l’humain, qui même si généralement moins réfléchies, obtiennent de meilleurs résultats. Le rapport de forces est lui aussi inversé en cela que Spock détient un rang supérieur à Kirk tout au long du film. Pourtant, aucun de ses ordres n’est suivi. En suivant les pas du capitaine Pike, plus expérimenté et représentant le « vieux » Starfleet, celui que les fans connaissent bien, il s’engage inévitablement sur le chemin de l’échec, car ne comprenant pas que les règles régissant l’univers ont changé, qu’une nouvelle aire débute et que ceux qui veulent y survivre se doivent d’être instinctifs, sanguins, spontanés, presque naturellement doués.

Spock, enfin, embrasse progressivement son héritage humain jusqu’à se ranger du côté de son nouvel ami de fortune, lorsque l’Enterprise se retrouve finalement en position de force vis-à-vis de Nero et de son vaisseau. Là encore, les scénaristes renversent le système adopté par la série originelle. Dans l’épisode 1.16 Zone de terreur, que l’on a déjà évoqué, l’affrontement entre l’Enterprise et l’appareil romulien se conclut par une victoire de la Fédération. Alors que ses adversaires sont sans défense, Kirk leur offre asile à bord de son vaisseau. L’offre est refusée et le capitaine romulien détruit son propre navire avant que l’Enterprise ne puisse y faire quoi que ce soit. Dans ST09, une situation presque identique se présente et Kirk réitère son offre. Cependant, cette fois, on découvre que celle-ci n’est pas honnête et qu’elle ne sert qu’à tester les convictions de Spock, qui rejette l’idée de venir en aide à l’ennemi, affirmant ainsi deux choses : il a abandonné la partie de sa personnalité qui faisait de lui le plus complexe des personnages de Star Trek, et aucun des officiers de l’Enterprise ne voit d’inconvénient à torpiller un vaisseau ennemi sans défense, occasionnant ainsi ce le l’on appelle communément… un crime de guerre. Les méthodes utilisées par des groupes renégats dans le passé de la franchise passent donc dans le champ de ce qui semble être moralement et éthiquement acceptable pour ce nouveau Starfleet, oubliant de fait tout l’humanisme (celui qui prônait la valeur de toutes les formes de vie) mis en avant par les anciennes séries télévisées (à noter que les anciens films n’ont pas échappé à ce type d’incohérences non plus).

D’autres réinterprétations parcourent le film, et parmi elles, le déni de la société méritocratique (voir la promotion soudaine et inexplicable de Kirk au rang d’officier) au profit d’un système de pistons organisé entre amis ou amis d’amis (voir la promesse d’évolution plus rapide que la normale faite par Pike).

Le scénario, quant à lui, est écrit à quatre mains. Le voyage dans le temps, s’il est une bonne idée de départ, est construit sur une approximation des phénomènes des trous noirs, d’abord utilisés comme tunnels spatio-temporels, puis, comme par magie dans le dénouement, comme singularité destructrice offrant un aller direct vers la mort. Les tactiques employées, comme le saut depuis l’espace sur une plate-forme de forage située à des dizaines de kilomètres en –dessous, mettent à l’épreuve la suspension d’incrédulité du spectateur. Le plan de Spock Prime, enfin, pour préserver la planète Romulus, consiste à sauver une planète d’une supernova en créant un trou noir qui absorberait cette dernière… la laissant donc à la merci de l’attraction gravitationnelle de ce même trou noir qui, créé à partir d’une supernova assez puissante pour menacer la galaxie (!), doit être d’une masse inimaginable.

Ce qui semblait caractériser la plupart des films de la franchise depuis les années 1980 ne s’est donc pas volatilisé avec cette nouvelle équipe : les situations se suivent et paraissent toutes plus invraisemblables les unes que les autres. Pour motiver tous ces rebondissements, les scénaristes créent Nero, un romulien indépendant cherchant à se venger de Spock et de la Fédération entière pour des motifs pour le moins douteux. La linéarité et l’absence totale d’ambiguïté dans la dichotomie gentils/méchants arrive donc à rivaliser avec celles déjà particulièrement peu engageantes de La Colère de Khan et de Nemesis, réduisant l’ensemble à une haletante démonstration technique d’effets visuels réussis, accolés à une historiette affublée des caractéristiques les plus superficielles de Star Trek.

Car en effet, au-delà de ses attributs mythiques déjà évoqués, la série originelle et The Next Generation formaient un univers riche en idées. Ces idées n’étaient pas toujours bonnes, ni toujours vraisemblables, mais elles proposaient une réelle projection trois siècles dans le futur, en osant utiliser des concepts parfois glissants mais surtout stimulants, rares à la télévision. Ces idées se sont progressivement éteintes et disparurent avec Deep Space Nine. Dans son approche mi-nostalgique, mi-juvénile, ST09 manque à son tour, après ses nombreux prédécesseurs, de raviver la dimension inventive de Star Trek et confond 300 ans dans le futur avec 40 ans dans le passé, se contentant de recopier vainement quelques éléments décoratifs qui satisferont les vieux fans conservateurs, et oubliant de ce fait qu’il ne suffit pas de coller un vaisseau spatial à l’écran pour faire de la science-fiction.

ST09 jouait, à sa sortie, un rôle qu’aucun des autres films n’avait tenu depuis The Motion Picture : celui de la renaissance, du renouveau, de la réinvention. Après quarante ans d’évolution ponctuée de hauts et de bas, mais aussi d’optimisme et d’exploration de thèmes variés et enrichissants, la franchise repart sur des bases tristement simplistes. Quelle nouvelle civilisation alors ? Il semblerait que la seule qui nous soit offerte, la seule qui ait été capable de retenir l’attention d’un public nombreux, ne s’intéresse qu’à une chose : l’iconisation d’un héroïsme primal combattant le mal par le mal face aux actes terroristes d’individus irraisonnables et jouant une guerre dénuée de règles ou d’honneur, une guerre où tous les coups sont permis. Sans se souvenir des idéaux qui nous guidaient autrefois, notre civilisation et l’image que l’on projette d’elle dans notre futur se bat sans cesse et sans répit pour conserver son indépendance, sa liberté, son mode de vie… au point que, à bout de souffle, elle ait perdu tout ce qui la singularisait.

ST09 est un succès aux États-Unis, et la machine est mise en route pour produire une suite.

À suivre Dans les ténèbres

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4 commentaire

  • par Alexander_R
    Posté lundi 10 juin 2013 10 h 52 min 0Likes

    De toute façon, ce film n’est pas du Star Trek, ce n’est pas en collant des noms/références à droite et à gauche que cela en devient du ST; Il n’y a plus aucune notion d’humanisme, d’exploration, de recherche, de découverte, oubliée la quête de perfection qu’aspirait les humains, l’étron de Jar Jar Abrams n’est ici qu’une suite de grosses scènes d’actions ou ça tire puis pose les questions, ou tout sens de la logique qui incarnait la saga (Spock/Data/Tuvok)est ici réduit à néant.

    De toute façon, Abrams l’a déjà dit à la TV, il n’a jamais aimé Star Trek, il a tjrs trouvé la série trop philosophique, il préférait le basique de Star Wars.

  • par Doctor Marv
    Posté lundi 10 juin 2013 11 h 45 min 0Likes

    L’analyse est bonne, c’est plus la critique qui me pose souci.

    1/Pour ce qui est du Western, je ne le vois pas comme ça (ou du moins pas plus que des allusions comme dans Star Trek V) mais plutôt comme des codes propres aux serials et à la sf d’aventure, qu’on retrouve dans la série TOS à diverses reprises, bastons de bar incluses (l’épisode des tribbles par exemple). Ce sont des codes trekkiens à part entière, même si traités d’une manière nouvelle.

    2/Kirk en type « audacieux mais responsable » ? Il est connu et reconnu pour avoir désobéi à Starfleet à de multiples occasions et quand bien même il est plus tempéré que sa version jeune, c’est logique : il faut décrire un arc d’évolution qui va du héros qui pense toujours avoir raison jusqu’au capitaine plus mature qui a rencontré des obstacles dans sa vie et des échecs.

    3/le cas Spock que vous analysez comme si il devait s’agir du double exact version Nimoy. C’est trop vite oublier que le vulcain vient de vivre un génocide et la mort de sa mère et la destruction de sa planète natale. Ce qui aboutit forcément à une déstabilisation psychologique et à une nouvelle orientation du personnage, forcément plus enclin a être déstabilisé, à connaître la colère, la peur, la soif de vengeance. L’offre de Kirk d’aide à Nero est sincère, elle ne teste pas les convictions de Spock, elle va sciemment dans la trajectoire humaniste de la série à vouloir la paix entre les peuples.

    4/le trou noir ne devient pas comme par magie une singularité destructrice, juste un champ gravitationnel qui attire ce qui l’entoure. C’est la matière rouge qui est une force destruction et ce qui tuer Nero et l’achève est autant cette matière rouge que les tirs de phaseurs et de torpilles de l’Enterprise, pas le trou noir seul.

    5/Pour moi les idéaux et les valeurs des séries d’origine sont toujours là. c’est toujours la même mission et la même philosophie. Seuls les psychologies et les méthodes des personnages ont changé, reflétant l’évolution des idéologies occidentales. Star Trek VI parlait de la fin de la guerre froide, Next Generation évoquait la réunification des deux allemagnes, il est bien normal que les Star Trek d’Abrams évoquent le terrorisme ou le 11 septembre et ses conséquences à sa manière.

    Après plutôt d’accord sur le reste et les parties précédentes du dossier. Hâte de voir l’analyse d’Into Darkness.

  • par Alexander_R
    Posté lundi 10 juin 2013 12 h 55 min 0Likes

    L’offre de Kirk n’a rien de sincère dans le film, il suffit de voir la désinvolture dont il fait preuve en ordonnant la destruction du Narada, ce qui va à l’encontre totale de Starfleet et de la philosophie de la série.

    Ah si, le trou noir devient une singularité comme par magie car le trou noir qui voit l’arrivée du Narada au début du film est lui même causé par la matière rouge. Abrams, ou du moins ses pseudo scénaristes transforment un trou noir en force destructrice quand ça les arranges, au mépris d’une des plus grande regle de Star Trek, la logique et le « réalisme » scientifique…

    Les idéaux de Gene ne sont plus là, ils ont été supprimés pour des idéaux typiquement américains, il n’est plus question d’exploration, de voyages, de paix, d’humanisme, mais il n’est simplement question que de militarisation, de destruction, d’une philosophie typiquement républicaine ou l’on tire d’abord pour ensuite poser les questions…

    Même en parlant du film, comment peut on dire que c’est respectueux tant cela se moque continuellement de toute la timeline d’origine, même si le Narada est remonté dans le temps, comment peut-on expliquer qu’un simple vaisseau puisse de ce fait déplacer des planetes, ou encore faire naitre des personnes bien trop tôt (Chekov, Pike), d’où sort ce fameux Kelvin, inexistant jusqu’au film et dont la taille indiquerait qu’il serait plus grand que l’Enterprise d’origine qui était « le plus grand vaisseau humain » de Starfleet au moment de la série…
    De plus, la romance en Spock et Uhura n’a pas lieu d’être vu que Spock est déjà marié et ce, depuis bien avant sa naissance, l’arrivée du Narada et cie.

    De toute façon, la meilleure analyse (en 2 parties) du film vient de Yves Raducka et qui explique pourquoi le film de JJ Abrams ne sera jamais du Star Trek…
    http://www.unificationfrance.com/?6658-Star-Trek-11-Un-blockbuster-n

  • par Paul
    Posté lundi 10 juin 2013 17 h 45 min 0Likes

    Excellent dossier, tout du long et très plaisant à suivre, bravo!

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