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Star Trek : Frontière de l’Amérique

A l’occasion de la sortie mercredi prochain de Star Trek Into Darkness, et à l’instar du dossier sur les Wachowski, nous avons voulu dépasser le cadre du film de J.J. Abrams pour évoquer l’univers Star Trek dans sa globalité à travers plusieurs thèmes.

Après tout, avec six séries télévisées, douze long métrages et une communauté de fans digne de celle de Star Wars, Star Trek est autre chose qu’une simple saga cinématographique. C’est près de cinquante ans d’aventures spatiales déclinées sur tous les supports.

On commence tout naturellement avec les origines de la franchise, l’épisode pilote et la popularité de la série…

Star Trek : frontière de l’Amérique

La franchise Star Trek n’est, en France, pas un produit culturel de grande importance. Les explications les plus immédiates tournent souvent autour de faits, comme la diffusion très tardive, dans les années 1980, de la série originale dans tout l’hexagone, qui explique d’ailleurs l’absence de doublage français, rendu inutile par le travail précédemment réalisé au Québec. D’autres facteurs viennent s’y ajouter, comme la question complexe de la réception des œuvres de science-fiction chez nous, intimement liée aux spécificités culturelles qui caractérisent chaque pays.

L’immense succès de Star Trek aux États-Unis peut en partie se comprendre en explorant ces spécificités, en mettant en valeur l’approche créative mise en place lors du développement des séries. La série originale a débuté en 1966, sous la houlette d’un scénariste de télévision freelance, Gene Roddenberry, qui avait travaillé sur des séries comme Have Gun – Will Travel. Présenté au studio sous le nom « Wagon Train to the Stars » avant d’être renommé, le projet est approuvé et un premier pilote est produit.

Le fantastique et, dans une moindre mesure, la science-fiction ne sont pas totalement étrangers aux téléspectateurs américains de l’époque. Outre l’exploitation de la franchise Superman sur le petit écran, les chaînes de télévision diffusent depuis le début des années 1960 quelques séries abordant ou embrassant ces genres. La Quatrième Dimension commence dès 1959 et propose une anthologie d’histoires indépendantes axées vers le surnaturel. Au-delà du réel, qui date de 1963, adopte le même format mais tend plus vers la science-fiction. Du côté des feuilletons installant une certaine continuité dans leur univers, on remarque que l’intérêt vers l’espace s’accroit. Ainsi, Perdus dans l’Espace commence en 1965, quoi que la série se tourne rapidement vers une forme de survival spatial. La sitcom Mon Martien Favori ne va pas beaucoup plus loin, et se contente d’utiliser ses aspects fantaisistes comme ressorts dramatiques.

La première série véritablement science-fictive, dont le concept ne s’inscrit pas dans un présent uchronique, est probablement le dessin animé Les Jetson, production du studio Hanna-Barbera et qui avait des airs de Pierrafeu dans l’espace.

Lorsque le premier pilote de Star Trek, intitulé The Cage, est montré au studio, plusieurs choses le distinguent de ses concurrents et parmi elles, une intrigue toute en questionnements qui multiplie les scènes de dialogues entre le protagoniste et ses geôliers extra-terrestres. Très peu d’action donc, et une distribution pour le moins inhabituelle car si le capitaine du vaisseau, Christopher Pike, correspond à l’image du héros américain blanc dont le public a l’habitude, il est entouré d’un officier en second de sexe féminin et d’un subordonné aux oreilles pointues que les exécutifs identifient immédiatement comme figure diabolique.

Sans grande surprise, l’épisode est rejeté. Toutefois, le studio n’abandonne pas la série et demande à Roddenberry de concevoir un second pilote moins cérébral, plus dynamique et surtout libéré de cette femme à responsabilités et de l’alien à l’apparence peu orthodoxe. Tenant au projet, le scénariste accepte, à ceci près que l’extra-terrestre, appelé Mr. Spock, reste à bord et est promu au rang d’officier en second.

Ce deuxième épisode, Où l’homme dépasse l’homme, présente donc une nouvelle équipe, menée par le capitaine James Kirk, et confrontée à une histoire aux rebondissements plus nombreux et à l’acte final musclé. La série a le feu vert, et durera trois saisons, frôlant l’annulation au terme de la deuxième. Cette durée de vie relativement courte s’explique très simplement : les audiences ne suivaient plus, et Star Trek était un échec commercial. En 1969, alors que la NASA, organisation bien réelle, posait le pied sur la Lune, l’Enterprise, qui promettait l’univers, rentrait à bon port pour ne plus voyager… du moins le croyait-on.

Peu après sa mise à la retraite, la série est vendue à plusieurs chaines télévisées simultanément (ce qu’on appelle Syndication aux États-Unis) et en l’espace de trois ans, conquiert de nombreux nouveaux fans. Le phénomène engendre, en 1972 à New-York, la première convention dédiée à une série télévisée, où des centaines de personnes se voient refuser le droit d’entrée faute de place. Ironie du sort, la NASA effectue cette même année son dernier voyage humain sur la Lune et commence à voir son budget drastiquement sabré. La réalité s’est rattrapée elle-même mais semble alors incapable de stopper la fiction.

Dans les années qui suivent, Star Trek maintient une popularité sans précédent dans l’univers de la science-fiction. Évidemment, le genre en lui-même n’a pas évolué de la même façon aux États-Unis qu’ailleurs. Explorer une telle question pourrait faire l’objet d’un livre, mais les pistes les plus évidentes viennent de l’histoire réelle du pays. Dans les décennies charnières des 19e et 20e siècles, la société américaine construit sa propre révolution industrielle à grands coups de brevets et d’inventions technologiques pragmatiques. Comme le firent Verne et Wells en Europe, des auteurs américains prennent les devants et anticipent les nouvelles découvertes en associant les deux motivations premières de leur pays : l’acquisition toujours plus importante de territoire et le progrès technique. La différence, cette fois, c’est que ces deux objectifs constituent en partie l’esprit dans lequel les individus les plus influents de leur société se positionnent, et que l’un alimente l’autre, et vice-versa. Évoluer dans l’espace implique d’améliorer ses compétences et donc de repousser ses connaissances. Lorsque la côte Ouest est atteinte pourtant, hors de question d’abandonner la cible qu’une culture entière s’était fixée : les auteurs, pour la plupart scientifiques de formation, se tournent vers les étoiles dans des proportions incomparables aux quelques tentatives européennes. Asimov, Bradbury, Vance, Van Vogt, Clarke, Dick, Anderson et Heinlein forment un front pionnier explorant le nouveau destin colonisateur des États-Unis, uniquement rendu possible par l’avancée scientifique. Le voyage spatial, la transformation de la société, les robots, la puissance de l’esprit, le contrôle du temps ou encore l’immortalité nourrissent sans cesse une science-fiction forgée à la fois dans l’imagination et dans la raison, une science-fiction pragmatique et potentiellement applicable.

C’est en empruntant à cet âge d’or littéraire son ambition de crédibilité, et en le combinant à une approche plus mythologique, que les scénaristes de Star Trek créent, sans peut-être le savoir, le produit science-fictif à la fois le plus abordable et le moins invraisemblable de la culture populaire de l’époque. Son succès soudain des années 1970 peut aussi se comprendre grâce à plusieurs pistes, en plus d’une simple diffusion étendue au réseau national, et notamment dans son approche des rapports au passé américain…

À suivre dans Espace, frontière de l’infini

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