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Star Trek : Entre avant-gardisme et conservatisme

A l’occasion de la sortie mercredi prochain de Star Trek Into Darkness, nous avons voulu dépasser le cadre du film de J.J. Abrams pour évoquer l’univers Star Trek dans sa globalité à travers plusieurs thèmes.

Après avoir évoqué les origines de la saga et sa relation avec aussi bien le mythe américain que la conquête spatiale, Arkaron s’est arrêté sur le coté avant-gardiste de Star Trek, série où toutes les minorités sont représentées dans un contexte 60’s difficile.

Et en citant quelques épisodes bien précis, il explique combien la série était ancrée dans une réalité historique…

Entre avant-gardisme et conservatisme

La dimension progressiste de Star Trek est tantôt bien réelle, tantôt toute relative. Les propositions thématiques générales, d’abord, sont il est vrai toutes optimistes : la Terre fait partie de la Fédération des Planètes Unies, et ne comporte donc plus de clivages culturels entre pays ou ethnies, même si les mémoires régionales n’ont pas disparu. Le gouvernement unique, libéré des contraintes de la géopolitique planétaire, a pu établir une société se passant d’argent et d’armée, et ayant éradiqué la famine, la pauvreté, la guerre, ainsi que la plupart des maladies. La ligne de conduite de Starfleet se révèle vite être une expression d’humanisme basée sur le rejet de la violence et l’importance accordée à la vie et à l’évolution.

Durant leurs aventures, Kirk et ses amis se retrouvent face à des situations qui dépassent l’entendement et qui les ramènent à leur propre humanité. Même (surtout ?) les histoires centrées sur les Vulcains ou autres espèces extra-terrestres sont articulées en fonction de questionnements très humains. Parmi les plus récurrentes, et qui seront d’ailleurs accentuées dans la deuxième série, The Next Generation, se trouvent la place de l’homme dans l’univers, sa nature, sa définition et son but.

Au-delà de ses occasionnels propos philosophiques ou métaphysiques (en outre quasiment absents du paysage télévisuel d’alors), Star Trek est reconnue comme ayant osé affirmer des prises de position radicales quant aux troubles sociaux occupant les esprits des années 60. Le cosmopolitisme s’impose sans doute comme sa plus grande réussite. Au milieu de la décennie 1960, alors que les mouvements pour les minorités portent leur voix de plus en plus loin et que la guerre froide bat son plein, Star Trek propose un tableau pour le moins inhabituels en prime-time : un héros WASP, certes, entouré toutefois d’un écossais surdoué (Montgomery Scott) et d’un irlandais à grande gueule (Leonard McCoy), signes des premières vagues d’immigrations intégrées au mode de vie américain. Plus surprenant, un asiatique (Hikari Sulu) et une noire (Nyota Uhura) à propos desquels la couleur ou l’origine ne seront strictement jamais débattues. Presque choquante pour l’époque, enfin (et à partir de la saison 2), la présence du jeune navigateur Pavel Chekov, tout droit venu de l’ancienne Russie… ou URSS ? Pareillement, sa loyauté n’est jamais remise en cause, ni d’ailleurs son habileté à s’exprimer dans un anglais absolument compréhensible. En outsider ultime bien sûr, Spock conclut la liste et catalyse à lui seul toutes les oppositions entre l’humanité unie et l’Autre, qui s’oppose par la répression des émotions, trait considéré comme caractéristique de l’humain. La parenté mixte du personnage permettra au demeurant de le lier aux interrogations existentielles qui parcourent la série et de créer un personnage particulièrement complexe à écrire, et surtout sans beaucoup d’équivalents dans la fiction populaire. Pour l’anecdote, l’épisode 3.10 Les Descendants (Plato’s Stepchildren) est souvent cité comme dépeignant le premier baiser interracial à la télévision américaine. Cette affirmation est fausse mais toujours vivace dans le mythe trekkien.

Sur un autre front, les différents scénaristes de Star Trek, qui évoluaient en équipe plutôt réduite (en effet, même si certains épisodes furent produits à partir de script freelances, ceux-ci étaient massivement édités par l’équipe de la série), se sont attaqués à des questions de société spécifiques et notamment à la guerre, tantôt dans un schéma d’opposition Pouvoirs de l’Axe/Alliés, tantôt au sein du paradigme particulièrement complexe de la guerre du Vietnam, qui commençait à diviser l’opinion dans les universités et, à quelques occasions, dans de grandes manifestations de rues.

L’épisode 1.14 Zone de terreur (Balance of Terror) entame les hostilités en dépeignant une guerre tactique de tranchées dans un No Man’s Land dont l’issue pourrait mener à une confrontation d’ampleur interstellaire. Avec la destruction des avant-postes de la Fédération, l’Enterprise est donc confrontée à une superpuissance aux capacités similaires et dont le but semble la conquête de territoires supplémentaire au mépris d’un fragile équilibre de paix. La Guerre Froide n’est pas loin.

1.23 Échec et Diplomatie (A Taste of Armageddon) imagine une planète sur laquelle la guerre est jouée sur ordinateur, mais où les pertes humaines sont bel et bien réelles. Chaque nouvelle offensive virtuelle entraine un calcul de probabilités des pertes qu’aurait encourues l’adversaire, et celui-ci doit alors envoyer un groupe de ses citoyens à l’incinérateur (ou plutôt au désintégrateur). La conceptualisation, certes un peu naïve, permet de commenter sur l’horreur de la guerre d’une manière habile vis-à-vis des américains de l’époque : ils n’ont jamais connu la guerre chez eux, sur leur territoire. Le dernier conflit d’ampleur, interne, remonte à un siècle. Un moyen donc, de rappeler que si les infrastructures et les villes ne souffrent pas des oppositions, les morts existent quand même. Le Vietnam n’est pas loin.

2.19 Guerre et Magie (A Private Little War) illustre frontalement les tactiques géopolitiques déployées en Asie par les États-Unis et l’URSS. Dans cet épisode, deux peuplades primitives s’affrontent depuis des années. L’équilibre est brisé lorsque les Klingons arment l’une d’elles avec une technologie qui leur donnerait l’avantage de la victoire. Toute la question, pour Kirk et l’Enterprise, revient donc à savoir s’il faut armer les opposants et nourrir une guerre sans fin, ou les laisser mourir aux mains d’ennemis invincibles.

L’espionnage n’est enfin pas oublié, comme le montre l’épisode 3.02 Le traitre (The Enterprise Incident), dans lequel le scénario reprend une situation bien réelle de l’actualité mondiale : la capture du navire collecteur de renseignements l’USS Pueblo en janvier 1968. Un épisode aux ambitions initiales très dénonciatrices, quelque peu censuré par la production qui pense que le public a surtout besoin d’être diverti.

Le dernier étendard fièrement dressé par la communauté de Star Trek, à savoir l’égalité des sexes, se révèle tout à fait faux en ce qui concerne la série originale, qui véhicule des stéréotypes machistes parmi les plus évidents à la télévision de l’époque. Cependant, si les femmes portent des uniformes outrancièrement courts, ne vont presque jamais sur le terrain, servent de conquêtes au capitaine, sont généralement dépourvues de responsabilités et apportent le café sur la passerelle, il faut savoir que le premier pilote de la série, celui que le studio a refusé, allait globalement à l’encontre de ces tendances, notamment avec des uniformes unisexes et des personnages féminins occupant des postes importants. Il faudra attendre les films et la deuxième série pour que la représentation des différences entre sexes s’améliore, le cap étant finalement trouvé dans Deep Space Nine, troisième avatar télévisuel de la franchise. De la tentative de Roddenberry donc, subsiste uniquement le lieutenant Uhura, qui passe ses journées sur la passerelle et est en charge des communications. Quoique sa présence maintienne à la fois une prise de position pour les noirs (comme le relèvera Matin Luther King, qui convaincra d’ailleurs l’actrice Nichelle Nichols de ne pas abandonner son rôle) et pour les femmes, il existe bien peu d’épisodes dans lesquels son rôle soit significatif.

La série était également construite sur deux axes de fabrication contradictoires : une réelle volonté d’expérimenter dans la mise en scène de phénomènes inexplicables, et un formalisme stéréotypé déjà obsolète à l’époque de la première diffusion, notamment au niveau de l’utilisation des clichés de réalisation, comme l’éclairage appuyé des scènes de tensions sexuelles ou amoureuses, l’exhibition du torse musclé de son héros, les pugilats irréalistes, les zooms avant en gros plan lors des révélations, etc.

Au final, ce qui importe réellement pour les exécutifs aux commandes de la franchise est de savoir quels éléments se sont inscrits définitivement dans l’inconscient collectif. La série originale est toujours dans les esprits nord-américains, perçue par le plus grand nombre comme catalyseur d’une importante communauté de fans, et comme réitération de l’aventure américaine. Les noms des personnages et du vaisseau, le salut vulcain, la musique et la narration du générique d’ouverture sont autant d’éléments répétés à l’infini dans de multiples œuvres contemporaines en référence, en hommage ou en parodie. Qu’en est-il donc du reste de la franchise, dont le volume conséquent rebute souvent le spectateur curieux ?

À suivre dans Star Trek : l’héritage

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