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Rencontre avec Mathilde Domecq
Après Ralph Meyer et Asgard, on a décidé de faire le grand écart. Voici aujourd’hui l’interview de Mathilde Domecq, auteure de bandes dessinées plutôt orientées jeunesse, que les lecteurs de feu le mégazine Tchô connaissent bien puisqu’elle y a créé la série Basile et Melba et c’est aussi là qu’elle a démarré sa nouvelle série, Paola Crusoé, série pour laquelle elle était justement nominée cette année au festival dans la catégorie meilleur album jeunesse (logique).
Il faut préciser que Paola Crusoé a inauguré un nouveau label chez Glénat : Tchô l’aventure. C’est un label qui porte très bien son nom puisqu’il se propose de relancer la bd d’aventure pour les jeunes lecteurs en adoptant un format assez compact et plus épais qu’un album franco-belge classique (82 pages au lieu de 48). Aux côtés de l’album de Mathilde, on trouve l’excellent Agito Cosmos de Fabien Mense et Olivier Milhaud. Les premiers tomes sont sortis en janvier 2012 (pour le précédent festival d’Angoulême) et les suivants ne devraient plus tarder (printemps 2013 me suis-je laissé dire…)
Voici l’occasion de découvrir le travail de Mathilde, à la fois le résultat final mais aussi un peu le processus de création.
Paola Crusoë
Tome 1 : Naufrage
Dessin et scénario : Mathilde Domecq
Editeur : Glénat – Tchô l’Aventure
Des vacances de rêves, une croisière pour Paola, son papa, sa petite sœur et son grand frère, direction les mers chaudes… Manque de chance, le bateau coule et la famille se retrouve sur une île presque déserte. Une situation inédite pour une famille parisienne ! Pour commencer, il ne faut pas se décourager et cerner les priorités : retrouver la petite sœur, trouver à boire et à manger, ne pas se disputer, construire un abri contre les bêtes sauvages et éventuellement un radeau pour s’échapper… Bref, s’organiser sans paniquer, c’est la galère ! Et vu que le portable ne capte rien, c’est pas les 148 amis sur facebook® qui vont pouvoir filer un coup de main ! Et pendant ce temps, maman qui s’inquiète à la maison…
Ce projet de bd d’aventure, c’était quelque chose que vous aviez en tête depuis longtemps ou bien c’est Glénat qui, à l’occasion de la création de leur nouveau label « Tchô l’aventure », vous a passé commande ?
C’était quelque chose que j’avais en tête depuis longtemps et qui était censé paraître bien avant que Tchô l’aventure n’existe donc c’est bien tombé, en fait.
Du coup, c’est vous qui en avez parlé à l’éditeur ?
Oui. En fait j’ai adoré Robinson, j’ai adoré Vendredi ou la vie sauvage quand j’étais enfant, j’ai lu la version adulte Vendredi ou les limbes du pacifique et j’adore ce mythe ; comme tout le monde, je trouve ça magique. Et il se trouve que ma mère vit en Guadeloupe donc j’ai eu l’occasion d’y passer du temps, de me balader dans la jungle, de me balader sur les plages et ça vraiment donner l’envie de dessiner ça. Donc l’un et l’autre ont fait que j’ai eu ce projet et puis il a plu à Jean-Claude Camano et voilà.
Mais alors, est-ce vous qui avez aussi proposé le format particulier de ces albums ?
Au départ, je pensais être dans la même collection que Les souvenirs de Mamette donc sur du 46 planches mais entre-temps, Agito Cosmos a été signé, le label a pris un peu d’ampleur, tout le monde a eu envie de sortir quelque chose d’un peu différent et on est parti sur 82 planches. Ça permet de faire des scènes d’action, de faire des moments plus contemplatifs alors que sur 46 planches c’est difficile, c’est un format un peu étriqué.
Et ça a aussi été l’occasion de vous remettre en cause graphiquement, pour vous adapter à ce nouveau format…
Je ne voulais pas refaire ce que j’avais déjà fait sur Basile et Melba et puis ça ne collait pas avec l’histoire. Et disons que mon ambition c’est d’arriver à créer une densité romanesque, quelque chose d’un peu drôle, quand même parce que sinon c’est pas intéressant, mais pas basé sur l’humour, davantage centré sur l’aventure, les réactions des personnages, traiter le thème du huis clos : qu’est-ce qu’il se passe lorsqu’on se retrouve coincé entre membres d’une même famille sur une île, comment ça se passe, comment ils réagissent….
Après, mon graphisme est différent mais ce n’est que le traitement ; mon trait, mon design des personnages n’est pas très éloigné de ce que j’ai fait avant. C’est le traitement graphique qui a changé et je me suis beaucoup amusé ! J’ai utilisé une technique très longue, pas du tout rentable, mais très plaisante.
En fait, je dessine à chaque étape. Ce n’est pas comme si je traçais mon trait, ensuite je le refaisais au propre et puis en trois clics de souris, je le mettais en couleur. Ce qui est un peu ce qui se passait sur Basile et Melba parce que c’est du trait classique et après je fermais les contours qui n’étaient pas fermés et je mettais en couleurs les zones, etc. Ça devenait facile, finalement, parce que c’était du remplissage. Et même si on choisit les tonalités, on place les ombres et tout le reste, je m’ennuyais.
Du coup, dans Paola Crusoé, c’est à chaque étape du dessin. C’est plus fatigant, plus long mais plus agréable.
Avec ce nouveau traitement et grâce à la longueur du récit, vous travaillez donc davantage sur des ambiances plutôt que sur des gags ou des évènements ?
Ce qui m’intéresse (mais entre ce qu’on a envie de faire et ce qu’on arrive réellement à faire, il y a toujours une marge), plus que les ambiances, ce sont les émotions. J’espère qu’il y a toujours de l’humour mais c’est vrai que ce n’est pas du tout le ressort narratif de l’album. Même s’il peut y avoir quelques situations marrantes j’aimerais bien que le lecteur ressente des choses un peu fortes.
C’est vrai que les lecteurs qui étaient habitués à Basile et Melba, et j’en fais partie, ont été surpris : un rythme beaucoup moins rapide, un autre ton, une atmosphère plus sensible…
Un peu plus nostalgique aussi, mais j’espère également un peu plus dense. J’espère que mon travail mûrit un peu, quoi.
J’adore Basile et Melba mais c’est ma première série et je n’ai pas su entrer dans la profondeur des personnages. Moi je les connais bien, je sais qui ils sont mais je n’ai pas réussi à le livrer aux lecteurs, en tout cas c’est ce que je ressens. Là, je m’étais fixé un peu ça comme objectif : c’est bien que les autres soient au courant, pas que moi.
Et pour atteindre cet objectif, est-ce que vous avez prévu le nombre de pages ou plutôt de volumes qu’il vous faudrait ?
Oui, pour moi c’est assez clair, mais je réserve la surprise aux lecteurs… et à mon éditeur ! (sourire) Disons que rien n’est sûr, je me laisse le temps de voir.
Vous avez une échéance pour le prochain tome ? Vous connaissez la date de sortie ?
Dans l’année. C’est en très bonne voie. Il est tout écrit et le premier tiers est déjà terminé.
Même si c’est un projet que vous aviez depuis longtemps, est-ce qu’on peut penser que ce qui a motivé Glénat c’était d’avoir un point de vue féminin sur la bd d’aventure ?
Non, je ne pense pas. Jean-Claude Camano ne fonctionne pas comme ça. Il a des auteurs qui lui proposent des choses et il les accepte ou pas. Le fait d’être un homme ou une femme n’entre pas en ligne de compte.
Pourquoi avoir choisi une petite fille comme héroïne ?
En fait j’avais des envies autour d’une petite fille : j’avais envie qu’elle ait un grand frère, qu’elle ait une petite sœur, j’avais envie que la maman ne soit pas là comme ça elle se substitue un peu à ce rôle-là. Voilà, c’est le genre de choses dont j’avais envie.
Vous n’aviez pas envie de créer un modèle pour les lectrices ? Ne serait-ce que pour changer du stéréotype de l’aventurier ?
Non, en ce qui concerne le modèle, c’est pas du tout mon propos, je ne fais pas d’éducation dans mes bd. Après c’est évident que le fait que je sois une fille, ça joue. Je raconte les choses de mon point de vue, ce n’est pas une transposition de ma vie mais j’ai mis beaucoup de moi quand même dans cette histoire.
Et par rapport à ce que vous disiez au début, sur le fait que votre mère vive en Guadeloupe, il se trouve que dans Paola Crusoé, toute la famille se retrouve sur l’île déserte SAUF la maman. Ça aussi, c’était un clin d’œil inversé à votre histoire personnelle ?
Non, c’était surtout pour élargir la palette de la narration.
Ce que je voulais vraiment faire c’était traiter le thème d’une situation imposée, en l’occurrence le naufrage, et de montrer comment chaque personnage va réagir et évoluer : le père qui était timoré et qui prend de l’assurance, le fils qui n’a qu’une envie, c’est de partir, Paola qui est plus neutre, qui prend les choses comme elles viennent et qui s’en accommode et la toute petite qui s’adapte hyper vite au milieu sauvage. Du coup, la mère qui était resté à Paris, ça me permettait de sortir de l’île, déjà, et de parler de l’évènement d’un point de vue externe. Mais elle aussi, de son côté, elle va évoluer, surtout dans le tome 2 où elle va développer un aspect de sa personnalité beaucoup moins cartésien que ce qu’on a vu jusqu’à présent.
Vous avez cité les romans qui vous ont inspirée et si on repense à tout ce qui existe sur le thème de la « robinsonnade » dans la littérature, on constate que c’est un genre qui n’est plus en vogue à l’heure actuelle. Est-ce que c’est quelque chose de désuet ?
Oui et non. Le problème en choisissant ce thème-là c’est de ne pas tomber dans la redite, de faire un truc qui a déjà été fait cinquante fois et en même temps, moi je m’en fiche parce que c’est un thème universel. Et ce qui m’intéressait c’était de le faire aujourd’hui, à l’époque de facebook, des tweets, des sms toutes les cinq minutes, pour le coup, c’est la douche froide ! Et en fait on se rend compte que ça va très bien. Dans cette idée, j’avais envie de parler aux enfants d’aujourd’hui.
Vous allez donc continuer la bd jeunesse ?
Disons que ça colle à mon style graphique et puis ça colle aussi à ce que j’ai envie de raconter en ce moment, donc oui. Mais j’ai d’autres envies aussi, ça dépend de plein de choses… ça dépend des rencontres, ça dépend des projets… plein de choses. C’est aussi le temps qui manque !
J’ai aussi fait quelques albums pour les tout petits, les non-lecteurs et c’est un exercice très intéressant en terme de narration (NDR : Poïpoï et Tito, chez Mammouth).
Et par rapport à vos collègues de la bande à Tchô, on ne vous a pas vu adaptée en dessin animé…
Il y a eu plusieurs projets pour Basile et Melba mais rien n’a abouti et finalement ça n’est pas plus mal. Pour une adaptation réussie, soit il faut tomber sur les bonnes personnes, soit il faut s’investir à fond (parfois les deux) mais ça prend beaucoup de temps et d’énergie. On verra ce que réserve le futur mais pour l’instant, je ne cours pas après.