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Rencontre avec Isao Takahata et Michael Dudok de Wit
Alors qu’Hayao Miyazaki, jeune retraité, annonce vouloir reprendre le pinceau pour finir un vieux projet intitulé Kemushi no Boro (Boro La Petite Chenille), son comparse Isao Takahata était à Paris pour une masterclass.
Pendant deux heures, le réalisateur du Tombeau des Lucioles et du Conte de la Princesse Kaguya, qui a annoncé lui aussi avoir un nouveau « petit » projet, a échangé avec Michael Dudok de Wit, à qui l’on doit La Tortue Rouge, film sur lequel l’artiste nippon a collaboré en temps que producteur artistique.
C’est un réalisateur néerlandais très ému qui a accueilli le maitre de l’animation japonaise. L’homme à l’origine de la Tortue Rouge a raconté avec des tremolos dans la voix comment il a rencontré Takahata avant de recevoir une lettre des studios Ghibli en novembre 2006 lui proposant une collaboration, lettre pour laquelle il a « explosé » avant d’accepter « en moins d’une demi-seconde ».
Il explique : « il y a un mot clef, la sensibilité, et j’aime les films sensibles. Quand Monsieur Takahata m’a proposé de collaborer, j’ai voulu me nourrir de sa sensibilité, lui poser des questions sur les mouvements narratifs, les émotions… »
Isao Takahata, lui, s’est dit inquiet pour cette collaboration, « à cause du degré de perfection des courts-métrages » de Dudok de Wit. « C’était à la fois un défi, avec une forme d’attente, et une inquiétude ».
Le Tombeau des Lucioles et le Conte de la Princesse Kaguya évoquent avec une force incroyable le rapport à la vie et à la mort. Le cinéma d’animation est-il particulier pour en parler ? Isao Takahata explique : « je pense qu’on peut le faire spécifiquement en animation. Dans le Tombeau des Lucioles, on sait que les personnages qui s’adressent à nous vont mourir mais ça ne nous empêche pas de les suivre. En ce qui concerne la vie, de manière plus philosophique, je pense qu’en Occident on peut y répondre sans trop d’hésitation. Les Japonais, eux, vont avoir besoin d’une phase d’atermoiement. »
Michael Dudok de Wit complète : « je suis fasciné par la permanence des choses, tout nait et tout meurt. Mes films symbolisent parfois la mort même si ce n’est pas évident pour tout le monde, ils le font parce que je vois de la beauté dans la permanence des choses. J’aime la mort comme faisant partie de la vie. »
Le réalisateur de la Tortue Rouge a ensuite évoqué le rôle du studio Ghibli dans le développement de son film, au delà de la simple productions : « ils sont intervenus sur le développement de l’histoire. J’écrivais et on échangeait beaucoup parce qu’ils voulaient suivre le projet mais aussi parce que je voulais un feedback. On a parlé de différents sujet : de l’écriture, des émotions, du symbolisme… Monsieur Takahata n’est pas animateur mais il a la même intuition que les gens dont c’est le métier. Moi je suis fasciné par ça, j’écoute beaucoup mon intuition même si elle n’a pas toujours raison. Il a ensuite fallu construire le film de manière logique en étant bien entouré. Ghibli m’a soutenu pendant l’écriture, en faisant des suggestions. Mais c’est un studio qui fait confiance à ses auteurs, j’avais donc la décision finale. C’était fabuleux. »
Isao Takahata complète : « On a d’abord reçu le scénario puis une version complétée avec l’animatique. On renvoyait des commentaires en fonction de ce qu’on voyait. Moi-même ayant une expérience en tant que réalisateur, j’ai pu travailler sans pression de la part des producteurs. J’ai voulu reproduire le schéma et que Michael puisse le faire à son idée. Tout le travail a été de réfléchir, de comprendre la vision de Michael, toucher à sa sensibilité. Sur cette base, on a fait des propositions. Certaines ont été retenues. J’avais le sentiment que nos retours leur servaient, avec les producteurs français, à conforter la vision de l’auteur. »
Le réalisateur cite alors un exemple : « Nous avons suggéré de supprimer les dialogues. J’avais eu le sentiment en vous voyant que vous n’aviez pas envie d’en mettre, ce qui était aussi mieux de mon point de vue. » Michael Dudok de Wit précise que les dialogues ont été une source de problèmes. Il en fallait dans la seconde partie du film, pour l’empathie. Certains moments clefs méritaient d’être exprimés verbalement. Il explique qu’ils avaient décidé de garder quelques lignes puis, pendant une pause pendant laquelle la production a cherché des financements il a reçu un appel de Ghibli qui a demandé : « Et si on laissait tomber tous les dialogues ? On a échangé sur le sujet, c’était un super défi. » Finalement seuls des bruits, des cris, des respirations ont été enregistrés, subtilement, pour donner plus d’humanité aux personnages.
La cohérence graphique du film est forte. Isao Takahata explique : « j’ai été très impressionné par l’ambiance visuelle, par ce graphisme très personnel de Michael et ce, même si c’est un travail collectif. Les personnages marquent le spectateur par leur présence à l’écran. »
Le réalisateur néerlandais précise qu’il « a eu beaucoup de temps pour peaufiner les décors, la production nous ayant laissé beaucoup de temps pour les retravailler, pour faire des erreurs et les corriger. »
Monsieur Takahata ajoute qu’il ignorait que Dudok de Wit s’intéressait aux artistes bouddhistes japonais quand il lui a offert un livre évoquant le sujet. « Je pense que malgré cette convergence, il y a une grande nuance dans le travail de la ligne, dans l’épaisseur du pinceau utilisé. Dans La Tortue Rouge, tout en veillant à cette épaisseur changeante du trait, vous percevez les différents composant du monde. On sent la densité visuelle à l’image, notamment à travers l’exploration de l’ombre et de la lumière, où vous utilisez l’ombre pour suggérer la lumière. »
La rencontre s’est terminée par un bref échange avec le public où il a notamment été demandé ce que Monsieur Takahata pensait de l’animation télévisuelle japonaise. « Je n’en suis pas très fier mais je regarde très peu de séries animées et quand je le fais, j’en retire un sentiment très désagréable. » Il a ensuite évoqué le futur de Ghibli à travers d’autres possibles collaborations : « Monsieur Suzuki a obtenu une sortie [de la Tortue Rouge] très importante au Japon via la Toho. Si le film trouvait son public, il aurait pu changer le paysage de l’animation japonaise. Mais le film n’a pas eu le résultat escompté et donc pas d’impact. Un autre film, Your Name [de Makoto Shinkai, sortie le 28 décembre en France] a eu un succès considérable et lui pourrait avoir une influence. »
Un intervenant du public a fait remarqué que les carrières d’Isao Takahata et Michael Dudok de Wit se croisaient en matière de trait : le Néerlandais a commencé avec un style tremblant dans ses courts métrages pour finir avec la Tortue Rouge sur quelque chose de plus net quand le Japonais a commencé par la netteté pour finir avec Kaguya sur un style différent. Isao Takahata a alors expliqué qu’il n’était pas dessinateur et qu’il s’entourait donc d’équipes lui permettant d’explorer différents styles visuels, le fait de ne pas dessiner lui donnant une liberté que d’autres n’ont pas forcément. Et de préciser qu’un nouveau projet (!) permettrait d’avantage d’exploration. « On verra si on arrive à faire quelque chose de plus« .
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