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Rencontre avec Gustave Kervern
Gustave Kervern est venu sans Benoit Delépine à Lyon pour présenter son Mammuth (voir la critique). Nous étions bien entendu dans la salle, pas question de manquer cette rencontre avec l’un des citoyens grolandais les plus célèbres.
Voici l’intégralité de cette rencontre.
Comment avez-vous écrit le personnage de Serge Pilardosse? Vous reconnaisez-vous un peu en lui?
En fait, quand on écrit un personnage, avec Benoît (ndlr: Delépine), on ne fait aucun profil psychologique à l’avance. Déjà qu’on a du mal avec nous-mêmes! On aime que le film reste ouvert quand on commence un tournage Je ne sais pas trop si j’aime le personnage, il est assez indéfinissable: est-il neuneu? ou juste ailleurs? Depardieu a beaucoup apporté au personnage de par son travail. Il a lu six fois le script, et il a donné son idée de Serge Pilardosse. Par exemple, quand il se fait traiter de con, on avait écrit une scène où il devait s’énerver, mais ça ne plaisait pas à Gérard. À la place, on a intégré cette scène où il se baigne dans la rivière, c’est une autre façon d’évacuer sa colère. Pour moi, le cinéma c’est un peu ça aussi, une part de mystère. Pourquoi vouloir toujours tout savoir sur un personnage? Tout ce qu’on sait de Pilardosse, c’est que c’est un type attachant, manuel, qui a travaillé toute sa vie. Un peu neuneu, peut-être, ou alors un peu trop sage. Puis il revient vers sa femme, au final, comme beaucoup d’hommes l’ont fait.
Depardieu était-il l’acteur de circonstance?
Oui, il offre une très belle performance. Avec Benoït, on fonctionne surtout par envie et par challenge. Notre année est prise par Groland, alors on tourne nos films l’été, pendant nos vacances. On venait de sortir Louise-Michel en fin d’année, et en février on avait déjà l’idée de base de Mammuth. On a tout de suite pensé à Depardieu. On lui a donc demandé s’il était intéressé et s’il était libre. Il a répondu oui, alors s’est mis à l’écriture du script et on était prêts pour juillet. On voulait vraiment mettre Depardieu dans des chaussons, parce qu’on reçoit les gens comme si c’était Un diner presque parfait, vous voyez. Et en même temps, on voulait le tester. Voir s’il avait la curiosité des autres. donc on l’a mis en situations dans la boucherie, avec les vrais ouvriers et le vrai patron. Ça s’est très bien passé, au final. Il y avait tout pour lui dans ce film: une moto, du vin, de la viande, des femmes. (rires). Dans Mammuth, je trouve qu’il donne une performance comme il n’en avait pas donné depuis longtemps. Peut-être qu’il était influencé par son père, qui était un espèce d’autodidacte et à qui il pensait beaucoup pendant le tournage. Ce qu’on voulait surtout, c’était éviter les envolées depardiesques. Dès qu’il commençait à partir en vrille, on lui disait de se calmer. On appliquait la méthode « finlandaise ». Dans Aaltra, notre premier film, les héros se rendent en Finlande, et le finlandais est stoïque. On ne voulait pas de stoïcisme, mais de la sobriété.
Le film est plus une comédie romantique qu’une comédie…
Oui. Louise-Michel était très politique, et puis, on ne voulait que Depardieu aille buter tous ses anciens patrons. Quand on a commencé, on ne savait pas trop si ce serait plus drôle ou plus dramatique. L’essentiel pour nous, c’est de ne jamais refaire le même film.
Pensez-vous que vous auriez pu arriver au même résultat avec le Depardieu d’il y a dix ans? Il s’est beaucoup plus ouvert récemment, quand on le voit dans À l’origine…
Je ne suis pas d’accord, c’est plutôt l’inverse. Dans À l’origine, il est très mal exploité. On ne l’a vu que très maquillé récemment, dans L’Autre Dumas, par exemple. Pour nous, il a vraiment fait don de son corps (rires). Je ne sais pas si la scène de la masturbation serait passée si un autre réalisateur lui avait demandé. On a jamais fait quelque chose s’il ne le voulait pas et puis, il a énormément donné malgré ses problèmes physiques, il a une jambe presque paralysée, et il a refusé une doublure.
Comment trouvez-vous votre équilibre entre les différents modes narratifs? Entre délire et terre à terre?
On cherche avant tout à rester crédibles coute que coute. Du moment que les acteurs prennent leur rôle au sérieux, on peut faire passer beaucoup de choses, mais il y a quand même une limite. On essaie toujours de rester sur la corde raide entre le drôle et le mélo, entre le réalisme et le surréalisme. Mammuth est une soupe avec de vrais morceaux de Depardieu dedans, et une touche d’onirisme. Je n’ai aucun problème avec une situation délirante tant qu’elle est bien amenée. Par exemple, il y a une séquence que je n’aime pas trop dans le film. À un moment, les personnages se retrouvent dans une piscine en pleine mer. En soi, c’est acceptable, mais l’amorce de cette situation n’est pas totalement satisfaisante. Mais bon, on avait cinq semaines pour tourner toutes les scènes. Et Depardieu est un type très pressé, il fallait se mettre un peu à son rythme. Il ne fallait pas perdre de temps parce qu’à partir de 17h, sa concentration avait tendance à flancher.
Comme un enfant?
Voilà. (rires) Mais il était très impliqué, d’ailleurs le tournage s’est passé de manière presque monastique, quasiment sans alcool. Bon, sauf l’après-midi chez Siné, mais Depardieu n’avait rien bu lui. (rires)
À ce propos, comment avez-vous choisi vos seconds rôles? On peut voir Poelvoorde, Nahon, Blutch…
Siné est un copain de Benoît. Poelvoorde était disponible, donc on en a profité. Un film, c’est une occasion de réunir des amis mais aussi de se s’en faire de nouveaux. On cherche avant tout la dinguerie chez les gens. Les gens différents sont de loin les plus intéressants, d’où notre travail fréquent avec des handicapés mentaux, par exemple. On ne cherche pas la norme. C’est pour ça qu’on a pris Isabelle Adjani aussi, pas seulement parce qu’elle est bonne actrice.
Mammuth était le seul film français au Festival International du film de Berlin. Comment ça s’est passé?
Les allemands ont dû choisir le film parce qu’ils doivent en avoir assez des films français qui se déroulent exclusivement dans de luxueux lofts parisiens. Mammuth était en compétition, et c’est ça qui l’a sauvé, même s’il n’a rien remporté. Après, les gens ont peut-être été déroutés par l’aspect du film. On a tourné certaines scènes en Super 8, et on a utilisé une pellicule inversible, qui amplifie les contrastes. Et il y a très peu de champs/contre-champs. Le film a reçu le prix spécial du jury à Sundance par contre, mais je n’ai pas beaucoup aimé l’ambiance, c’était bizarre. Et le jury devait me haïr parce que je les avais harcelé. (rires)
Pourquoi avoir intitulé le film Mammuth?
C’est le nom de la moto en fait. Münch « Mammuth ». Ça avait été créé le jour où un gars avait eu l’idée folle de mettre un moteur de voiture dans une moto. Il doit en rester un dizaine dans le monde. Celle du film nous a été prêtée par un collectionneur. Depardieu et la moto sont un peu le couple phare du film. Il part sur une Münch avec un blouson de cuir et revient en mob’ avec une djellaba, donc c’est un film sur la décroissance en fait! (rires) Le personnage de Pilardosse apprend beaucoup. Sa nièce lui apprend l’importance de l’art brut par rapport à l’inquiétude d’amasser de l’argent pour ses vieux jours. L’art brut a toujours été fait par des quidams, comme le facteur Cheval. Je me souviens, près d’un lieu de tournage de Louise-Michel, il y avait la maison d’un artiste brut qui voulait protester contre la route construite juste devant chez lui. En voulant faire chier le monde, il avait fait quelque chose de superbe.
Où avez-vous rencontré Miss Ming? (ndlr: qui joue la nièce)
On l’avait rencontrée sur la plage, sur le tournage de Aavida. Elle est un peu illuminée, dinguo, et elle a un léger handicap mental à cause d’un accident de voiture. Elle est extraordinaire de gentillesse et de pureté, on l’a vu écrire des poèmes, jouer de la musique… Elle a un petit rôle dans Louise-Michel, une cancéreuse qui va tuer son patron. Les trois femmes du film sont extraordinaires en somme. Toutes différentes, mais toutes très belles.
Concernant la musique, aviez-vous donné des directives à Gaëtan Roussel? (ndlr: chanteur du groupe Louise Attaque)
On voulait surtout des choses simples, sans orchestre. La musique a été composée de manière empirique. Le dernier morceau a même été enregistré avec Richard Kolinka, le batteur du groupe Téléphone, qui tapait frénétiquement sur une table. On est très content du travail de Gaëtan, il travaille vite et efficacement, comme on a dû le faire nous-même en fait. On hésitait à lancer le projet cet été, puis on s’est dit que Depardieu était disponible et qu’il acceptait de travailler gratuitement, alors…
Il n’a pas été payé?
Non. C’est pour ça qu’on est à l’Étrange Festival. (rires) Mais il s’est beaucoup impliqué, et on ne sait pas vraiment pourquoi… il ne connait pas Groland… il a dû nous flairer!
Depardieu a d’ailleurs annoncé au Grand Journal qu’il retravaillerait volontiers avec vous…
Oui mais pour ça, il faudrait qu’on ait des projets… on ne veut pas faire de film pour faire un film, c’est sans intérêt. Si on a pas d’idée, alors on ne fait pas de film. C’est pour ça qu’on ne fera pas d’adaptation de roman… de BD, à la rigueur, on y pense avec Blutch mais bon…
Comment le concept du film, sur la retraite, vous est-il venu?
Oui, c’est un sujet qui n’est pas très sexy. (rires) Déjà, on parle pas mal des vieux dans Groland, et puis il y a quelques temps, Benoît a reçu un papier de la CNAV récapitulant absolument tous les travails qu’il a fait, même les plus insignifiants. En regardant le papier, il a eu l’impression de refaire sa vie à l’envers, parce que même si la vie est principalement marquée par nos amours, il faut bien avouer que le travail occupe une très grosse place également, souvent parce qu’on a été emmerdé par des petits chefs qui nous brimaient. Et on a eu la vision d’un mec en moto. De Depardien en moto, avec les cheveux longs. C’est parti d’une vision, comme pour Aaltra, où on s’était imaginé un road-movie en chaise roulante.
-Propos recueillis par Arkaron
1 commentaire
par Misutsu
J’ai adoré Aaltra, j’ai hâte de voir leur nouveau film.