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Rencontre avec Grégoire Vigneron
A l’initiative de CineFriends, nous avons rencontré avec quelques collègues rédacteurs et blogueurs Grégoire Vigneron, dont le premier film en tant que réalisateur vient de sortir sur les écrans : Sans Laisser de Traces.
Mais Vigneron n’est pas seulement réalisateur. Il est également scénariste et a travaillé avec son complice Laurent Tirard sur le Petit Nicolas et tous les deux vont adapter Astérix chez les Bretons.
Voici l’intégralité de cette rencontre, notamment en audio…
Rencontre avec Grégoire Vigneron – Sans Laisser de Traces
Laterna Magica : Vous avez toujours écrit des comédies avec Laurent Tirard et c’est lui qui réalisait et pour le premier thriller que vous écrivez ensemble, c’est vous qui réalisez : vous partagez-vous les genres ?
Le genre est venu après, c’est le sujet qui a induit le genre. Au départ c’est Laurent qui a fait de moi un scénariste, il avait vu un court-métrage que j’avais réalisé, je n’avais jamais écrit de long-métrage, il m’a téléphoné en me disant qu’il faut que l’on travaille ensemble. A cette époque je réalisais quelques pubs et je n’ai tellement pas compris ce que voulait ce garçon que je ne l’ai pas rappelé. Il a insisté –tant mieux- et on a écrit Mensonges et Trahisons, et on s’est dit on va écrire un film pour toi un film pour moi, et en fait on en a écrit trois : Molière, Le Petit Nicolas, Prète-moi ta main. De mon côté j’avais fait l’adaptation de De l’autre côté du lit, et en fait on avait écrit il y a quelques années un projet pour moi et je n’étais pas trop sûr, au moment de le réaliser j’allais du coup planter tout le monde pour écrire Le Petit Nicolas, je n’étais pas bien sûr du sujet, bon bref, je l’ai vendu puis je suis arrivé à ce sujet là. Si je suis arrivé à un thriller c’est plus par le sujet, par mon envie propre. On l’a écrit ensemble comme on écrit d’habitude, mais c’est parce que je suis préposé au thriller et Laurent aux comédies, mais parce que j’en suis arrivé à quelque chose d’un peu plus sombre.
Là on écrivait un film pour moi, c’est donc pour ça que ça a été long, parce que je me tatais. Je peux même vous dire qu’on avait vendu un autre sujet à nos producteurs, on a même été jusqu’au séquencier, une étape très avancée et là je me suis dit « Mais non, je ne peux pas réaliser ça comme premier film ». Quand j’écris pour les autres c’est plus simple, surtout quand on écrit avec Laurent mais là pour moi j’étais assailli par le doute, plus on avançait plus j’étais malheureux et je me suis dit non je ne peux pas faire ce film. Donc ça a été un moment assez pénible, c’était une comédie et je me rendais que je le tirais vers quelque chose de plus sombre malgré alors que c’était un sujet qui devait être traité en comédie. Donc il y avait un truc qui ne marchait plus. On a réajusté, on l’a pas dit tout de suite aux producteurs, on a laissé passer l’été parce qu’on s’est dit on va leur dire qu’on ne le fait plus et leur apporter en même temps la solution de rechange. Et là ils ont dit « ok on vous suit, on change de sujet, mais celui-ci a plus de problèmes que le précèdent » donc il a fallu encore une troisième étape de travail et on est arrivé à ce sujet, ensuite tout a été plus vite.
Mais j’ai fait le film que j’ai voulu faire, ça m’a coûté, j’ai eu peur, parce que les comédies se vendent mieux, marchent mieux. Ce film n’a pas eu de chaînes hertziennes au départ, ce n’était pas un montage financier évident mais j’ai été assez protégé, on m’a un peu épargné les choses mais c’était pas évident. Donc ça vient de mon propre désir.
Melty : Justement, d’où vient ce désir de vouloir faire quelque chose de plus sombre, de quoi vous êtes vous inspiré ?
Mes inspirations sont diverses et variées. Y a quelque chose d’Hitchcockien dans le film finalement, peut-être plus que ce que je pensais au départ. J’aime aussi beaucoup Woody Allen, avec Match Point effectivement, un film comme un travail de moraliste, qui travaille sur le Bien et le Mal avec des contre-pieds, ce que fait très bien Woody Allen, l’idée c’est de ne pas faire des surprises systématiques mais de travailler sur cette contradiction qu’il y a en nous. Le Bien et le Mal ce n’est pas un truc figé, clair, c’est plus relatif qu’on ne croit, c’est plutôt une dynamique qui se déplace dans le temps ET dans l’espace, et ça Woody Allen le fait très bien dans le mode humoristique.
Ce qui m’intéressait aussi c’était de prendre un bonhomme et de pas le lâcher. Benoit est dans tous les plans, tout le film est de son point de vue, y a pas une seule scène en dehors de lui, où des gens se parlerait en dehors. Ensuite, et c’est là que j’ai senti mon sujet qui arrivait, après les atermoiements dont je vous ai parlé, quand j’ai découvert que ce qui m’intéressait était le sentiment d’imposture et de culpabilité : « Est-ce que je mérite ce que j’ai ? » Et après j’ai cherché à mettre un dispositif, à raconter une histoire qui traite de ses sujets, avec des choses qui me plaisent : y a une certaine violence, y a l’argent, la réussite, le couple. C’est des choses qui me parlent dans la vie : « qu’est ce que c’est qu’un couple de 8-10 ans d’âge ? », les jeunes femmes qui sont une problématique masculine quand on rentre dans la maturité …
Melty : Y a justement Léa Seydoux, la « cerise sur le gâteau » !
Je pense que Léa est plus qu’une cerise, c’est le gâteau. J’ai été supercontent de caster Léa, elle a dit oui tout de suite. Elle est jeune, faisant le contre-point de Clémence, le personnage de Julie Gayet. Elle est charismatique, elle a quelque chose de très innocent, de très mystérieux, elle a vraiment cette dimension glaçante et super hot en même temps, le feu sous la glace.
Ce qui m’intéressait c’était les contradictions de ce personnage et c’est ce que j’ai voulu mettre en scène tout le temps à ce niveau là aussi. Elle est très importante et il y a un trajet pour son personnage, ce qu’il lui a fait accepter le rôle tout de suite.
Elle est éminemment désirable, je voulais qu’elle soit une sorte de torture et que l’on ressente ce que lui ressent en se posant la question de ce qu’on ferait à sa place, qu’on tremble pour lui alors qu’au fond il est « mauvais ».
Cinefeed : D’ailleurs le personnage fait toujours les mauvais choix pour lui , pourquoi lui avoir fait prendre toujours les mauvaises décisions ?
C’est-à-dire que soit j’ai raté mon film et quand il prend les mauvaises décisions on se dit à chaque fois « ce n’est pas possible », soit on fait « Oh non ! NON ! » mais au fond on comprend ce qu’il fait viscéralement, ce par quoi il est attiré, ce qui le motive, cette volonté de se racheter sans arrêt et c’est ce qui l’entraîne dans une spirale, parce qu’au fond c’est un mec qui veut être un mec bien. A ce moment là c’est une sorte de « leçon de morale de l’intérieur », ça me fait prendre conscience, moi, de comment je pourrais enchaîner si tout cela m’arrivait.
Je voulais avoir un spectateur actif sans arrêt et j’ai dirigé Benoît Magimel dans ce sens là. Et il a eu la grâce de me suivre sur ce terrain là, de façon très sobre, très neutre, parce que l’histoire était suffisamment forte et que s’il avait eu un jeu trop orienté ou qui fait des commentaires sur ce qui se passait, ça aurait donné des clés aux spectateurs et c’est dans ce sens qu’il est hitchcockien : c’est très neutre et c’est inéluctable, ça avance inexorablement et lui est une surface sensible sur laquelle vient s’imprimer nos propres émotions et réactions.
Mais rien n’est évident, il veut réparer mais il est attiré sensuellement par Léa et il lutte. J’aurais pu la filmer autrement, mais je suis du point de vue de Benoît et on n’est jamais sûr.
Si j’étais dans un pur film de genre traditionnel les personnages de François-Xavier et de Benoît seraient différents. Le personnage de François-Xavier, une fois que Michelet est mort, il ferait chanter Benoît il serait calculateur, s’installerait chez lui, draguerait sa femme, lui prendrait son fric comme dans un film de genre basique. Benoît, c’est pareil, il se barrerait en courant dès qu’il le pourrait… Mais ce que j’ai voulu faire c’est traiter finalement de notre matière humaine, de notre âme humaine, de façon plus précise. Ce qu’il fait alors qu’on lui dit « éloigne toi », il est motivé par des considérations morales, parce que c’est un homme sincère et pas un personnage dans un film de genre et le trouble vient de là. Je pense que ça nous rend dynamique à la vision.
Le problème c’est la référence, on est des spectateurs qui avons tout vu et donc tout ce qu’on a fait à l’écriture avec Laurent c’est de regarder le cliché bien en face et de l’éviter, non pas pour prendre le contre-pied systématique mais pour avoir des surprises liées au caractère humain. Je pense que ça nous force à réfléchir en nous divertissant.
Laterna Magica : Ce qui m’a étonné dans le personnage de Benoît est censé être un capitaine d’entreprise, un homme de caractère et finalement il subit pas mal les événements, dans une position de victime, ses choix sont imposés sans alternatives réelles.
Mais ça fait partie de ses contradictions, on m’a reproché exactement l’inverse, de lui faire dégainer son chéquier, d’essayer d’acheter les gens. Il est beaucoup plus actif qu’on ne le croit, mais il n’est pas actif dans l’agitation, il veut éloigner le problème et préserver ce qu’il a. François-Xavier, lui est une sorte de double pulsionnel, de retour du refoulé et l’idée est d’incarner les contradictions.
Lanterna Magica : Ce sentiment est renforcé par le maquillage livide de Benoît, son teint très pale, est-ce volontaire ?
Le sentiment d’imposture et de culpabilité, ce n’est pas un sentiment de bien-être et d’épanouissement. Donc oui c’est volontaire, à travers tout son univers, toutes les lignes, la construction, toute la composition du film, c’est extrêmement graphique, la façon de filmer Bruxelles sans que cela soit dit, composée de ligne, toute la froideur, c’est une esthétique du luxe assez impersonnelle : c’est ce que je voulais.
C’est un personnage qui ne s’appartient pas et à la fin du film, il aura fait un trajet, mais il faut mettre la pression, qu’il résiste, qu’il essaie sans arrêt et à la fin les choses ont évolué et bougé.
Cinefeed : Puisque vous abordez l’esthétisme, ce qui m’a marqué c’est que c’est très beau, qu’il vit dans des appartements somptueux mais très loin des drames qu’il est en train de vivre, même l’affiche qui est différente participe de cet univers graphique, pouvez-vous nous en parler ?
C’était mon idée, j’ai pris un grand soin dans les repérages, le choix de mes décors, je me suis battu pour avoir tout ça. Je voulais une grande ville et tourner de façon graphique, de lignes très composées car c’est l’esthétique que j’imaginais pour ce film. J’ai réfléchi assez longuement avec le chef op, on a regardé des films, il a eu la bonne idée de me dire « montre moi aussi des films que tu n’aimes pas » et puis on a établi une charte de l’image dont il était garant.
Puis j’ai pris un grand soin dans le découpage, le repérage, le stylisme, tout devait converger dans une direction artistique très précise de l’idée que je me faisais de ce monde-là.
Et à l’intérieur de cette chose extrêmement maitrisée : la passion humaine.
CloneWeb : J’ai une question vis-à-vis de Bruxelles : comme tout se passe en Belgique, pourquoi n’avez-vous pas fait le choix de prendre des acteurs belges ? Pourquoi Benoît Magimel et pas un acteur principal belge par exemple ?
Parce que je pensais à Benoît Magimel et que je voulais travailler avec lui et que je pensais que ça marcherait bien avec lui. J’ai construit tout mon casting autour de lui, c’était mon premier choix mais je n’ai pas pensé à Benoît pendant l’écriture. Avec Laurent, on n’écrit pas en pensant à des acteurs car sinon on s’enferme et imaginez qu’il dise non ? On est déstabilisé. Mais parfois ce que l’on fait, c’est que l’on pense à un acteur pour une scène précise, ça donne de l’angle à la scène et ça nous aide à l’écrire.
Une fois que c’était écrit j’ai réfléchi à quels sont les acteurs sur lesquels on peut monter un film déjà, quel type de film, de budget, en concertation avec la production et j’ai pensé à Benoît. Comme n’importe quel cast, indépendamment de sa qualité à lui, il y a des avantages et des inconvénients : son âge, son image et des choses comme ça. Par exemple, dans le scénario, on pouvait concevoir qu’il y ait plus de dérision et d’autodérision du personnage et en pensant à Benoît je n’ai pas cherché l’autodérision et je vais chercher quelque chose de plus solide. Il est charismatique, on va assumer ça et du coup ça induit certaines choses : j’ouvre le film sur lui qui marche avec sa voix-off, j’assume le genre dans lequel je rentre, c’est mon héros, il a les épaules et il transporte en lui cette contradiction que je cherchais à exprimer dans le film avec à la fois cette tête d’ange et ce côté voyou. Il peut être le mec droit chez les gangsters et le mec tordu chez les cleans, y a cette frontière poreuse entre le Bien et le Mal chez lui qu’il véhicule et ça m’intéressait.
A partir de ça, il fallait que son ami d’enfance ait le même âge, je connaissais François-Xavier depuis Le Petit Nicolas et je trouvais que c’était un casting audacieux, de le sortir de la comédie. Il a un côté sympathique et diabolique finalement, je ne voulais un personnage froid calculateur, mais plus viscéral et dangereux, un peu comme le barman de Shining et je trouve que François-Xavier l’a remarquablement incarné et que le tandem marche.
De même qu’entre les deux femmes il fallait que ça marche. Sur le papier on pouvait se demander si à l’arrivé, il ne regrettait de ne pas partir avec la jeune fille, ça ne marchait pas mais il fallait qu’il soit quand même très attiré donc je joue sans arrêt sur le déséquilibre, c’est une dynamique, c’est en mouvement que cela se fait.
Et les acteurs belges que j’ai croisé pour le film, j’en suis supercontent : tous mes seconds rôles sont supers, Stéphane De Groodt, son personnage est caractériel, je voulais qu’en sous-texte on perçoive cette espèce de rivalité sociale autour de la fille, que Benoît lui file entre les mains, qu’on le sente. Les scènes de confrontation marchent je trouve. On sait que Benoît est coupable, on est à sa place, on brûle de l’intérieur, on est dans une position très inconfortable, il y a une grande tension.
D’ailleurs, c’est injuste : la seule chose dont Benoît n’est pas coupable, c’est de consommer sa relation avec la jeune fille et c’est justement là qu’il se fait épingler par sa femme. Car quand on rentre dans le mensonge, et c’est comme ça que je l’ai dirigé, on ne sait plus jusqu’où on a le droit de parler, ce que l’on a droit de dire ou pas et c’est ce qui créer de la tension et ce qui fait le thriller.
C’est pour cela que je préfère l’appellation thriller à polar, ce n’est pas une enquête de police, on flippe, on tremble pour lui.
Quelles sont vos relations avec Laurent Tirard pour l’écriture ?
Ça évolue, Laurent est plus synthétique et moi plus analytique, il donne du cadre à tout ça, mais comme c’est mon film, je donne les limites, les bords, ce qu’il fait dans un film pour lui. Mais on est en dialogue permanent, on interroge ce que l’on fait et d’un commun accord on arrive à un résultat. Et même s’il faut trancher, je n’ai pas le sentiment qu’on arrive à des trucs frontaux et s’il y a des choix, forcément il y a un lead, si c’est son film ou le mien. Après c’est plus le choix du sujet, de la forme et une fois qu’on est à l’intérieur de ça, notre façon de travailler reste toujours la même.
Laterna Magica : J’ai le sentiment que le film est très très écrit et que vous avez obtenu le film que vous vouliez faire, est-ce le cas ?
Ma hantise était la perte de maîtrise et de ce point de vue là c’est un premier film. Je ne voulais pas que cela ai les défauts de mon premier film. Je suis très complexé en terme de réalisation, mise en scène, découpage, j’avais envie d’un cinéma esthétique, d’image, je n’avais pas envie d’une image moche, j’ai été très exigeant sur ce point. Je voulais une direction artistique tout à fait cohérente et concertée.
[L’alarme de l’hôtel où se déroule l’interview se déclenche, le sujet change]
Et maintenant, c’est l’avant-première ce soir, vous n’êtes pas trop stressé ?
Non je suis parti au ski la semaine dernière, ça m’a permis de décontracté car je suis un peu flippex. Je ne sais jamais quand je peux partir en vacances donc c’est un peu mal tombé mais je n’ai rien raté, on a fait la tournée province avant, tout c’est bien passé.
Et sinon, à part Astérix, vous avez déjà écrit votre prochain film en tant que réalisateur ?
Non, je réfléchis, j’ai des envies. Ça m’a plu d’être derrière la caméra car au départ je ne pensais pas être scénariste donc je savais déjà que c’était ce que je voulais faire. Donc de ce point de vue là, entre moi et moi, j’ai réussi mon exercice, j’ai mené le film à son terme, il se tient, il a une bonne facture. Après au contraire, je souhaiterai ardemment en faire un autre pour explorer, approfondir ou pour corriger. Mais c’est une grosse mise en œuvre, c’est un outil complexe le cinéma.
[Retour à la normale]
CloneWeb : Pourquoi avez-vous choisi de ne pas révéler le passé des personnages principaux ?
Parce que je pensais qu’on n’avait pas besoin d’en savoir plus ! Ce qui m’intéressait était de comprendre le lien entre eux, sans tout savoir exactement. Ce qu’on perçoit c’est que François-Xavier était leader, le fascinait mais que 20 ans plus tard, ce n’est pas celui qui était le plus extravagant qui a le mieux réussi dans la vie. C’est sans arrêt, la différence entre l’idéalisation et la réalité. Aujourd’hui : j’ai 45 ans et je suis le petit frère de mon grand frère pour toute la vie et c’est ce que je voulais qu’on perçoive aussi pour Magimel. Il se met un peu en dessous de Demaison et redevient comme quand ils avaient 15 ans. J’avais bien aimé le rapport entre les deux frères dans le film de Lumet : 7h58 ce samedi-là.
Lanterna Magica : D’ailleurs, quels sont les films que vous aimé et qui vous ont inspiré ?
Match Point, Harry un ami qui vous veut du bien pour la thématique. Pour l’aspect ésthetique : Révelations de Michael Mann ou le cinéma japonais comme un film de Masumura, Le mari était là, qui est un film en scope, totalement claustrophobe et j’ai adoré ce film, il a une facture, une forme et une utilisation du scope remarquable avec très peu de mouvements de caméra à part quelques légers pano.
Melty : En parlant d’influence, pour l’écriture, le personnage de Wilms m’a fait penser à Céline avec son gilet…
Exactement ! Totalement, c’est la référence que j’ai donné au costumier. C’est toujours la même idée : Wilms dans le film est une victime mais je l’ai habillé comme un vieux salopard misanthrope mais génial à la fois. Parce qu’être victime, c’est être dépouillé de son bonheur et c’est laid, ça rend aigris, moche. Et quand on le voit pour la première fois, il y a une surprise, on ne s’attend pas à ça, on a l’impression de voir un vieux criminel, au départ il les laisse venir, il les manipule.
Melty : Vous êtes vous aussi inspiré des dialoguistes de cinéma français comme Audiard, qui avaient des films très écrits, ciselés ?
Le film est super écrit, j’ai été un tyran avec les acteurs, pas le droit de dire de « hein… hum… bon… bein… », j’ai été hystéro-zinzin. C’est mon souci de maîtrise et parce que je pensais que les scènes devaient fonctionner comme ça. Chaque scène fait avancer l’histoire de façon irréversible et c’est donc un cinéma très écrit. J’avais une idée très précise de l’angle avec lequel jouer les scènes.
Avec Molière ou déjà avec Mensonges et Trahisons, on a ciselé les dialogues et c’est en cela que c’est un thriller mais c’est aussi une écriture de comédie, avec des pures scènes de comédies, jubilatoires. Car comme pour les comédies que l’on écrit, l’histoire doit avancer à chaque scène, les situations sont très marquées sauf qu’à l’arrivée, l’issu est tragique ainsi que la facture, l’interprétation.
Filmgeek : Depuis le début de l’entretien vous nous avez dit que vous aviez le film que vous vouliez, écrit, dirigé, dialogué, que vous étiez très strict jusque dans le cadre. Ainsi je voulais savoir si vous ne vouliez rien laisser au hasard parce que c’était votre premier film et à quel niveau vous auriez voulu laisser un peu de latitude ?
Pour bien improviser je pense qu’il faut de l’expérience et j’en manquais, comme pour le découpage par exemple. Après quand je l’ai vu à certaines phases du montage je me suis dit « Oh ! que du champ/contre-champ » et en même temps, c’est normal, ce sont des scènes de confrontations. Mais je n’ai pas de doutes lancinants, je n’ai pas de remords, car j’ai fait les plans que je voulais.
Donc là avec de l’expérience, j’ai assez envie d’en faire un autre pour le plaisir, filmer, découper.
Ensuite ce n’est pas vrai que j’ai totalement maîtrisé le film parce qu’il y a des choses que j’ai coupé au montage par exemple et qui marchaient au scénario : le film devait s’ouvrir et se fermer sur une pub mais ça ne marchait pas, ça faisait un changement de ton. Ça a été des coupes fortes qui ont enlevé une dimension d’humour et de légèreté et l’ont donc assombri un degré en plus. Et une fois que j’avais cette base j’ai fait une musique qui partait dans ce sens là, je voulais que la musique se fonde avec les nappes, avec l’ambiance jusqu’à devenir carrément symphonique par moment avec des cordes, je voulais qu’elle ait un spectre super large qui aille de l’ambiance jusqu’à la vraie musique de film.
Donc le scénario était moins noir que le film, donc à ce point de vue là je n’ai pas tout maîtrisé mais je n’ai pas de regrets.
Pour le prochain film, comme je pense qu’une histoire induit sa forme et comme je ne sais pas du tout ce que sera le sujet, peut-être qu’il sera entièrement à l’épaule, chaotique, par exemple.
En fait si, quand j’ai eu fini le film, j’ai eu un regret : tant qu’à faire j’aurai aimé plus d’action, plus de violence physique ! C’est curieux parce que je ne m’y attendais pas. Maintenant ça c’est éloigné de moi, mais juste après la fin du tournage, j’ai eu envie. Pourtant il y en a déjà, des pentes de violences, éruptives, explosives, à l’image de la pulsion : quand ça vous pète à la gueule, ça vous pète à la gueule !
1 commentaire
par kdace
Interview intéressante, c’est pas si souvent qu’un réalisateur explique et justifie son travail