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Au programme de cette série de critiques : un adaptation queer de Comme Il Vous Plaira de William Shakespeare par le cinéma taïwanais, un film de science-fiction américain ayant fait le tour des festivals et un film d’animation de fantasy (!) passé en séance de minuit au Festival d’Annecy.
As We Like It, de Muni Wei & Chen Hung-I (2021)
Depuis les années 90, le cinéma Taïwanais s’est notamment spécialisé dans les questions queer, en échangeant à tort et à travers les genres des acteurs/actrices et des rôles joués.
As We Like It s’inscrit parfaitement dans cette démarche puisque c’est une adaptation assez libre de la pièce de Shakespeare « As You Like It », ou « Comme il vous plaira » en français, et l’on suit plusieurs couples qui se cherchent dans un Taïwan fantaisiste, avec au cœur du film un jeune pilote amoureux d’une femme qui va se travestir en homme pour tester la sincérité de son prétendant.
Très vite, le film étonne par son foisonnement permanent, l’énergie et la joie de son casting étant rattrapée par une mise en scène colorée qui donne volontiers dans les effets pop, en convoquant de l’animation au milieu du live, en jouant sur des petits détails amusants çà et là (par exemple, un personnage porte une chemise à motifs avec des papillons, ces derniers bougent sur le textile…) ou en reprenant l’habillage de certains jeux vidéo au moment d’une scène de combat ou d’une course-poursuite. Cette profusion d’effets et de joie a de quoi déboussoler en début de long-métrage, avec une exposition un peu confuse pour bien situer les différents groupes de ce film chorale, d’autant qu’ils n’ont pas tous la même importance, et globalement l’ensemble recouvre sans doute un effet trop plein, comme le prouvent certaines circonvolutions narratives pas franchement nécessaires au récit, et un rapprochement au matériau de base qu’il essaie tout aussi vite de distancer.
Et pourtant, malgré ses envies parfois boulimiques, As We Like It charme par sa quête d’un amour absolu, le film rejetant la perte du lien humain due à la surconnexion des réseaux numériques en l’intégrant directement dans son univers avec des zones sans internet par exemple.
Plus encore, il questionne constamment le genre avec un casting quasi intégralement féminin, même pour les rôles masculins, pour mieux brouiller les frontières et appuyer son propos.
Certaines trouveront sûrement ça mièvre, et ce serait difficile de leur donner tort, mais l’ensemble possède une fièvre romantique envoûtante, avec une foi sans limite dans la bonté du genre humain, et il en ressort un bonbon acidulé et pop certes parfois hasardeux, mais toujours adorable.
Lapsis, de Noah Hutton (2020)
Sélectionné pour ouvrir cette 20ème édition du NIFFF après être passé par SXSW ou Fantasia, Lapsis peint un monde où la technologie s’est centralisée dans de nouveaux ordinateurs appelés Quantum.
Pour supporter la demande de bande passante toujours plus croissante, des entreprises emploient des câbleurs, à savoir des randonneurs traversant le pays pour tirer des câbles avec des chariots rouleurs afin de relier physiquement les énormes unités centrales cubiques situées partout sur le globe.
Un homme réfractaire à la technologie va devoir céder à ce nouveau métier uberisé pour payer des soins médicaux à son fils, et découvrir le merveilleux monde de la randonnée connectée, où un GPS guide vos moindres pas et pauses, pour relier les fameux cubes de Quantum.
Si la peinture d’une exploitation humaine toujours plus grande face à la technologie plutôt que l’inverse est on-ne-peut-plus claire dans sa volonté de pointer du doigt une humanité asservie par sa propre création et qui ne s’en rend même plus compte, Lapsis a aussi le souci de ne pas avoir poussé les potards à fond, et d’être assez plat dans son humour, ses personnages ou son environnement, dénonçant le phénomène comme s’il défonçait une porte ouverte. La banalisation extrême dont il fait preuve, et qui peine à provoquer une quelconque indignation, peut aussi être vue comme voulue, pour montrer l’aspect extrêmement pernicieux des méga-corporations visées, qui arrivent à installer leurs services et pratiques au quotidien si bien qu’on ne se rend même plus compte des méfaits et du caractère nocif de ses pratiques tant on les a acceptés et intégrés. Si tel est le cas, on ne peut pas retirer une certaine réussite au film, qui peine grandement à provoquer quoi que ce soit tant ses personnages, ses situations et son humour peinent à bousculer l’encéphalogramme de l’ensemble, y compris dans les quelques éléments qui montrent l’absurdité totale de la situation, comme le simple fait que les personnages font appel à des drones qui livrent directement sur leur position un nouveau rouleau de câble à chaque fois qu’ils en viennent à bout, et qui pourraient très bien faire le boulot et les trajets à leur place.
Pour le reste, un Black Mirror rempli le même travail avec bien plus de panache.
The Spine of Night, de Philip Gelatt & Morgan Galen King (2021)
Alerte maximale pour tous les amateurs de fantasy débridée et n’ayant pas froid aux yeux : The Spine of Night est là et risque de cocher bien des cases sur votre échelle du plaisir !
C’est un film d’animation qu’on imagine un peu fauché imaginé par des zinzins de fantasy, dont un de scénaristes de Love, Death & Robots et de Shadow of the Tomb Raider, où une femme guerrière et chaman va monter en haut d’un mont enneigé en quête d’une fleur bleue. Sur place, elle va rencontrer le gardien de ce trésor, et les deux vont se raconter toutes les mésaventures qui ont mené à cette rencontre. On découvre alors un vaste univers qui mêle médiéval, steampunk et gothique, pour une trame où la soif de pouvoir de l’homme, et son envie de se frotter aux dieux, le mène évidemment sur un chemin tyrannique et de soumission des peuples.
Le style visuel du long-métrage en rebutera plus d’un puisqu’il compile des arrières plans et des décors peints absolument somptueux, qui ressemblent par exemple à la patte visuelle de Timothée Montaigne sur les versions illustrées de The Witcher, mais les personnages et toutes les parties animées au premier plan tiennent plus du line art et d’une animation plus simple et assez rigide, rappelant notamment l’animation des jeux Dragon Lair en moins cartoon.
Le résultat n’est pas toujours des plus beaux, mais reste d’une intégrité absolue tant cette quête médiévale célèbre tout un pan de l’imaginaire, en invoquant Robert E. Howard, Tolkien et bien d’autres, avec une violence sans limite dans les affrontements riches en démembrements et envolées d’hémoglobine, le tout sans aucune restriction visuelle à l’image d’une héroïne et de quelques personnages constamment nus !
Le jusqu’au boutisme de l’entreprise fait plaisir à voir, d’autant que la narration en réfère directement à la tradition de récits oraux et folkloriques, et un casting vocal aux petits oignons vient parfaite le plaisir extrêmement geek de cette entreprise, puisque l’héroïne est doublée par Lucy Lawless, a.k.a Xena la Guerrière en personne !
Bref, le tout transpire l’amour du genre à chaque instant malgré une facture technique un peu bancale, et on espère que ses auteurs auront de quoi mettre les bouchées doubles pour la suite, car cela risque bien d’être glorieux !