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NIFFF ’23 : Pod Generation, The Abandoned, Double Blind, Sky Dome 2123
Pod Generation, de Sophie Barthes – Sortie en salles le 25 octobre 2023
A l’heure où ChatGPT, Midjourney et autres I.A sont sur toutes les langues et ont fait une entrée fracassante ces derniers mois dans nos vies, le NIFFF a pris le pli aussitôt avec comme mascotte D.IA.NE, une intelligence artificielle sous forme de femme bleutée qui prend le contrôle du festival.
Histoire d’être cohérent dans cette ligne, le film d’ouverture ne pouvait que nous plonger dans un futur où la technologie continue de bouleverser notre rapport au monde, et Pod Generation répond à cette prérogative en imaginant une société pas si lointaine dans laquelle chacun possède une I.A dans sa maison, un peu comme Jarvis dans Iron Man ou un Google Home/Amazon Alexa surboosté.
Mais surtout, le couple au centre du film joué par Emilia Clarke et Chiwetel Ejiofor va voir son quotidien bouleversé lorsque Madame décide, bien poussée par son employeur, de passer par une entreprise d’un nouveau genre pour avoir un bébé, à savoir dans un utérus artificiel indépendant, sous forme de gros œuf high-tech. Un peu comme si Apple vous permettait de vivre une grossesse connectée en retirant un sacré poids et tous les soucis de santé, remplaçant vos soins par des cartouches à donner à l’œuf, et une application permettant de gérer la croissance de l’embryon…
Un concept d’autant plus curieux et amusant que le soin apporté à la direction artistique du film rend la chose plutôt crédible, en ayant bien en ligne de mire les designs épurés de la marque à la pomme, pour mieux laisser la place au dilemme moral et philosophique que va engendrer cette drôle d’invention, d’autant plus souligné que le mari est un biologiste amoureux des plantes qui en a marre de voir l’humanité se déconnecter de la nature à mesure que la technologie remplace n’importe quel élément naturel. Si la mise en place du concept est plutôt amusante, le film a le malheur de vite tourner pendant 20 minutes autour de dialogues entre nos 2 tourtereaux pour justement mâcher toutes les thématiques du film, sur le degré d’aliénation de la technologie dans nos vies, la part de naturel à garder, la perte de connexion aux choses les plus basiques et la frontière poreuse entre l’outil et l’utilisateur, ou inversement. La place de la femme dans la société est évidemment questionnée, avec cette idée pertinente d’un monde du travail implacable qui délocalise la naissance pour mieux garder ses travailleuses, et tout ça ferait donc un parfait épisode de Black Mirror, sauf qu’ici ça dure presque 2 heures, et que la réalisation assez molle, et un humour timide qui n’ose jamais aller pleinement dans l’absurde, finissent par faire traîner la patte à un film qui s’étire trop pour son bien, fait vivre des revirements de personnalité un peu facile à certains persos pour remettre de l’eau au moulin, et semble vouloir juste tirer le plus longtemps possible profit de son concept d’œuf connecté, tant pis si ça tourne en rond et si tout le bagage théorique a été explicité, rendant la chose un peu lourdingue, d’autant que le duo principal ne brille pas particulièrement par son jeu.
Bref, d’un concept atypique et amusant, Pod Generation finit par s’enliser par envie de bien faire, et sonne un peu trop scolaire.
The Abandoned (2023) de Tseng Ying-Ting
Direction Taiwan avec The Abandoned, un thriller bien costaud de 2 heures où la joie de vie règne, puisqu’une inspectrice de police rate de peu son suicide le soir du nouvel an en découvrant un cadavre sur les berges de la ville. En cherchant l’identité de la morte, elle va croiser le chemin d’un intermédiaire pour immigrés, et plonger dans une sombre histoire de serial killer s’en prenant aux sans-papiers.
Posant méticuleusement ses personnages, avec aussi une jeune policière fraîchement diplômée qui va suivre notre héroïne, Tseng Ying-Ting parvient à faire monter l’attachement petit à petit aux personnages de son film sobre et grave, pour mieux donner du sens au titre et à la dramaturgie. Ici, les abandonnés sont de tout bord, qu’ils aient des peines de cœur, qu’ils n’aient plus de maison ou que la société les rejette, tout ça se recroise finalement dans un statut émotionnel fragile, une tristesse pesante et universelle qui puise son origine au cœur de la condition humaine, étant susceptible de toucher n’importe qui. Réussissant à faire valoir cette vérité au sein de ses rouages narratifs, le film parvient à un climax émotionnel assez rapidement, et doit tenir son 3ème acte sur son enquête policière ramenée au burin, tombant dans des codes déjà éculés et citant pêle-mêle Millenium ou Memories of Murder sans tirer son épingle du jeu, revenant à un récit plus conventionnel.
Le gros de l’émotion est déjà passé, et jamais The Abandoned parvient à revenir à un tel niveau, comme si le fond de l’histoire était déjà passé, laissant ses rouages tourner un peu à vide sur la fin. Cela étant, l’ensemble reste élégant, et les faiblesses du film n’atténuent en rien son cœur émotionnel.
Double Blind (2023) de Ian Hunt-Duffy
Les essais pharmaceutiques, c’est rarement reluisant, et c’est précisément ce que vont découvrir les personnages de Double Blind, thriller horrifique dans lequel une bande de jeunes précaires vient s’enfermer dans une clinique aux allures de bunker pendant 5 jours pour tester un nouveau médicament. Vous vous en doutez, tout ça ne va pas se passer comme prévu, sinon il n’y aurait pas de film ! Petit à petit, les visions dérangeantes vont s’imposer aux cobayes, et ils vont réaliser trop tard que les dosages ont été trop forts, et qu’ils doivent absolument rester éveillés pour ne pas mourir, tandis que l’établissement est placé en quarantaine. Bon, on ne va pas chercher l’originalité ici, tant Double Blind aligne son programme de petite série B horrifique sans jamais briller ou surprendre, mais en tenant suffisamment la barre pour que la chose passe vite, avec sa durée d’1h30 pétantes, son atmosphère pesante et des personnages esquissés juste ce qu’il faut pour qu’on ne décroche pas en chemin.
Il n’y a rien d’innovant là-dedans ou que vous n’ayez pas vu ailleurs en mieux, mais ce premier film de genre remplit son contrat, ni plus, ni moins.
Sky Dome 2123, de Tibor Bánóczki & Sarolta Szabó
Le futur, cette perspective réjouissante avec des voitures volantes, plus aucune maladie et une humanité qui avance main dans la main… Ah pardon, on me dit dans l’oreillette que je me trompe, car White Plastic Sky imagine un avenir bien plus pessimiste, où l’humanité est repliée dans des villes sous cloche (ici Budapest), vu que l’intégralité des terres est désormais dépourvue de vie, que toute la faune et la flore de la planète a foutu le camp, et que les êtres humains font don de leur corps à 50 ans pour qu’il soit fertilisé, afin que la population survive. Et c’est dans ce cadre pas franchement chaleureux qu’une femme va se porter volontaire pour donner son corps à la science bien avant la date prévue suite au décès de sa fille.
Sauf que son mari ne l’entend pas de cette oreille, et va infiltrer les usines en question pour essayer de sauver sa femme, contre son gré… Il faut bien l’admettre, le synopsis de White Plastic Sky est difficile à accepter vu que le héros opère assez égoïstement, d’autant que ce film d’animation en rotoscopie (comme A Scanner Darkly ou Waking Life de Richard Linklater) s’avère très froid dans son style graphique et dans son ambiance globale, avec son tempérament hongrois assez cérébral et contemplatif.
Et si cela ne suffisait pas à rendre la chose pas toujours simple d’accès, les acteurs principaux qui ont servis de modèle à l’animation sont tout aussi peu chaleureux, pour ne pas dire pas toujours convaincants, ce qui est un comble pour un tel film.
Et pourtant, par sa vision post-apocalyptique écologique d’un pessimisme sensible, difficile de ne pas adhérer au projet du film, qui égrène l’ensemble de péripéties certes assez difficile à gober, mais qui tout du long dépeint un futur étrangement palpable, franchement flippant, et finalement et malheureusement plausible. Bref, un film concept qui ne prend pas toujours le spectateur par la main, et dont l’animation possède quelques ratés (ces textures baveuses de terres brûlées, brrr…), mais qui a le mérite d’aller à fond dans son projet, avec une acuité qui fait froid dans le dos.