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NIFFF ’23 : Mami Wata, Raging Grace, Until Branches Bend, Animalia
Mami Wata (2023) de C.C. ‘Fiery’ Obasi
Comme tout bon festival qui se respecte, le NIFFF a toujours à cœur d’être une vitrine pour le cinéma mondial et de présenter des œuvres venues d’horizons lointains.
Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de voir un film venu du Nigéria, quand bien même il y a des fonds suisses dedans (et non français !), et Mami Wata propose donc une fable Africaine dans des terres reculées, où un village tout entier vit sous le joug d’une matriarche/chamane prétendument pourvue de pouvoirs divins. Alors que ses deux filles veulent un peu faire évoluer les pratiques, une rébellion dans la population se joue devant l’absence de preuves concrètes, et tout ce beau monde va être en plus perturbé par l’arrivée d’un étranger sauvé de la noyade, connaisseur du monde moderne et catholique de surcroît. Confrontant tradition et modernité, et croyances à la pratique et la promesse d’un monde moderne, Mami Wata met en exergue la cruauté de l’humain et sa perte de repères quand il se déconnecte de ses racines.
Filmé avec un budget qu’on imagine ridicule, Mami Wata se distingue par son noir et blanc magnifique, et des cadres proches des visages, où les peintures faciales blanches sur la peau noire des personnages donne encore plus de reliefs et met en exergue leur spiritualité, comme si c’était des paysages à part entière, avec des compositions picturales du plus bel effet. Les décors sont restreints, le tout joue sur un minimalisme aux allures de conte, et globalement cette petite production l’emporte par l’aura qu’elle dégage et une authenticité de chaque instant, nous plongeant dans un folklore certes local, mais aux résonances plus larges.
Raging Grace (2023) de Paris Zarcilla
L’héroïne de Raging Grace est une jeune femme de ménage débrouillarde, qui planque sa fille dans ses bagages, dort dans les logements des riches clients de son entreprise quand ils n’y sont pas, et fait tout ce qu’elle peut pour survivre sans papiers en Angleterre.
La situation va changer du tout au tout quand on lui proposera de s’occuper de la maison d’une famille noble dont le patriarche est dans le coma dans la chambre du haut, pendant que sa nièce gère les finances de loin.
Une offre qui va vite s’avérer douteuse, suite à la découverte de la médication à outrance du doyen par la dite nièce, et d’un complot dans ce beau décorum doré…
S’amusant à détourner les genres et les tons, Paris Zarcilla livre un drôle de film avec Raging Grace, tournant en dérision certains codes du genre horrifique, notamment avec des jump-scares provoqués par la fameuse Grace, la fille de l’héroïne, dont le visage poupon et tout mignon désamorce aussitôt l’effet pour finalement provoquer le ravissement. Des Kawaï-scares !
Avec un fond politique chargé, où cette femme se démène nuit et jour pour permettre à la noblesse de mener sa vie pépère sans en branler une, Raging Grace va vite opérer un virage plus fantastique un peu précipité et forcé, même si l’ensemble s’avère cohérent dans le propos, et on peut regretter quelques maladresses narratives, avec certaines conventions traitées de façon un peu basique, en contraste avec la légèreté et l’inventivité du début, mais globalement, c’est un hybride plutôt réussi, dont le glissement progressif vers l’horreur fait sens et s’avère être une réflexion pertinente contre le passé colonial britannique et certaines mauvaises habitudes toujours un peu trop ancrées dans le tempérament du pays.
Franchement, on prendrait bien la même par chez nous !
Until Branches Bend (2022) de Sophie Jarvis
Au beau milieu du Canada, dans une région reposant majoritairement sur la culture de pêches, une jeune femme travaillant à l’usine va découvrir lors d’une pause un fruit pourri en fin de chaîne, avec un insecte en son sein. Après avoir prévenu sa hiérarchie en vain, elle va approcher les autorités sanitaires, ce qui va vite avoir des conséquences fortes sur la communauté, impactée par la fermeture des récoltes au plus haut de la saison, qui la prendra vite en bouc-émissaire…
Dépeignant la lutte entre un grand groupe alimentaire et les petits gens, Until Branches Bend étonne par l’écriture de son héroïne, une madame tout le monde un peu gauche et mal lunée, telle une anti-héroïne qui pourrait presque sortir d’un dessin animé type La Famille de la Jungle.
Une enquêtrice un peu weirdo en quelque sorte, dont le caractère singulier est traité finalement avec une grande décence tant c’est la curiosité et l’envie de bien faire qui la mettent en marge de la société alors qu’elle œuvre à bon escient et avec prudence, parce qu’il faut bien que quelqu’un s’y colle.
Le film va pousser le trait social en lui donnant une grossesse non désirée qui va évidemment être un parcours du combattant pour avorter, et tisser un parallèle un peu étrange entre le fruit pourri au cœur de l’intrigue et celui qu’elle porte en elle, comme si finalement, la société n’avait que faire des dangers sanitaires et moraux qu’elle encourt, tant que le statu quo est respecté et que la majorité peut mener sa petite vie, en se chargeant le moins possible la conscience des dangers qui l’entoure.
L’idée de garder tous ces enjeux à un niveau banal, dans le quotidien d’une petite ville, donne de l’ampleur au sujet tant c’est finalement ceux qui subissent le plus les conséquences des décisions des puissants qui sont au cœur du film, mais malheureusement Sophie Jarvis force le trait à l’écriture dans un récit pas exempt de lourdeurs et de répétitions, notamment quand l’héroïne part en délire psychologique à force d’être harcelée, ce qui arrange bien le scénario pour l’enfoncer facilement un peu plus et ajouter du drama à l’emporte-pièce, tout comme le film offre un plan puissant très équivoque vers la fin du film, qui ferait office de conclusion parfaite si Jarvis ne passait pas encore 5 minutes par la suite à tout expliciter, inutilement.
Ces quelques balbutiements et hésitations empêchent Until Branches Bend de réussir pleinement, mais il n’en reste pas moins un drame intéressant et un peu étrange malgré ses lourdeurs.
Animalia, de Sofia Alaoui – Sortie en salles le 9 août 2023
Lutte des classes, on continue, avec Animalia, dont l’héroïne issue des milieux berbères au Maroc s’apprête à épouser le fils d’une famille très riche là-bas, dont elle attend un enfant.
Ce n’est pas pour autant qu’elle est bien considérée par sa belle-famille, qui la regarde un peu de haut et exige l’excellence à tout moment, l’oppressant sur le moindre geste, tandis que son futur mari lui promet monts et merveilles et est à fond dans son projet de business d’import-export, là où elle aspire à une vie simple.
Soudain isolée dans un palace au milieu de nulle part suite à des évènements météorologiques étranges dans le pays, elle va partir bien malgré elle en road trip pour retrouver son mari, et traverser une nation en proie au doute alors que les animaux semblent se regrouper de toute part, comme si la nature avait soudainement décidée de dire merde à l’être humain et d’organiser la résistance.
Avec son atmosphère mystique et mystérieuse, Animalia s’avère assez vite fascinant grâce à l’élégance de son fantastique, qui en montre souvent peu, joue la sobriété, avec des images simples et fortes, telle une réunion de chiens en pleine rue la nuit, tous alignés en rond, ou la présence menaçante d’oiseaux partout à la manière d’Hitchcock.
Le film va même sur un terrain assez sulfureux lorsqu’il confronte la religion musulmane et sa pratique aux dits animaux, comme si les éléments primaires reprenaient leurs droits sur l’homme et ses croyances, apportant finalement peu d’importance aux prières et aux cultes, qui n’ont pas empêchés l’humain de se décolérer de son environnement et de se perdre sur le chemin.
Avec ses paysages majestueux, son héroïne filmée avec délicatesse et certaines visions ésotériques frappantes, Animalia fait preuve de goût et de subtilité, proposant un fantastique assez poétique à son meilleur. Hélas, le troisième acte amène le film sur un penchant trop explicatif, qui jure quelque peu avec son approche jusque-là et en atténue la portée, mais il reste une jolie proposition dans le genre, profitant pleinement de son décorum et nous présentant une cinéaste dont on a hâte de voir l’évolution, tant ce premier essai est prometteur, et toujours convaincant à l’écran sans en faire des caisses.