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Rencontre avec un Monty Python : l’Imaginarium de Terry Gilliam #1

Alors qu’il monte tranquillement son prochain projet sur Don Quichotte, Terry Gilliam parcoure l’Europe pour la promotion de son Imaginarium. Hier et ce matin, il était à Lyon pour présenter le film en avant-première, et donner une conférence de presse à un petit groupe de journalistes locaux.
Nous étions bien entendu dans la salle pour poser quelques questions au réalisateur, avant d’enchainer par une deuxième rencontre à Paris, lisible ici.

L’Institut Lumière, en partenariat avec UGC et Metropolitan Film Export, a organisé l’avant-première de L’Imaginarium du Docteur Parnassus dans deux salles hier soir. J’ignore ce qu’il en était au Hangar du Premier Film, mais la plus grande salle de l’UGC Ciné Cité était comble. Lorsqu’à 20h monsieur Gilliam a fait son entrée, le public s’est levé et lui a fait une telle ovation qu’il en était gêné. Sa courte présentation consista alors à nous parler rapidement du processus de production, de Heath Ledger, et du produit fini. Nous demandant enfin de ne pas trop en attendre, il quitta la salle et fila à L’Institut Lumière pour l’autre séance.

Ce matin, la Villa Florentine accueillait la conférence de presse, qui commença d’ailleurs avec une bonne demi-heure de retard. Ci-dessous, la retranscription de la séance de questions/réponses.

Quel a été le point de départ de ce film?
Ça a commencé avec deux choses. D’abord, j’avais envie de faire un condensé de mon travail, de ce que j’ai fait ou de ce que j’aurais pu faire. Ensuite, j’ai eu l’image de cette vieille roulotte plongée dans la modernité de notre société, cette roulotte qui semblerait à la fois étrange et fascinante, et qui véhiculerait l’idée que notre monde est trop occupé à boire et à acheter qu’il ne voit plus les merveilles qui l’entourent.

Jusqu’à quel point le personnage du Docteur Parnassus peut-il être vu comme une transposition du cinéaste?
(rires) C’est assez transparent. Tout le monde aimerait avoir le succès d’un George Lucas ou d’un Steven Spielberg, mais tout le monde ne l’a pas. Je voulais c’est vrai faire un film plus tout public que Tideland, mais surtout, je voulais faire un film pour un public passionné car je préfère de loin la qualité à la quantité.
D’ailleurs, on m’a rappelé hier soir à l’Institut Lumière que la fin de mon film était un hommage à Georges Miélès, qui a fini sa vie vendant des jouets devant une gare.

Le film ressemble beaucoup à une pièce de théâtre. L’introduction fait office de prologue, les masques et la roulotte rappellent la Comoedia Dell’Arte, Parnassus est un Roi Lear moderne, etc. Y avait-il une idée précise derrière cette construction théâtrale?
Je travaille beaucoup à l’instinct, et lorsque je tourne un film, je fais les choses que j’aime sans forcément penser à leur nature. Il est vrai que le côté théâtral fait partie intégrante de mon œuvre, vous trouvez un théâtre dans Bandits Bandits ou dans Les Aventures du Baron Munchausen. Dans un petit théâtre comme l’Imaginarium, les personnages seront obligatoirement théâtraux, mais j’aime surtout l’âme et la magie du théâtre donc des figures comme le Roi Lear ou Prospero se retrouvent souvent.
Autre chose, j’aime questionner le naturalisme au cinéma, parce que le cinéma d’aujourd’hui semble très ancré dans la réalité, or je préfère le côté hyper-réaliste du cinéma, qui même s’il est un artifice, est intéressant parce qu’il est différent de la réalité.

Au final, le film correspond-il à ce que vous aviez imaginé?
Non parce que j’ai eu besoin de trois autres acteurs pour complèter le rôle de Heath. C’est toujours le même film, nous n’avons rien changé du script si ce n’est l’idée que le visage d’une personne pouvait changer en traversant le miroir.

Le malheur récurrent qui s’acharne sur vous depuis quelques films vous donne-t-il une énergie supplémentaire ou vous abat-il parfois?
Je suppose que ça se passera toujours comme ça parce que l’idée très répandue qui fait passer le tournage d’un film pour une chose facile est fausse. C’est très difficile. Je connais bien d’autres cinéastes ayant rencontré des problèmes similaires, la seule différence c’est qu’il n’avaient pas une équipe de reporters sur le plateau.

Peut-on voir en Mr Nick (le diable) une transposition du costard-cravate Hollywoodien tel que vous avez dû en affronter à maintes occasions?
Non, Mr Nick est bien plus intelligent qu’eux. C’est aussi quelqu’un d’agréable, contrairement aux exécutifs d’Hollywood. Dans le film, Parnassus et Mr Nick sont des personnages à la fois très colorés et très humains, et j’aime l’idée qu’en fait, ils n’ont probablement pas d’autres amis.

On peut remarquer que l’Imaginarium utilise beaucoup de thèmes précédemment traités dans votre filmographie, et vous affirmez vous-même avoir voulu condenser votre art dans ce film. Pensez-vous avoir bouclé une boucle et pensez-vous passer à autre chose ensuite?
Je me souviens m’être demandé que faire après avoir terminé L’Imaginarium, qui réunit une bonne partie de mes idées, pour quel projet pourrais-je être aussi enthousiaste. Finalement, j’ai relancé Don Quichotte et le film grandit organiquement, un peu comme une sculpture qui change jour après jour. Je sais exactement où je veux arriver, mais j’ignore encore quels chemins j’emprunterai.

À chaque passage de l’autre côté du miroir, les personnages doivent choisir le bien ou le mal. Que choisiriez-vous si vous franchissiez vous aussi le miroir?
(rires) J’ai déjà vu le résultat chez quelqu’un qui fait le mauvais choix et je ne pense pas avoir envie de finir comme ça. Ce qui est intéressant avec les choix, c’est qu’aujourd’hui nous sommes censés avoir des milliers de choix chaque jour de la semaine: comment voulez-vous votre café, par exemple? Prenez Starbucks. C’est le mal incarné, il faut le détruire! (rires) Je veux juste une tasse de café! C’est ainsi que nous avons raisonné: l’homme déteste devoir choisir. Et puis tout n’est pas une question de bien et de mal.
Dans le film, faire le bon choix mène à une illumination, une explosion de ce que les personnages sont, tandis que choisir le mal revient à être saisi par la diable. Dans la vie, faire des mauvais choix n’implique pas nécessairement de faire le mal.
Je me suis toujours demandé ce qui se passait chez ses femmes qui vont vers leur mort dans un espèce d’envol orgasmique… ça ne doit pas être si mauvais.

Vos films sont très oniriques. Quand vous rêvez, vos rêves ressemblent-ils à ça, est-ce aussi hallucinant, ou l’inspiration vient-elle plus d’expériences personnelles?
Mes rêves sont très physiques, je me réveille toujours épuisé. Il y a tant de montagnes à gravir, de lieux à visiter ou d’endroits à survoler.

L’équilibre entre la narration et l’histoire elle-même est un débat récurent chez les cinéphiles. Qu’en pensez-vous?
Je crois que les anglo-saxons sont beaucoup plus obsédés par la narration que les cultures latines. J’ai lu une critique de L’Imaginarium il y a quelques temps qui disait « Oh, c’est l’histoire d’un type qui doit sauver sa fille des griffes du diable, mais il n’y pas de suspens ou de tension, ça ne marche pas. » Je lui ai répondu qu’il ne voyait que le cintre au détriment de la magnifique robe qui y était accrochée.

Pourquoi avoir choisi ces trois acteurs pour remplacer Heath?
Après la mort de Heath, j’ai appelé Johnny Depp et lui ai dit que j’hésitais à tout arrêter. Il m’a répondu qu’il serait là quelque soit ma décision. J’ai ensuite appelé des acteurs susceptibles d’avoir été des amis de Heath, et Jude Law et Colin Farell ont pu arranger leurs emplois du temps pour venir tourner. Ce fut aussi simple et compliqué que ça.

Pourquoi trois acteurs et pas un seul?
Il était inconcevable pour moi qu’un seul acteur remplace Heath, et comme le personnage passe trois fois par le miroir, j’ai voulu trois acteurs.

Finir le film vous a-t-il permis de faire votre deuil?
Non, ça ne marche pas comme ça. En fait, nous avons en quelque sorte continué à travailler avec Heath pendant 6 à 8 mois dans la salle de montage, c’est juste qu’il n’était plus là le soir pour partager le repas. C’est aussi ça le pouvoir du cinéma. Cette période nous a tous permis d’accepter progressivement la disparition de Heath. C’est aussi une bonne leçon à retenir pour les jeunes acteurs: soyez à l’heure sur le plateau de tournage, sinon trois superstars viendront vous prendre la place. (rires)

Le concept faustien est très présent dans votre film, et vous dîtes vous-même avoir utilisé d’autres références. Est-ce que vous pensez à ces références au moment de l’écriture du script ou est-ce que vous y pensez après coup, à la relecture ou pendant le tournage?
C’est un peu des deux en fait. Je lis beaucoup, je regarde des films, observe des peintures, donc j’emmagasine beaucoup d’informations qui finissent par former des combinaisons qui vont se retrouver dans mon film. Parfois, j’en suis tout à fait conscient, d’autre fois, j’ai besoin de journalistes comme vous pour me le rappeler. Ce que je trouve fantastique aussi, c’est de lire des critiques et de réaliser que d’autres gens ont vu des choses dans mon film que je n’avais pas vu moi-même. J’aime cette idée que le film n’est qu’un point de départ qui sert à propulser l’imagination des autres.

Qu’en pense votre psy?
Mais vous êtes mes psys! C’est pour ça que je ne vais jamais voir de spécialistes, je mets tout ça dans un film et laisse les gens décider si je suis fou ou pas. Je pense que mes films ont des fins ouvertes, ils posent plus de questions qu’ils n’apportent de réponses. La plupart des films se suffisent à eux-même: vous y allez pour deux heures, il y a un début, un milieu et une fin et basta. J’aime laisser des éclats d’obus dans l’esprit des gens pour qu’ils puissent régir, discuter, voire s’énerver en reparlant du film un peu plus tard.

Avez-vous déjà été tenté de faire un film formaté pour avoir un gros succès au box-office et ensuite pouvoir faire le film que vous voulez?
Mon plus gros succès sur le sol américain reste Bandits Bandits, qui m’a permis de faire Brazil, qui à son tour m’a permis de faire Munchausen. J’ai eu assez de chance dans le sens où chacun de mes films a rapporté assez d’argent pour me permettre de continuer. Tideland par exemple s’adressait à un public assez restreint alors que celui-ci est destiné à un très large public. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que L’Imaginarium est autant pour les enfants que pour les adultes. Les enfants de 7 ou 8 ans l’adorent, au même titre que les vieux comme moi. Un jour, un critique a dit à propos de Bandits Bandits: « Assez intelligent pour les enfants, et assez excitant pour les adultes. »

Est-ce une coïncidence que le film sorte peu avant Noël? Peut-on le voir comme une fable de Noël?
Je crois que c’est une coïncidence en effet. Je voulais que le film sorte au printemps, mais des problèmes de distribution aux États-Unis ont retardé le programme. L’accord a été passé il y a environ deux mois, et nous avons enfin pu prévoir les dates de sortie. Il sort d’ailleurs le 25 décembre en Amérique, donc vous pouvez peut-être le voir comme un cadeau de Noël (rires). Je trouve ça amusant que les américains soient les derniers à découvrir ce film. Évidemment, on pourra compter un bon nombre de copies piratées d’ici le 25 décembre aux États-Unis.

Pour quelqu’un qui a commencé par des animations rudimentaires au sein des Monty Pythons, comment avez-vous vécu la révolution numérique? En quoi cela a-t-il changé votre traitement des effets spéciaux?
En fait, j’ai lancé ma propre société d’effets spéciaux après Sacré Graal, et tous mes films y sont passés. On a commencé avec des maquettes, mais quand le numérique est arrivé, et bien nous nous sommes adaptés. J’utilise simplement le meilleur outils pour parvenir à mes fins. Ou l’outil le moins cher.
J’ai souvent l’impression aujourd’hui que certains réalisateurs se contentent de diriger les acteurs et laissent le directeur des effets spéciaux travailler seul, ce qui donne parfois un mélange bizarre. Je préfère toucher à tout, donc je travaille souvent en tandem avec l’équipe des effets numériques.

Est-il difficile de travailler avec des acteurs sur un fond bleu?
Non, parce que dans toutes ces scènes à travers le miroir, le décor existe bel et bien sur le plateau. Si un acteur doit interagir avec un objet, l’objet en question sera réel. De plus, il s’agit souvent d’interactions entre acteurs, pas d’un acteur qui doit avoir peur d’un tyrannosaure. Les acteurs concentrent leur jeu vis-à-vis de leur partenaires et c’est tout.

Dans le cinéma actuel, quels sont les cinéastes qui vous intéressent?
(longue inspiration) Les frères Cohen, ce sont mes potes du Minnesota. Guillermo del Toro, les réalisateurs de Pixar, qui font un travail formidable… je ne regarde plus beaucoup de films ces derniers temps en fait. Ah si, Albert Dupontel! J’adore Albert Dupontel! Vous avez vu Le Vilain? Non? C’est très drôle. Ah et Jean-Pierre Jeunet bien sûr, bien qu’Albert soit plus audacieux.

Et Tim Burton? Comme vous, il met en scène des univers assez fantastiques.
Oui. Il a de plus gros budgets que moi. (rires)

La première fois qu’un personnage traverse le miroir, le décor et la mise en scène font penser à une scène du projet avorté The Defective Detective. Avez-vous utilisé d’autres idées du même genre?
Non, ça doit être à peu près la seule. Je voulais justement voir si des personnages en trois dimensions pouvaient évoluer dans un univers en deux dimensions. Le décor donne ainsi une impression de profondeur infinie. Encore une fois, ça rejoint l’idée de fuite du réalisme, et je peux exprimer mes idées de façon assez spectaculaire pour peu d’argent. (rires)

Faites-vous des recherches pour enrichir vos films de symboliques, ou travaillez-vous toujours à l’instinct?
Toujours à l’instinct. Quel rêve plus extraordinaire que d’être entre deux rives? Prenez l’image de cette femme qui s’imagine un monde de chaussures dominées par la figure du Bouddha: c’est une allée égyptienne ornée de sphinx qui mènent à l’illumination. C’est un peu l’idée de faire du shopping jusqu’à devenir éclairé. (rires) nous avons aussi inventé une étrange religion dans le temple de Parnassus, avec tous ces moines qui font « Ooooom-veï ». Une sorte de religion tibétaine Judéo-Bouddhiste. Vous savez, faire un film c’est aussi l’art de s’amuser. S’amuser tous ensemble: le réalisateur, les acteurs, les cadreurs, les concepteurs, donc nous laissons des myriades d’indices ou de détails que le spectateur sera libre de découvrir à son dixième visionnage sur DVD. D’un certain côté, ce cinéma là est tout à fait adapté au monde moderne parce que le DVD permet de revoir les films encore et encore et ainsi toujours découvrir quelque chose de nouveau.

Parmi tous les projets que vous n’avez pas pu mener à terme, lequels regrettez-vous le plus?
Aucun, car il n’est pas impossible que j’y revienne un jour ou l’autre. (rires)

Watchmen a été fait entre temps.
Oui, et je ne le regrette pas. Ce que je voulais, c’est une mini-série de cinq heures au moins. Je pense que le plus gros problème avec le film Watchmen c’est qu’il est à la fois trop long et trop court.

Avez-vous fait des choix dans votre carrière que vous regrettez aujourd’hui?
« Je ne regrette rien » (ndlr: en français!). Parfois, les choses ne se sont pas déroulées comme je l’aurais souhaité, mais je ne regrette aucun de mes choix.

À l’inverse, pensez-vous que certains de vos films sont absolument aboutis et correspondent totalement à votre vision du moment?
Ils ont tous correspondu à ma vision du moment. Parfois cette vision était géniale, parfois moins. Parfois, j’ai été d’un aveuglement total. (rires)

Et pour quels films la vision était géniale alors?
Brazil. Bandits Bandits. Munchausen… et Fisher King, et L’Armée des 12 Singes. (rires)

Et L’Imaginarium?
Je l’aime beaucoup… j’espère seulement ne pas être le seul. (rires)

Brazil est toujours considéré comme un film visionnaire tant sur la forme que sur le fond, et il est toujours d’actualité par rapport à certaines questions politiques. Avec 25 ans de recul, quelle en est votre approche?
Il y a deux ans, alors que j’étais à New-York pour la promotion de Tideland, j’ai exprimé publiquement mon intention d’intenter un procès à George Bush et Dick Cheney pour le plagiat illégal qu’ils avaient fait de Brazil. (rires)

– Arkaron

Retrouvez dès demain la conférence que Terry Gilliam a donné pour le Club 300.

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