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Le film culte : Blanche-Neige et les sept nains
Pour évoquer le premier long-métrage des studios Disney, la Team CloneWeb accueille Violaine qui s’est proposée pour évoquer les productions de ce cher Walt en apportant un regard nouveau, moderne sur des films ayant traversé les décennies et alors que nous les regardons avec une bienveillance un peu trop nostalgique.
En écho au tout dernier Disney, Zootopie, largement évoqué ici et là, nous commeçons donc naturellement par le tout premier : Blanche Neige, sorti en 1938.
LA CRITIQUE
« Blanche-Neige et les Sept Nains », premier long métrage des studios Disney, sorti en 1937, a marqué tant l’histoire du cinéma que l’imaginaire collectif : les nains, la sorcière, la gentille héroïne et les chansons inoubliables sont autant d’éléments indélébiles de la culture occidentale du XXe siècle. Pourtant, si chacun se souvient avoir vu ce film, il ne fait pas, en général, partie des « Grands Classiques » qu’on voit et revoit. Le film est en effet profondément marqué par son époque, les années 30, aux standards cinématographiques et sociétaux très éloignés de ceux du spectateur contemporain.
« Blanche-Neige » est neu-neu. « Blanche-Neige » est ennuyeux. Blanche-Neige elle-même est une oie blanche, une héroïne passive, dénuée de personnalité, qui se contente d’attendre que son prince vienne la chercher.
Mais alors, pourquoi une telle emprise? Est-ce uniquement à cause de son statut d’icône, premier long-métrage d’animation à la fois sonore et en couleurs? Ne doit-on voir dans la persistance du film qu’un succès de la machine Disney?
Mais surtout, près de 80 ans après sa sortie, peut-on regarder ce film et y trouver un intérêt quelconque sans être historien du cinéma? Si votre nain domestique insiste pour que vous le regardiez avec lui, risquez-vous de corrompre un jeune esprit, périrez-vous d’ennui?
Miroir miroir, qu’en dis tu?
Il était une fois…
Comme beaucoup d’autres contes issus de la tradition populaire européenne, « Blanche-Neige » a été fixé dans sa forme actuelle par les frères Grimm en 1812. Ses origines sont variées et anciennes, certains y trouvant même des traces du mythe de Perséphone.
Au début des années 30, Walt Disney, qui a trouvé le succès grâce à ses courts-métrages animés, souhaite dépasser ce format et produire un long métrage. Son choix se porte sur « Blanche-Neige », une histoire suffisamment universelle pour garantir l’intérêt du public ; Walt a par ailleurs été très marqué par un adaptation cinématographique du conte qu’il a vu enfant.
Quatre ans de pré-production, trois ans de production et un budget explosé conduiront au succès triomphal du film. Ce succès n’était en rien assuré, Walt Disney avait joué l’avenir de son studio sur un pari risqué auquel peu de gens croyaient : réussir à intéresser le public à un dessin animé de plus de 8 minutes. Conscient de la difficulté, les producteurs travaillent et polissent le script avec un soin méticuleux. Des artistes européens sont appelés à l’aide pour donner au film l’atmosphère des folklores dont le conte est issu. Un travail colossal est entrepris pour parvenir à la première animation un tant soit peu réaliste d’un être humain.
Avant Blanche-Neige, il y eut Betty Boop et « La déesse du printemps », qui servit de test pour les animateurs Disney ; c’était pas gagné
L’introduction conduit littéralement le spectateur dans le conte de fée en l’entraînant dans les images d’un livre, sur l’air d’« Un jour mon prince viendra », donnant ainsi le ton du film. La première séquence animée met en scène la Reine, jalouse de la beauté de Blanche-Neige, préméditant froidement le meurtre de la jeune fille. On a vu moins gnan-gnan.
Le contraste est absolu avec le premier aperçu de l’héroïne, toute occupée à chanter une chanson mièvre, bientôt rejointe par un prince qui s’empresse de lui faire une déclaration d’amour. C’est mièvre, mais c’est la grammaire propre aux contes de fées : la relation amoureuse n’est pas une représentation réaliste des rapports humains mais le symbole d’une étape à franchir vers la maturité affective. Fort heureusement, les décors sublimes et une mise en scène bien pensée rendent le tout très regardable.
Le film prend rapidement une tournure très sombre quand le chasseur s’approche menaçant avec son couteau, forçant l’héroïne à s’enfuir dans une forêt cauchemardesque. La forêt, monde mystérieux où le règne de l’homme le cède à celui de la nature, présente une nature ambivalente : elle peut être un refuge contre la société – coucou Robin des Bois – ou au contraire le lieu de toutes les terreurs – coucou Mirkwood. L’inanimé s’anime, la princesse perd son humanité et devient un animal traqué. Musique, mise en scène, utilisation de couleurs abstraites restituent l’angoisse étouffante de la séquence.
Après cette épreuve, qui symbolise dans la lecture psychanalytique de l’œuvre le traumatisme de la fin de l’enfance et l’entrée dans l’adolescence, la forêt devient Eden, un lieu accueillant et protecteur, peuplé de gentils animaux. Ces gentils animaux, peut-être un peu trop présents pour le spectateur adulte, servent une triple fonction. Tout d’abord, le lien qui se crée entre eux et l’héroïne souligne son innocence et sa pureté. Ils permettent également aux dessinateurs de moins montrer la fichue princesse qu’ils ont tant de mal à animer. Enfin, spectateurs de l’action, ils y réagissent et, tel le chœur des tragédies grecques, amplifient l’implication du spectateur dans la scène. Ce procédé consistant à montrer la réaction des personnages à l’action plutôt que l’action elle-même est d’ailleurs une constante dans tout le film.
Arrive ensuite une autre scène mythique, le ménage de la maison des nains avec l’aide des animaux, porté par l’air entraînant de « Siffler en travaillant », bientôt suivie du cultissime « Heigh-Ho » des nains.
C’est là qu’on peut sans trop de regret aller se chercher un verre d’eau / un café / une bière ou toute autre substance qui vous aidera à traverser les interminables séquences des nains. Dès le début de la production, une importance considérable leur a été accordée. Les nains permettent de faire des gags – mais les gags de 1937 ne collent pas exactement avec l’humour de 2016. Les nains, proches des toons parfaitement maitrisés par les dessinateurs, sont plus simples à animer ; ils n’ont d’ailleurs que quatre doigts, contrairement aux autres personnages. Les nains doivent apporter humour et chaleur humaine au film par leur comique et leurs personnalités attachantes. Résultat, les nains occupent l’écran dans une suite de séquences sans fin. Heureusement que la scène de la dégustation de soupe a été abandonnée avant le montage final. Le voyage inattendu de Peter Jackson n’a hélas rien inventé en termes de trop longs moments de nains s’occupant dans une maisonnette.
Si l’on accepte de se laisser emporter par la pantomime et un humour naïf, on peut quand même sourire un peu. Sur sept personnage, deux-et-demi ont une véritable personnalité : un demi-point pour Prof ; Grincheux apporte du dynamisme à l’ensemble ; Simplet est désarmant avec son comportement mimé sur celui d’un gentil petit chien.
Les nains ont le mérite de souligner la noirceur de la reine-sorcière par le contraste entre leurs séquences respectives. La transformation de la reine, dans une mise en scène tourbillonnante au milieu d’un décor gothique très soigné, n’en est que plus terrifiante. De même, le poison, la pomme, le départ en barque de la sorcière, portés par une imagerie très sombre et des jeux sur les couleurs, sont autant de séquences marquantes.
Devenue une vielle femme fragile, transplantée dans le décor rassurant de la maison des nains, la sorcière perd un peu de son aspect terrifiant dans la forêt. La menace qu’elle représente est toutefois constamment soulignée. Visuellement, l’élément noir tranche sur un ensemble de pastels. Sa rouerie s’inscrit sur son visage déformé et se traduit dans le piège qu’elle tend à Blanche-Neige, ne laissant aucun doute au spectateur sur ses intentions.
La tension monte, alors que les gentils animaux rameutent les nains, jusqu’à l’ellipse sur la main de la jeune fille qui s’affaisse, inanimée. Comme le requin des « Dents de la mer » trop cher à réaliser, comme le colonel Kurtz laissé dans l’obscurité pour cause de décrépitude de Marlon Brando dans « Apocalypse Now », des considérations purement pratiques – ici une économie d’animation – donnent un rendu particulièrement efficace. La course poursuite avec les nains s’achève avec la chute fatale de la sorcière mais le véritable climax est atteint quand Blanche-Neige mord dans la pomme ; cette tentative tardive pour donner un aspect héroïque aux nains, éléments de légèreté et de comédie dans le reste du film, tombe relativement à plat.
S’en suit une scène de veillée funèbre particulièrement émouvante dans sa justesse, avant un dénouement rapidement expédié.
Brrrrr
La plus belle du royaume
Femme enfant des années 30, au maniérisme exacerbé, représentation d’une vision de la femme qu’on aimerait dépasser, Blanche-Neige n’est pas une héroïne moderne. Elle est en revanche assez conforme à ce que l’on peut attendre d’une héroïne de conte de fées telle que l’envisage Bruno Bettelheim dans la « Psychanalyse des contes de fées » : un personnage auquel l’enfant est invité à s’identifier, dénué de traits de personnalité distinctifs ; l’évolution du héros à travers une série d’étapes symboliques doit permettre au jeune lecteur/spectateur de résoudre ses propres confits intérieurs. La disneyisation du conte entraîne la perte de certains éléments et en transforme d’autres. Néanmoins, elle conserve la structure fondamentale de l’histoire, construite autour du conflit œdipien entre la reine et Blanche-Neige, ainsi que les étapes que celle-ci doit franchir avant d’atteindre la maturité de l’adulte.
Après avoir traversé l’épreuve de la forêt puis s’être appuyée sur l’aide des animaux, l’héroïne prend l’initiative de ses actions. Certes, il ne s’agit que de régenter la maisonnée des nains, mais elle se pose alors en personnage maternel, auquel les nains obéissent sans discuter. Liés aux forces mystiques de la nature, les nains, êtres masculins mais dénués de sexualité, facilitent la rupture d’avec le bonheur paisible de l’enfance. Toutefois, incapables de protéger la jeune fille, ils ne peuvent être qu’une étape dans le cheminement de l’héroïne. Quand Blanche-Neige cède à la tentation de la pomme, symbole éminent de sexualité – coucou Adam et Eve -, il est encore trop tôt : elle sombre dans le coma. Cette période d’attente est nécessaire avant de pouvoir s’éveiller enfin à la vie d’adulte. Ainsi, le film conserve le message inconscient qui a ancré le conte dans les traditions populaires.
La force du message est appuyée par les enjeux très importants de l’histoire. La cruauté de la reine est soulignée à plusieurs reprises, en particulier quand elle se moque du squelette d’un malheureux qu’elle a laissé mourir de soif dans un cachot. Le danger qu’elle représente est très réel. L’aspect grotesque du personnage transformé en sorcière repoussante, ses yeux exorbités, son rire caquetant, son hurlement de triomphe en font un personnage inoubliable. A sa sortie, le film fut interdit aux moins de 12 ans au Royaume-Uni – une décision que peuvent probablement comprendre les générations de parents réveillés par les cauchemars de leur progéniture, même si une telle limite d’âge fait sourire aujourd’hui.
La musique, omniprésente dans le film, complémente parfaitement les images. Toutes les séquences ont été synchronisées pour parvenir à une la meilleure concordance possible entre image et son ; ceci est particulièrement vrai lors des gags des nains. « Un jour mon prince viendra », valse romantique à souhait, et la marche archi-entraînante « Heigh-Ho » sont des classiques intemporels, repris sous toutes les formes possibles et imaginables depuis leur création. Sinnead O‘Connor susurre « Someday my prince will come », Louis Armstrong en fait un standard du jazz.
Alors, est-ce qu’on le regarde ce film ?
Le rythme est indéniablement le problème principal du film (NAINS!) ; il semblerait d’ailleurs que tous les membres de la productions qui n’étaient pas Walt Disney en aient eu conscience. Toutefois, l’histoire, malgré une forme très marquée par son époque (Blanche-Neige cette brave petite n’oublie pas de faire sa prière avant d’aller au dodo), n’a rien perdu de sa force. Les messages inconscients contenus dans le film parlent à tout un chacun et contribuent à sa persistance.
Les deux icônes musicales que sont « Heigh Ho » et « Un jour… », dont les thèmes sont repris en long en large et en travers dans la bande son, confèrent un charme irrésistible à l’ensemble. Les décors, en particulier l’intérieur de la maison des nains, l’extérieur du château et le donjon de la sorcière sont somptueux.
Si on s’intéresse un tant soit peu à l’histoire de l’animation et du cinéma en général, la question ne se pose même pas.
Si on a envie de se laisser emporter dans un univers onirique et charmant, pour peu que l’on renonce un moment au cynisme et que l’on accepte de retrouver les émotions plus simples de l’enfance, on regarde.
Est-ce qu’on colle son nain domestique devant?
Oui, il va probablement adorer les petits animaux et les nains ; la force de l’histoire devrait contribuer à ce qu’il en redemande. Attention, pour les nains les plus jeunes ou très impressionnables, la sorcière est proprement terrifiante et entrainera moult cauchemars
Féministo-compatible?
« Blanche-Neige » passe à peu près le test de Bechdel : lors de la rencontre entre la sorcière et l’héroïne, elles ne discutent (presque) pas QUE du genre de tarte que les hommes préfèrent ou du fait que Blanche-Neige aimerait bien que son prince arrive. L’histoire est centrée autour de la relation entre deux femmes, l’une des deux étant de loin le personnage le plus marquant du film.
VO ou VF?
Sans hésitation la VO, parce que Disney France a jugé bon de refaire le doublage par deux fois, la dernière fois en 2001, et que « Un jour mon prince viendra » version Star’Ac, ça ne passe pas du tout. Coller des voix aux accents modernes sur un film qui ne l’est clairement pas entraine un décalage assez désagréable.
Blanche-Neige et les Sept Nains, de David Hand – Sortie en 1938