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Le cinéma de science-fiction chinois #1 : origines culturelles & hybridation à HK

Après avoir longuement évoqué le cinéma de science-fiction allemand de ses origines à nos jours (voir le Gros Dossier), Arkaron remet ça et vous propose de découvrir le cinéma science-fictionnel chinois.

Neuf mois de travail pour une bonne cinquantaine de films vus (sur environ 90 répertoriés) et de nombreuses heures d’écritures et de recherche pour évoquer des films méconnus, des origines de la culture SF chinoise aux productions hongkongaises….

 

L’évolution de la Chine et son importance croissante sur la scène internationale en a fait un objet d’études inépuisable. Avec les transformations modernes affectant le système communiste chinois et ses avancées économiques, scientifiques et technologiques, maintes questions restent pourtant inexplorées. Alors que le corpus littéraire science-fictionnel chinois commence seulement à s’exporter et à faire l’objet de sérieuses considérations académiques et commerciales, le genre semble passer totalement inaperçu dans le cinéma sinophone aux yeux du marché international. Pourtant, le développement de la Chine induirait presque naturellement d’engager le débat sur la place du cinéma de SF chinois à une époque où ce genre n’a jamais été aussi présent au sein des industries mondiales, où les plus grands succès planétaires ne sortent que timidement du genre, et où de plus en plus de blockbusters américains comptent sur le marché chinois pour arrondir leurs recettes.

Poser la question de la SF sinophone sous-entend d’entreprendre, comme avec tout mouvement artistique ethnoculturel, une exploration des idiosyncrasies caractérisant son histoire et sa situation actuelle. La première incursion de la science-fiction en Chine s’est effectuée à travers la traduction, en 1891, de l’ouvrage américain Cent ans après ou l’An 2000, une utopie socialiste écrite par Edward Bellamy. Quelque cinquante œuvres, et notamment celles de Jules Verne, vinrent alors compléter le corpus jusqu’en 1919. La première publication de SF chinoise apparaît en 1904 avec le roman sérialisé et incomplet Tales of the Moon Colony par Huangjiang Diaosou, une aventure autour du monde et au-delà effectuée à l’aide d’une montgolfière, fortement inspirée de Verne et R.E Raspe.

Sous la République de Chine, le rapport des lettrés à la science-fiction était probablement tiraillé entre amertume envers les impérialistes occidentaux et un désir d’introduire certaines de leurs idées modernes dans la société chinoise. Par conséquent, le genre était manifestement considéré comme un outil capable de véhiculer des concepts de développement économique ou d’évolution technologique, et non comme un art littéraire particulièrement prestigieux. Cela expliquerait non seulement l’abondance soudaine de traductions et d’imitations au début du XXe siècle, mais aussi l’essoufflement fulgurant du genre dans les années 1910, décennie aboutissant au mouvement du 4-Mai et empreinte de volontés révolutionnaires anti-impérialistes. Avant ce déclin, quelques ouvrages remarquables sont publiés, notamment le roman New China de Lu Shi’e, en 1910. Dans celui-ci, le protagoniste se réveille dans le Shanghai des années 1950 après un long sommeil. Empruntant la voie tracée par l’ouvrage matriciel d’Edward Bellamy, Lu Shi’e dépeint une Chine prospère et progressiste, rendue possible – et c’est là que l’assimilation chinoise se manifeste – grâce à deux inventions technologiques aux frontières de l’ésotérique, appelées la « médecine spirituelle » et la « technique de l’éveil ». Deux produits hybrides, descendant plus du spiritualisme confucéen – pour autant qu’il fût critiqué à l’époque –, que de la rationalité occidentale. En outre, l’auteur défend l’idée selon laquelle l’égoïsme des marchands européens avait des conséquences néfastes sur la société et attisait le développement du communisme. À l’inverse, les inventions techno-spirituelles du roman rendent le peuple si altruiste que toute conception communiste n’a plus lieu d’être, étouffée dans une harmonie socialiste utopique.

Avec son œuvre, Lu Shi’e identifiait et articulait les trois grands axes caractéristiques de la science-fiction chinoise (rapport au commerce et la technologie ; identité chinoise et relation avec les forces étrangères ; philosophie), diamétralement opposée à sa forme occidentale. Pour mieux les cerner, il convient d’explorer les éléments historiques de la culture sinophone se révélant constitutifs de son rapport à la science-fiction.

Dans l’antiquité chinoise, il semblerait que l’écriture ait été développée pour servir au gouvernement et à l’organisation en lignages de la société, plutôt qu’au commerce. La prospérité des cités venait de l’exercice de leur pouvoir politique et non du commerce, ce qui expliquait que la force d’une dynastie n’était pas dérivée du développement de sa technologie, mais de la force et de la légitimité du lignage de sa famille dominante. Dès lors, les structures sociétales étaient vues comme plus importantes que les avancées technologiques. En outre, le confucianisme décourageait la recherche du profit et plaçait l’humain dans un rapport constant avec la nature, ce qui s’opposait à l’individualisme occidental.

Ensuite, le néo-confucianisme de l’époque Ming empêcha le développement de la puissance maritime du pays, en cela que la capacité supérieure de la Chine en matière d’expansion maritime se heurtait si frontalement au conservatisme de l’idéologie néo-confucianiste que le monde sinophone s’est empêché lui-même d’embrasser l’une des causes premières du développement économique et technologique moderne. Les empereurs de la dynastie Qing ne furent pas plus intéressés par la puissance maritime, engendrant ainsi une absence générale de récits s’intéressant à l’exploration. En outre, l’ouverture réelle de la Chine aux flux internationaux est marquée par de nombreuses invasions étrangères, tant des ethnies voisines que des colons, et par des traités inéquitables envers le Chine, favorisant les occidentaux. L’adversité de son histoire proche est donc radicalement différente de celle des États-Unis (caractérisée par la libération contre les pères britanniques, la poursuite de la frontière sauvage, la destinée manifeste, etc.), et bien plus marquée par la problématique identitaire culturelle, partiellement définie en opposition aux envahisseurs étrangers.

Les philosophies liées à la culture chinoise ont elles-mêmes eu une influence importante sur le rapport des hommes à la science. En effet, de nombreux faits historiques prouvent que pléthore d’inventions technologies virent le jour en Chine plusieurs siècles avant d’arriver en Occident (l’imprimerie, la poudre à canon, la boussole magnétique, etc.), or l’on sait aujourd’hui que la science dite moderne s’est développée en Europe, rattrapant alors son retard et dépassant même les connaissances des civilisations voisines. Cette rupture s’effectua avec Galilée et l’essor des sciences théoriques, à partir de quoi les scientifiques furent en mesure d’en venir aux inventions qui ont avancé l’avènement de la société contemporaine. L’état d’esprit taoïste originel s’organisait en système cosmologique englobant et impénétrable par voie théorique et rationnelle, ce qui rendit les alchimistes de l’époque méfiants à l’égard de la théorie, et plus favorables aux découvertes empiriques. Cela revient à dire que la poursuite du savoir est supplantée par la recherche de la culture ; que la sagesse a plus d’importance que la science. De là à penser que le rapport de la culture chinoise aux concepts abstraits de la SF est adéquatement différent, il n’y a qu’un pas.

La relation qu’entretient l’homme chinois à la nature crée un équilibre menacé par la révolution industrielle, forcée à travers les étrangers impérialistes. Les chemins de fer, les lignes de télégraphes, puis plus tard les usines, bouleversent un système permettant théoriquement de vivre en harmonie. Ce rapport conflictuel avec les bonds technologiques est renforcé par la cosmologie chinoise elle-même, qui n’intègre pas d’ordonnateur suprême, ni de mythe de la genèse, et donc aucun besoin d’élever l’homme au statut de dieu démiurge (comme le fait souvent la SF avec les clones, la biosphérisation, la panspermie, l’intelligence artificielle ou la manipulation génétique). La philosophie néo-confucianiste Song, grandement fondatrice du système spirituel chinois, ne promet par ailleurs aucun paradis ni enfer, retirant le désir d’imaginer comment rallonger la vie ou atteindre l’immortalité (cryogénisation, transfert de l’esprit, clonage, conquête spatiale, etc.).

Tous ces éléments complexifient le parcours de la SF chinoise, dont l’histoire est remplie de retournements de situation contradictoires, dus à une indécision du monde chinois quant au rôle que doit jouer le genre dans son paysage culturel. Contrairement au cheminement occidental du genre, le cinéma de SF sinophone ne voit pas le jour par le biais du fantastique, en transfigurant lentement ses codes pour arriver à un traitement scientifique et rationnel de ses éléments extraordinaires. Il doit, au contraire, commencer par émuler les exemples américains à Hong Kong d’une part, et patiemment attendre le climat favorable en République populaire de Chine d’autre part.

La situation historique de Hong Kong a fait de son industrie filmique une entité foncièrement différente du cinéma chinois continental. Hong Kong, cédé au Royaume-Uni en 1842, puis mis en bail pour une durée de 99 ans en 1898, est en effet un territoire dont l’identité descend d’une hybridation entre héritage chinois et fortes influences occidentales. Lorsque le parti communiste prend le pouvoir en Chine en 1949, le cœur de l’industrie cinématographique qu’était Shanghai s’efface de la carte internationale au profit de Hong Kong en matière de rayonnement de l’art filmique sinophone. Financièrement parlant, les films hongkongais sont produits de fonds privés, avec très peu voire aucune aide de l’état. Par conséquent, la viabilité de chaque projet repose sur sa capacité à attirer le public, et s’appuie donc sur des formules répétitives, assurant un minimum de succès et impliquant une prise de risque limitée. Enfin, le contrôle britannique assure une liberté de ton plus large qu’au sein de la République populaire.

Il est difficile de savoir exactement dans quelles mesures les films occidentaux étaient présents et appréciés par la population locale, et depuis quand précisément, mais des publicités associées à des œuvres occidentales ont été retrouvées dans des journaux datant du début du XXe siècle. En 1921, les frères Lai ouvrent le premier cinéma consacré à la fois aux films étrangers et locaux, alors que les cinémas plus anciens ne diffusaient que des long-métrages internationaux faute de production locale développée (le premier long-métrage, Rouge, étant daté de 1925). Une telle présence n’a pas manqué de laisser une empreinte durable sur l’industrie hongkongaise, et constitue aujourd’hui l’une des deux branches de l’héritage culturel avec lequel les cinéastes de Hong Kong composent depuis des décennies. Cette dernière y a laissé ses principes narratifs de la continuité et du rythme, alors que les arts traditionnels chinois ont favorisé l’essor de performances et de structures opératiques, d’une stylisation esthétique extrême, et d’une absence plus marquée de naturalisme. Ces caractéristiques, qui ont profondément marqué la longue tradition de films fantastiques chinois, finiront elles aussi par se retrouver dans le corpus de SF.

Le premier film de science-fiction produit à Hong Kong, et également dans le monde sinophone, semble être Riots in Outer Space, sorti en 1959 et réalisé par l’immensément prolifique Wong Tin-lam. Arrivé dans les dernières années de l’âge d’or de la SF américaine, ce Riots constitue sans doute une tentative, par le studio Cathay, de capitaliser sur la popularité présumée des films occidentaux produits par dizaines à l’époque. Les éléments science-fictionnels du film sont cependant rendus possibles uniquement à travers le prisme double de la comédie et du rêve, comme ce fut autrefois le cas dans les balbutiements américains du genre, quelque cinquante années auparavant, avec le court Dream of a Rarebit Fiend. Bien que le film en lui-même soit aujourd’hui introuvable, il subsiste de cette première percée dans la SF une poignée d’images promotionnelles, et un synopsis : Chang San-yuan et Wang Ting-hsi, deux ouvriers d’une usine de pétards, ont un penchant pour la fabrication de fusées. Lorsque l’une de leurs expérimentations tourne mal, les deux hommes sont pris dans une explosion et emmenés à l’hôpital. Pris d’une crise de somnambulisme, les deux compères s’imaginent voyager jusqu’à Vénus, où ils y rencontrent les autochtones. Se rendant ensuite sur Mars, ils tombent amoureux d’une demoiselle ressemblant trait pour trait à Chu, l’infirmière s’occupant d’eux à l’hôpital. Plus tard, lorsqu’enfin ils quittent le centre médical, Chang et Wang sont invités à un test de nouveaux pétards. Encore blessés, ils sont renvoyés aussitôt à l’hôpital…(1)

Dans les années qui suivent, quelques rares titres aux attributs de SF continuent d’émerger sporadiquement de Hong Kong, comme la variation sur l’homme invisible The Invisible Lucky Star de Miu Hong-nee (1964), sans jamais rencontrer de succès. Les années 1970, terreau fertile d’œuvres de cinéma ambitieuses et désormais cultes, donnent lieu à quelques expérimentations de la Shaw Brothers, inspirées des cultures populaires américaines et japonaises.

Les premières tentatives incluent surtout des éléments pulps empruntés directement aux États-Unis, comme par exemple aux mythes de Tarzan et de King Kong, remaniés à la sauce exploitation, dans des films tels que The Flying Killer et The Female King Kong (tous deux de Kim Lung, et sortis en 1966). De manière similaire, le métrage Goliathon (ou Mighty Peking Man), sortant en 1977 sous la houlette de Ho Meng-hua, reprend à l’identique une recette japonaise, à savoir celle de Daimajin, un film du milieu des années 1960, et qui s’ouvrait par ailleurs de la même manière, dans les montagnes reculées du pays, lorsqu’un monstre gigantesque s’éveille. Goliathon importe donc le concept en délaissant le symbolisme spirituel japonais, sans pour autant le remplacer par une quelconque volonté de siniser cet univers, au profit d’une injection maladroite d’éléments occidentaux (et plus particulièrement, une belle blonde sauvage clairement adaptée de l’œuvre tarzanesque).

En 1975, sort The Super Inframan de Shan Hua. Désormais considéré comme un série B chère aux amateurs de cinémas bis, cette production s’inspire à sa sortie du genre Tokusatsu, popularisé par Ulraman ou Kamen Rider. Scénarisé par l’auteur de science-fiction Ni Kuang, le film apporte au genre une tradition martiale courante à Hong Kong. Cependant, Inframan se fait annonciateur d’une longue série de films tentant de combiner les genres, sans vraiment parvenir à trouver l’homogénéité nécessaire à un véritable succès populaire. Ainsi, les éléments de science-fiction sont calqués à l’identique des œuvres de Tokusatsu, et l’on peine à réellement distinguer toute identité chinoise derrière cette translittération de la culture Otaku japonaise, qui intègre le héros à la société, l’augmente par la science, et multiplie les apparitions de monstres et de créatures sans grand rapport avec l’héritage chinois.

La première percée réellement discursive dans le genre se manifeste en 1979, à travers le premier film réalisé par Tsui Hark, The Butterfly Murders, qui se trouve être un hybride entre wuxia pian et divers éléments, à une époque où le genre des xias chinois tend à s’essouffler. Tsui lui-même décrit son film comme « une enquête policière sur fonds d’arts martiaux, relevée d’une légère dimension science-fictionnelle ». Cette dimension est principalement mise en évidence à travers l’usage des sciences et techniques chinoises (l’imprimerie, la poudre à canon, les armures) par le cinéaste pour démythifier l’aspect traditionnellement fantastique du genre, et ainsi rationaliser, rétroactivement, un passé culturel riche en découvertes scientifiques mais souvent teinté de superstitions irrationnelles. Tsui opère donc une relecture d’un genre national à travers un prisme scientifique habituellement étranger au corpus, et dont la présence dans le cinéma hongkongais est, à l’époque, résiduelle sinon quasiment inexistante, faisant de The Butterfly Murders le premier film de la région se servant de ses accents science-fictionnels pour former une proposition de cinéma inédite.(2)

Si les expérimentations de Tsui Hark ne donnent lieu à aucun émule immédiat, elles témoignent de la volonté de cinéastes d’exploiter certains codes prépondérants au cinéma occidental. C’est ainsi que les années 1980 se révèlent riches en tentatives, aux degrés de réussite et de discursivité variés, d’intégrer la science-fiction au cinéma de Hong Kong. La première d’entre elles est Flash Future Kung Fu (parfois appelé Health Hazard), réalisé par Kirk Wong en 1983. Le film transpose la culture des arts martiaux chinois dans une dystopie cyberpunk aux sonorités carpenteriennes, peuplée de néo-nazis et d’une jeunesse trans se shootant au gaz d’échappement et au masque à gaz.

Dans ce monde à la croisée des chemins tracés par Blade Runner et New York 1997, l’héritage spirituel descendant du confucianisme est brandi par les protagonistes comme unique arme leur permettant de résister à la cybernisation de leur monde, envahi d’une science technologique et médicale qu’ils rejettent, au profit d’une foi inébranlable à l’approche quasi-chamanique de leurs ancêtres. L’opposition idéologique est encore soulignée lorsque le leader des néo-fascistes prône la supériorité du corps sur l’esprit, tandis que l’un des héros survit grâce à une technologie biocybernétique, devant plus à l’alchimie herbaliste qu’à la science empirique. Flash Future Kung Fu est un film presque muet, dans lequel les dialogues sont superflus et dont les personnages se définissent exclusivement à travers leurs actes sexuels et martiaux, et qui se passe surtout de techno-blabla, ne se souciant guère de rendre le futur crédible.

La même année, la Shaw Brothers charge Alex Cheung Kwok-Ming de réaliser la parodie frénétique Twinkle, Twinkle, Little Star, sorte de collage sans queue ni tête de toutes les influences de la pop culture occidentale, de Star Wars à Superman, en passant par Sherlock Holmes et Marilyn Munroe. Le film met ainsi en scène des extra-terrestres voyageant dans un Faucon Millenium, et enlevant des jeunes femmes pour trouver une porteuse féconde, entre des douzaines d’autres incongruités, qui s’enchaînent dans une série de gags n’offrant pas le moindre répit au spectateur. Sorte de paroxysme de l’adaptation des codes cinématographiques étrangers au moule hongkongais, cette parodie entérine la présence de la nouvelle culture populaire américaine à Hong Kong.

Par la suite, plusieurs films émergent de la région avec l’intention d’adapter un élément science-fictionnel aux sensibilités nationales, souvent pour capitaliser sur le succès d’un film américain récent. C’est par exemple le cas de Magic Crystal de Wong Jing, sorti en 1986 et s’inspirant d’éléments répandus par les films de SF et d’aventure de Steven Spielberg. C’est également le cas de Final Test dirigé par Lo Kin en 1987, qui présenterait un synopsis étrangement similaire à celui d’Outland, pour se terminer sur un plan fomenté par des androïdes, et visant à réduire l’humanité en esclavage.

En 1986 sort par ailleurs un long métrage aux intentions modérément discursives : The Strange Bedfellow, d’Eric Tsang, Alfred Cheung et Lo Kin. Dans ce film à sketchs, le Hong Kong du 21e siècle est une société matriarcale dans laquelle les hommes donnent le sein aux nourrissons, dont la natalité est strictement contrôlée. Comédie jouant sur la substitution d’un modèle sociétal pour son opposé, cette œuvre singulière reste isolée de nombreuses années, à une période soulignant l’immédiateté de consommation avec laquelle l’industrie hongkongaise envisage ses productions.

En effet, même si la décennie en question laisse deviner l’émergence d’une tendance (il serait exagéré de parler de mouvement à ce stade), l’écrasante majorité des films de SF produits à l’époque se contente de mixer les genres pour divertir, sans faire preuve des intentions démontrées auparavant par les films de Kirk Wong ou Tsui Hark. Ce dernier participe lui-même à la fabrication de quelques films de cette catégorie, comme en 1988 avec The Laser Man de Peter Wang et RoboForce (I Love Maria) de David Chung. Celui-ci met en scène un gang de punks criminels portant aux nues les cyborgs et l’humain augmenté, dans une tentative d’atteindre richesse et immortalité. En réalité une comédie d’action aux accents de buddy movie, RoboForce illustre parfaitement l’utilisation généralement réservée aux éléments de SF à Hong Kong.

Au tournant des années 1990, Hong Kong se met à produire un certain nombre de films de catégorie III tirant sur la corde science-fictionnelle. C’est par exemple le cas de Robotrix de Jamie Luk Kin-ming (1991), une sexploitation futuriste généreuse en mauvais goût, ou de Karaté Cat de Nam Lai Choi (1992), dont le seul titre suffit à attirer les amateurs de nanars. De multiples thrillers de troisième zone voient également le jour, comme Super Lady Cop (1992), Future Cops (1993) ou Ultracop 2000 (1993), tandis que d’autres tirent mieux leur épingle du jeu grâce à des budgets légèrement plus confortables et une fabrication plus soignée (tel que le diptyque Black Cat de Stephen Shin sorti entre 1991 et 1992).

En 1992, Tsui Hark produit The Wicked City, l’adaptation d’un manga japonais dont il relocalise l’histoire à Hong Kong, dans un climat de crainte anticipant la future rétrocession. Le réalisateur Peter Mak tire alors parti de ce climat étouffant pour livrer un film inventif, ne reculant devant aucune folie pour développer son univers de science-fantasy. Dans celui-ci, des agents spéciaux chasseurs de démons doivent lutter contre l’empire des ténèbres mené par un démon chinois milliardaire, venant de la Chine continentale, à grands coups de champs magnétiques et de télékinésie. Métaphore évidente de la névrose engendrée par l’approche de l’année 1997, le long-métrage s’impose comme curiosité géniale que seul le cinéma hongkongais sait fabriquer, et intègre ses quelques éléments science-fictionnels (notamment une biocybernétique clairement influencée par le matériau originel) organiquement à un récit se révélant principalement fantastique.

Un an plus tard, le versatile Wong Jing décide de surfer sur la vague de popularité du jeu vidéo Street Fighter II (et Mario) en réalisant un film s’inspirant de cet univers (sans bien sûr en payer aucun droit), et mettant en scène un film d’action/comédie frénétique dans lequel un groupe de policiers vivant en 2043 remontent le temps pour secourir un monsieur tout-le-monde qui deviendra finalement le juge condamnant le futur ennemi public n°1. Pur actioner hongkongais typique de la période bouillonnante des années 1990, Future Cops ne se soucie guère du mélange des genres qu’il applique naturellement, faisant virevolter ses personnages (qui annoncent leurs attaques à voix haute) dans des décors dont le futurisme laser bleuté reste très marginal.

Tsui Hark, encore et toujours lui, propose en 1995 la comédie romantique Love in the Time of Twilight, une histoire s’appuyant sur le voyage dans le temps pour complexifier une amourette parmi ses plus réussies. Dans ce film, les personnages (l’un d’eux étant un fantôme) se servent d’ampoules électriques, dont l’activation permet aux êtres surnaturels de voyager vers toute époque durant laquelle l’ampoule en question a existé (ou existera ?). Une idée pour le moins surprenante, qui ouvre cependant des possibilités narratives inédites, offrant à Tsui Hark l’opportunité de développer un récit non chronologique stimulant, s’imposant sans doute comme le premier du genre à Hong Kong. Second Time Around de Jeffrey Lau, produit par Johnnie To, sort en 2002 et reprend le même principe, ajoutant au voyage dans le temps une dose d’univers parallèles sans grande cohésion, se manifestant à travers des « pierres de résurrection » magiques, donnant lieu à un scénario peu engageant et à une romance banale.

Après la rétrocession, les films de SF hongkongais se divisent surtout en sous-genres balisés, et principalement en films d’action et en blockbusters familiaux, avec quelques titres d’auteurs ou indépendants produits de manière sporadique (que l’on explorera dans la partie suivante). Ces dernières années ont vu l’érosion du nombre de productions science-fictionnelles à Hong Kong, peut-être à cause du contrôle administratif envahissant de la Chine continentale. Les titres ayant émergé depuis les années 2010 se présentent surtout sous la forme de coproductions avec la RPC, voire parfois avec des pays étrangers.

Au-delà de la diminution de la productivité de l’industrie dans le genre science-fictionnel, la rétrocession a-t-elle eu un impact notable sur le contenu des films de SF hongkongais ? Il est tentant de répondre par la négative, les craintes et névroses découlant de l’événement étant déjà présentes depuis plusieurs années dans les films de la région, et sa mise en application ne marque pas de changement significatif dans l’approche du sujet au sein du genre.

À venir : Les mouvements science-fictionnels à Hong Kong

 

1 : Merci à Tars Tarkas du site tarstarkas.net pour les informations et les images.
2 : Merci à Loïc Valceschini pour les références et l’analyse. Pour discuter de la transcendance du cinéma de Tsui Hark, adressez-vous à @loic_val.

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3 Comments

  • par Violaine
    Posté dimanche 31 mai 2015 23 h 28 min 0Likes

    Bravo pour ce travail très fouillé, et merci. Question : en dehors de l’intérêt historique, quels sont les films les plus intéressants et appréciables?

  • par Arkaron
    Posté lundi 1 juin 2015 23 h 01 min 0Likes

    Ravi que cela vous ait intéressé ! Je trouve personnellement The Butterfly Murders, Wicked City et Love in The Time of Twilight très bons. Wicked City peut sembler assez « fou » pour qui ne serait pas familier du cinéma de Hong Kong, mais c’est un vrai régal. J’aime beaucoup Flash Future Kung Fu également. Malheureusement, ce dernier n’est pas facile à trouver. Le DVD anglais qui existe ne comprend qu’une piste audio anglaise doublée (pas de VOST), et l’image (d’une qualité déplorable) est grossièrement rognée. C’est bien un film qui mériterait une ressortie vidéo digne de ce nom. Repassez dimanche prochain, on en a pas fini avec le sujet. :)

  • par Jean
    Posté lundi 11 juin 2018 14 h 23 min 0Likes

    Merci beaucoup pour cet article. Je mène actuellement une recherche pour le compte d’une entreprise, pourrions-nous nous contacter directement?

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