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La Saga Rambo, suite et fin

« – Où sont les missiles stinger ?
– Tout près…
– Où ça ?
– Dans ton cul ! »

C’est sans doute grâce à cette réplique devenue culte et largement réutilisée par la suite que Rambo III est désormais connu du grand public. Mais ce n’est pas la seule chose que le film a à proposer aux spectateurs comme l’explique Arkaron dans cette dernière partie d’un gros dossier consacré à la saga de Sylvester Stallone (dont les deux premières parties sont accessibles ici).

On confluera tout naturellement avec John Rambo sorti 20 ans plus tard, dépeignant un héros auquel le gouvernement américain n’a plus rien à offrir.

En attendant Expendables 3.

Rambo III

Une fois la puissance de son héros réaffirmée, la série des Rambo n’avait pas énormément d’alternatives que celle de s’intégrer dans le moule idéologique que la majorité de son public cible avait selon toute vraisemblance adopté à la fin de la décennie 1980. Les années Reagan sont allées dans le sens d’un retour à la confiance envers le pouvoir légitime du gouvernement américain qui, usant de « reaganomics » et de politiques extérieures actives sur le front de la guerre froide, a su redonner une certaine mesure de prestige à l’image des États-Unis sur la scène internationale en atténuant le conflit avec les Soviétiques et en inscrivant de nouvelles victoires militaires à l’historique du pays (comme l’invasion de Grenade).

Le héros régénéré du deuxième film est logiquement réintroduit dans la suite à travers une scène de combat particulièrement graphique, exposant ses attributs physiques comme affirmation absolue de sa puissance brute. L’exposition de Rambo III dépeint ainsi le vétéran comme un guerrier ayant trouvé une certaine forme de stabilité. Les symboliques évidentes suscitées par l’imagerie bouddhiste suggèrent donc que le personnage est en paix avec lui-même : c’est pour cela qu’il vit dans un temple plutôt qu’un camp de travaux forcés. Mais si le vétéran est désormais reconnu comme un homme d’honneur et de bravoure par les siens, l’intrigue même du film s’efforce d’imposer cet archétype du héros par-delà les frontières états-uniennes, sur la scène d’un conflit international dans un pays justement « non aligné » avec l’un ou l’autre bloc.

La nature même des combats a également évolué, comme indiqué dans un échange entre Rambo et Trautman lors duquel celui-ci affirme à son protégé que les batailles vaines d’hier peuvent aujourd’hui être gagnées par un pays entier et avoir des conséquences bénéfiques pour toute une société. C’est là le signe de l’unité retrouvée d’un pays, désormais capable de s’identifier de manière relativement homogène à une cause et d’accepter la guerre comme un mal nécessaire. La puissance retrouvée de la nation est elle aussi confirmée par l’assurance que les États-Unis peuvent à nouveau exercer une influence sur les forces internationales, privilège qu’ils avaient momentanément perdu au sortir de leur défaite du Vietnam. Ce regain d’influence a été accompagné tout au long de la trilogie par une évolution graduelle de l’ampleur des conflits, partant du replis initial pour déboucher sur une ouverture : le premier film exposait une bataille intérieure et hautement personnelle, bien qu’elle illustrait le combat de chaque vétéran américain, et s’inscrivait alors également dans une perspective nationale ; dans la suite, le conflit est devenu bilatéral, avec cette idée de revanche sur le Vietnam, tandis que les affrontements du troisième volet sont placés sous la symbolique de l’expansion des blocs orientaux et occidentaux, ce qui permet donc aux États-Unis de réimposer leur domination sur l’échiquier mondial.

En plus de recréer une figure nationale puissante, le troisième opus conclut également un cheminement du héros qui avait commencé en 1982. En effet, le Rambo de First Blood était dépeint comme un être errant, perdu, incapable et interdit de s’installer à un même endroit. Toujours en mouvement, il développait ensuite une relation de filiation avec son mentor, le colonel Trautman, vu comme l’unique figure paternelle apte à comprendre sa situation. C’est lui qui trouve Rambo et lui prête main-forte.

Trois ans plus tard, leur relation est quelque peu modifiée, lorsque Rambo est de nouveau livré à lui-même et que toutes les tentatives de Trautman pour lui venir en aide échouent, forçant donc l’apprenti à s’émanciper de son aîné. Dans Rambo III enfin, les rôles sont inversés : Trautman se bat alors que Rambo s’est trouvé un foyer d’adoption et au final, le vétéran sauvera son ancien commandant, qui l’appelle désormais « ami », consolidant leur égalité nouvelle. Dans le même temps, Rambo fait à son tour des émules lorsqu’un jeune garçon afghan associe le soldat américain à un modèle paternel qu’il s’évertue à suivre dans la bataille, insinuant par-là que le héros américain régénéré est à nouveau celui qui exerce l’influence la plus significative sur les autres cultures.
L’évolution de Rambo à travers ses trois premiers films rassemble bon nombre d’éléments tendant à forger une figure mythologique dans la culture populaire d’une société donnée. La création mythologique a été entreprise, comme toutes ses aînées, au mépris des nuances du monde réel et avec respect envers les stratégies d’héroïsation outrancière du héros nationaliste et de diabolisation absolue de ses ennemis, historiquement utilisées pour renforcer les mythes. Au terme de sa mission afghane, Rambo a conclu son parcours cathartique, ayant surmonté l’indifférence de siens, l’oppression des manipulateurs de l’ombre et la force adverse. Il a regagné son statut de héros aux yeux de tous et a marqué le cinéma d’action d’une empreinte indélébile pour les années à venir.

 

John Rambo

« Dans quelle région du monde les tyrans bafouent-ils les droits de l’homme de la manière la plus atroce et sous-médiatisée qui soit ? »

À sa question lancée aux Nations Unies et aux journalistes spécialisés, Stallone a reçu une réponse simple : la guerre civile vieille de plus de 60 ans, opposant les guérilleros de Karen au régime militariste de Myanmar. Il est alors peu surprenant de remarquer que le réalisateur ouvre le dernier opus de sa saga d’action par des images d’archive de la dite guerre civile. Apposant de ce fait une volonté de pertinence à l’ultime retour d’une figure mythique et inébranlable du film d’action américain, Stallone use d’un artifice narratif ayant un objectif double. En effet, en rapprochant fiction et réalité par l’invocation de l’actualité d’un conflit illustré par des images documentaires, il opère un échange mutuel entre les deux niveaux narratifs : la guerre civile de Birmanie entre ainsi dans le contexte global de l’univers fictif de Rambo, et sera donc sujet à accepter des mécanismes autrefois utilisés par les conflits vietnamien et afghan, tandis que la figure mythique qui peuple ces films se rapproche de manière plus consistante que jamais de la réalité palpable de son audience.

En agissant de la sorte, Stallone espère évidemment rapprocher mythe et réalité. La finalité de son approche, cependant, à tout pour déstabiliser le spectateur américain élevé au mythe Ramoesque des années 1980 : désormais, la figure paternelle d’autorité jadis représentée par Trautman s’est totalement effacée, laissant à Rambo la liberté de remplir un rôle dont il ne veut pas. Sollicité par un groupe d’humanistes fervemment croyants, le guerrier à présent nihiliste se révèle désenchanté, persuadé que toute action bénéfique est équilibrée d’un mal se manifestant ailleurs. L’icône exprimant autrefois la puissance américaine aux yeux du monde se refuse maintenant à accepter le simple statut d’icône, dévalorisant son seul savoir-faire de valeur (se battre) au profit d’un détachement absolu.

Sa relation autrefois houleuse avec l’autorité gouvernementale américaine est ici effacée, remplacée par une opposition aux humanistes chrétiens qui viennent demander de l’aide au nihiliste athée. Si la confrontation idéologique qui s’entame est assez simple, elle a le mérite de ne donner raison à aucun parti, menant finalement le pacifiste au meurtre par obligation et l’aigri à une forme de paix intérieure. Cette fois, la volonté d’ingérence dans la vie d’autrui est exprimée par des individus qui n’ont aucune autorité officielle, et qui agissent au nom d’une foi plutôt qu’au nom des lois. Ce choix tend à éloigner encore plus l’univers de John Rambo de l’institution gouvernementale américaine, qui n’a plus rien à offrir au héros et est par conséquent passée sous silence.

La rédemption du protagoniste est mise en parallèle avec les mercenaires américains envoyés pour retrouver le groupe humanitaire. Alors qu’autrefois, Rambo était envoyé en mission pour rassembler des informations ou secourir ses frères d’arme, la seule aide aujourd’hui envisageable revient à payer des mercenaires sans foi ni loi. C’est là le constat que Stallone propose sur l’évolution du héros d’action selon lui : des guerriers doués, certes, mais qui auraient perdu de vue les idéaux et les raisons d’être qui faisaient autrefois d’eux des êtres humains plutôt que des armes interchangeables. School Boy, le sniper surdoué, est bien entendu là pour nuancer la suggestion, montrant que la face humaine du héros d’action n’a pas totalement disparu et qu’elle ne demande qu’à être ravivée.
Ainsi, Stallone joue pleinement sur la familiarité que le public entretient avec son personnage pour mieux faire obstacle à ses attentes : Rambo n’a plus besoin d’exposition musclée ni d’antagoniste spécifique, les militaires birmans étant traités de manière presque abstraite, sans que leur nom ou leur personnalité soit particulièrement mis en avant, ce qui leur permet d’acquérir un statut abstrait, désincarné. Par conséquent, lorsque Rambo observe le résultat d’un carnage sans pareil à la fin du film, il ne regarde pas sa victoire sur la dictature birmane, qui existe toujours bel et bien, mais sur les démons qu’il a exorcisés en acceptant finalement de venir en aide aux prisonniers.

C’est peut-être là que le plan final de la saga prend son sens : en arpentant le bas-côté des routes américaines, sac sur le dos, John Rambo clôt l’histoire du héros meurtri qui a passé sa vie à imposer sa puissance aux regards internationaux. Il a combattu aux quatre coins du monde, s’est retiré et, après avoir ravivé une conscience qui lui suggérait de faire ce qui lui semblait juste, en est finalement venu à la conclusion qu’il était temps de retrouver sa patrie. Ce retour n’implique cependant pas une retraite du héros, car ce plan final est en opposition directe au plan de fermeture de First Blood, en 1982, qui enfermait son personnage dans un statut victimisant. Cette fois, le soldat rentre chez lui au gré d’une route qui semble ne pas prendre fin, tandis que le personnage et la caméra continuent tous deux leur mouvement séparateur, laissant croire que les regards devront désormais se tourner vers un nouveau héros.

Dans le fond, c’est la route qui mènera Stallone à faire de The Expendables une opportunité pour le héros mercenaire introduit dans Rambo IV de renouer avec l’idée que chaque combat doit trouver une cause justificatrice en accord avec l’idée d’abnégation qui motivait jadis les mythes américains peuplant le paysage culturel des années 1980.

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