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La saga Rambo, 1ère partie : First Blood
Quelques jours après la diffusion d’un premier teaser d’Expendables 3, Arkaron a choisi de consacrer son premier gros dossier de 2014 à l’une des deux sagas qui a rendu célèbre Sylvester Stallone : Rambo.
C’est d’autant plus intéressant que sort sur les écrans ce mercredi 8 janvier Homefront, avec Jason Statham, et écrit par Stallone. Statham a dévoilé lors d’une interview que le pitch du film a bien failli donner Rambo 5. De nombreux éléments ont été modifiés pour donner le film que vous découvrirez en salles.
En attendant, retour sur la saga Rambo. On commence tout naturellement par First Blood sorti en 1982.
La saga Rambo : articulation d’une dialectique américaine de la puissance héroïque nationale
– Why did they pick you? Because you like to fight?
– I’m expendable.
– Expendable… What mean expendable?
– It’s like someone invite you to a party and you don’t show up. Doesn’t really matter.
Réunion de stars célébrées du film d’action, la franchise Expendables est née de cet échange innocent au cœur du deuxième opus de la saga Rambo. Instigateur du projet, Sylvester Stallone a fondé sa carrière sur deux séries de films, l’une résonnant de façon particulière avec son propre parcours, ses propres démons, l’autre s’inscrivant dans un cadre plus large, plus pertinent au niveau sociétal. Retours sur les caractéristiques d’une saga d’action révélatrice de l’état d’esprit d’une conscience populaire.
1e partie
En 1982, First Blood s’ouvre sur une silhouette arpentant le bas-côté des routes américaines, sac sur le dos et poches remplies de souvenirs constituant l’ensemble de ses possessions. Il se rend chez un vieil ami, un frère d’arme qu’il espère retrouver pour invoquer un semblant de stabilité dans son quotidien. Mais le soldat est mort, il a succombé aux maux de l’agent Orange déversé sur les jungles vietnamiennes sans différencier les troupes. En quelques minutes et une poignée de plans seulement, Ted Kotcheff dressait le portrait grinçant de la condition des Viet-vets revenus perdants d’un front que la moitié du pays rejetait : ignorés par une partie de la population, méprisés par l’autre, les vétérans marchent le long de la route car ils n’ont pas été réintégrés à la société et parce que personne ne veut les prendre en stop. Lorsqu’il apprend le décès de son ami, John Rambo est un homme sans but, sans avenir et sans famille.
Articulée en quatre temps, l’évolution du personnage de Rambo permet de suivre d’assez près la progression d’une mentalité, à la fois chez les soldats et dans l’inconscient collectif américain. Ainsi, First Blood s’impose d’entrée comme une démonstration de la victimisation que les vétérans cultivaient dans leurs rangs et qui leur était attribuée. Le rejet du shérif du village de Hope illustre le mépris général de la population envers ces anciens soldats qui posaient de multiples problèmes : ils revenaient vaincus, portant sur leur dos le signe de la honte d’un pays entier ; ils revenaient dépouillés, n’arborant que leur vielle veste militaire qui les opposait par convention aux manifestants à l’encontre de politiciens engagés dans une partie d’échecs qu’ils se savaient plus gérer ; ils revenaient enfin démunis, sans qualification autre que celle de tuer vite et bien dans une société qui rejetait subitement la notion même de la guerre.

Une fois arrêté par la police locale, Rambo est conduit au poste et subit un traitement qui est mis en parallèle, par jeu de montage, aux tortures exercées dans les camps de prisonniers vietnamiens. La douche forcée, la violence gratuite et enfin la menace redoutée de l’arme blanche ressurgissent dans sa vie, transformant son foyer en zone de guerre. S’échappant de la prison institutionnelle américaine, Rambo défit la pression sociétale qui le force à disparaître, à s’écraser pour permettre à l’identité états-unienne d’oublier, de rejeter en bloc tout cet épisode de son histoire. Cependant, pour lutter, il n’a qu’une seule arme : lui-même. Tentant vainement de convaincre les forces de l’ordre par la raison, il est obligé de se réapproprier une terre qui l’accueille en étranger. Pour ce faire, il la transmute, la refaçonne à l’image des champs de carnage vietnamiens en investissant la forêt. Étant le seul capable d’utiliser son environnement à son avantage, en se fondant au décor, Rambo devient le guérillero vietnamien combattant les froides forces armées à l’important soutien logistique : il transfère en fait la guerre du Vietnam sur le territoire national pour obliger ses oppresseurs à se confronter aux maux d’un conflit nébuleux.
Il est néanmoins intéressant de noter que dans le premier opus de la série, Rambo ne tue absolument personne. Un policier meurt suite à sa propre négligence alors qu’il poursuit l’évadé, et de nombreux autres sont blessés, mais le vétéran n’ôte pas la moindre vie humaine bien qu’il soit sous-entendu qu’il n’aurait aucun mal à massacrer des hommes par dizaine. Il s’agit là d’un élément stratégique visant à renforcer le statut de victime du protagoniste, qui est le seul à faire preuve de compassion et d’émotions autres que le mépris ou la colère.
La victimisation du soldat passe également par d’autres canaux. L’accueil exécrable offert à Rambo fait écho à celui que Ron Kovic avait décrit en 1976 dans son livre Né un 4 juillet, dans lequel il disait refuser de croire que les américains pourraient protester à l’encontre des soldats qui mettaient leur vie en danger à chaque instant, et qui relatait l’incompréhension totale éprouvée à son retour, lorsque le seul accueil qui lui était proposé était celui des regards accusateurs. En intégrant cette dialectique dans sa structure narrative, First Blood cristallise l’essence à la fois marginale et intégrée du héros d’action : c’est un homme du peuple, parce qu’il est pauvre, honnête et résistant ; mais il est aussi différent, ostracisé en raison de son histoire qu’il va devoir affronter et avec laquelle il devra faire la paix.
Lorsqu’à la fin du film, le colonel Trautman retrouve son ancien soldat dans la ville en flammes et en émoi, celui-ci s’insurge, il évacue la somme de toutes ses frustrations. Dans son discours, il illustre à nouveau une autre forme de victimisation : « Somebody wouldn’t let us win », affirmant que la défaite de l’armée reposait dans les mains d’un gouvernement qui avait consciemment décidé de mener ses hommes à leur perte, les empêchant de gagner au nom de considérations politiques abstraites. La proposition sera validée un an plus tard par les témoignages publiés dans l’ouvrage Charlie Company: What Vietnam did to us, où certains vétérans corroborent le parti pris de John Rambo, expliquant que les moyens logistiques déployés étaient insuffisants, que la puissance militaire pure aurait pu raser le pays entier et mettre fin à la guerre.

Le film se situe donc dans une logique bipolaire, utilisant le protagoniste pour exprimer un point de vue singulier, celui du héros américain défait, à bout de souffle et de but malgré toutes ses capacités physiques et morales hors du commun. Le second pôle est celui qui lui renvoie un regard, celui qui représente la conscience culturelle du pays, désenchanté par une guerre incompréhensible et méfiant vis-à-vis des hommes qui l’ont menée.
Peut-être plus étonnant encore dans l’écriture du film : sa fin, qui rejette toute possibilité de catharsis pour son personnage principal, au bout du rouleau et incapable de contenir ses larmes, tombant dans les bras de son mentor, lui-même représentant d’une génération de héros jadis célébrés par une nation entière. Sous les yeux de la police, Rambo est escorté vers sa détention, avant de se voir emprisonner dans l’ultime plan du métrage, qui renferme l’image du soldat abattu sans espoir de rédemption.
L’image de « film de mec » que Rambo s’est vu attribuer au fil des années est finalement très peu défendable, First Blood étant bien plus proche de l’état des lieux, du constat de défaite du héros américain victimisé et qui, malgré toutes ses prouesses physiques, ne parvient plus à reconquérir sa masculinité absolue, sombrant dans une logique proche du défaitisme qui dresse les structures institutionnelles et la conscience populaire en coupables. Ce sont les États-Unis au sortir de la guerre du Vietnam, embourbés dans une crise du pouvoir et de l’identité.

Il est intéressant de préciser que le premier opus cinématographique de la saga Rambo est adapté d’un roman, First Blood, que l’auteur David Morrell a écrit au sortir de son doctorat universitaire. Versé dans les sciences culturelles et historiques, Morrell a construit son livre selon un double point de vue : celui de Rambo, vétéran du Vietnam en pleine crise identitaire et incapable de comprendre le point de vue de son opposant, le shérif Teasle, dont l’opinion est pareillement mise en perspective. Le Teasle du roman, cependant, est lui aussi un vétéran, à ceci près qu’il a une génération d’avance sur Rambo et qu’il a combattu en Corée plutôt qu’au Vietnam. Le livre se permettait ainsi de présenter les deux points de vue d’un conflit intergénérationnel dont tous les partis se révélaient incapables d’ouvrir leurs perspectives pour réellement comprendre l’autre. En l’adaptant au cinéma, les scénaristes du premier film ont donc volontairement transformé John Rambo en homme victimisé, faisant au passage de Teasle un policier particulièrement agaçant et incompétent, qui n’a plus ce bagage militaire.
La stratégie s’est révélée payante car en plus de renforcer l’empathie envers le protagoniste, les scénaristes sont partis d’une étude sociologique pour créer un mythe culturel renouvelé, celui du héros américain marqué, blessé et humain, à qui il sera offert une chance de renaissance.
Ainsi, First Blood se présente comme une tentative de compréhension et d’acceptation d’une défaite jusque-là inédite dans l’histoire du pays ; désormais, pour que l’inconscient collectif soit capable de s’imaginé un héros reconstruit, il lui fallait avant identifier et éliminer les responsables de cet échec, ce que First Blood : Part II s’évertuera à faire trois ans plus tard.
A suivre : Rambo 2 La Mission…
1 commentaire
par Olivier
Un excellent film que j’ai redécouvert, qui en plus m’a rappelé les années 80, avec des superbes paysages… le plaisir de découvrir au-delà de la réputation débile qu’il s’est faite…
P.S. : La dernière photo est tirée de Rambo 2