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Journal de l’Etrange Festival 2023

Amis de l’Etrange, bonjour !
Comme tous les ans, le Forum des Images se transforme à la rentrée en Mecque des images improbables, incongrues et résistantes, pour laver nos rétines du conformisme ambiant et les faire voyager dans les zones d’ombres du monde, en compagnie d’artistes punks venus de tous les continents. Pour cette 29ème édition, on pouvait s’étonner à la lecture du programme de la forte présence d’œuvres de patrimoine et du nombre un peu fébrile de nouveautés, mais à un an d’un 30ème anniversaire qu’on espère gargantuesque, la manifestation n’a rien perdu de sa singularité et voici un petit tour non exhaustif des joyeusetés qu’on pouvait y trouver cette année.

Qui dit Etrange, dit… Etrange. Logique.

Forcément, cette cuvée 2023 possédait son lot de films schtarbés et totalement iconoclastes, dont le cycle Begotten, une trilogie expérimentale et sans paroles de E. Eliias Morhige débutée en 1989 avec Begotten, un long-métrage en noir et blanc dans un 16mm littéralement défoncé par de l’acide et des procédés chimiques corrosifs, afin de bien déglinguer l’image de ce cauchemar SF consistant à voir des corps se faire torturer dans des terrains vagues pendant 70 minutes. C’était pas franchement inspirant, mais si le second film réalisé en 2006, Din of Celestial Birds, commençait à relever le niveau en seulement 7 minutes d’explorations visuelles, tout ça valait le détour pour le dernier opus en date, Polia & Blastema, un opéra cosmique de 40 minutes d’une facture technique démentielle, qui se pose comme la version cauchemardesque du trip final du 2001 de Kubrick, en confrontant infiniment grand et petit dans un ballet sensoriel hyper abouti, qui vous transporte dans une hallucination aussi sombre que lyrique, où le symbole est roi et fait tout pour titiller vos sens et vos tripes.

Une sacrée expérience, dont on peut trouver quelques réminiscences dans le récent Moon Garden, l’histoire d’une petit fille tiraillée entre ses 2 parents au bord de la séparation, et qui suite à un accident lors d’une nuit de dispute va partir dans un univers onirique qui n’est évidemment autre que son subconscient, où ses cauchemars et ses peines vont se matérialiser sous la forme d’un démon qu’elle va fuir d’un décor abstrait à un autre, telle une Alice au pays des merveilles bien plus gothique et baroque. Un petit film, à l’économie réduite et au jeu d’acteur parfois approximatif, mais qui parvient à donner forme à certaines de ses idées les plus folles, et qui se pose comme une jolie aventure intérieure, aussi inquiétante que poétique.

C’est peut-être d’ailleurs cette même gamine qui a grandi et est devenue adolescente dans l’américain The Sweet East, qui démarre comme un teen-movie un peu trash avec son héroïne fuyant une sortie scolaire à Washington pour rencontrer la scène punk de la ville, avant de vriller en road-trip au surréalisme nébuleux et doux, croisant notamment Simon Rex, l’acteur du Red Rocket de Sean Baker. Le bougre joue toujours un type un peu instable dont la mâchoire racle le sol face à la jeune femme, mais c’est bien elle qui mène la danse et va vivre un périple parfois réaliste, parfois totalement absurde, campée par une Talia Ryder au charisme angélique dont les airs innocents et enfantins cachent mieux un caractère malicieux qui joue de ses charmes constamment sur le fil du rasoir pour tracer sa route sans jamais se soumettre. Un film protéiforme dont certains virages détonnent, et dont la crédibilité globale est toujours au bord de l’effondrement, mais qui parvient au bout de son projet avec malice.

Un Etrange Festival sans partie asiatique ne serait pas un Etrange Festival, et si le méga-blockbuster chinois The Wandering Earth II vient clôturer les festivités, c’est la Corée du Sud qui a raflé la mise cette année avec le foutraque The Childe en ouverture, et surtout The Roundup – No Way Out et Concrete Utopia.
The Roundup 3ème du nom, c’est le retour de Don Lee (ou Ma Dong-seok suivant l’appellation internationale), acteur colosse et superstar en Corée, qui a désormais comme véhicule à sa gloire cette belle franchise de polars funs et bas du front, tout juste prétextes à le voir diriger sa bande de flics et à surtout coller des beignes à tout ceux qui le regarde de travers. A l’instar du deuxième film, c’est un festival de patates de forains, et pas beaucoup plus vu les scénarios assez fonctionnels, mais le comédien s’en donne à cœur joie et le tout passe comme un divertissement sans prétention et franchement rigolo avec sa proportion à tourner au cartoon slapstick. Si vous aimez voir des types traverser le décor, c’est pour vous !

Ambiance légèrement différente avec Concrete Utopia énorme carton là encore dans son pays natal, pour un blockbuster catastrophe qui imagine un tremblement de terre maousse costaud qui rase tout sur son passage. Tout, ou presque, puisqu’un irréductible immeuble reste étonnement intacte au milieu du champ de ruines, et ses habitants vont réorganiser leur vie en faisant face au monde extérieur et aux survivants d’ailleurs. Posant son postulat de départ en deux temps trois mouvements, tout en montrant dans une intro fascinante avec des images d’archives l’essor délirant des immeubles et la transformation des paysages par l’homme en l’espace d’un siècle, Concrete Utopia est surtout l’occasion un prétexte pour mener une expérience anthropologique et observer la capacité du citoyen contemporain à s’organiser et à survivre en cas de cataclysme majeur.
Tout de suite, les questions de lutte des classes, d’organisation de la société, de chaines hiérarchiques et politiques ou d’approvisionnement fusent, et on observe tout ce beau monde faire comme il peut pour s’en sortir le plus dignement possible tout en étant au bord du gouffre.
Un anti Roland Emmerich, qui garde le spectacle au minimum pour étudier ses personnages et afficher une étonnante foi dans l’humain dans les heures les plus sombres, comme si le post-apo pouvait être source d’espoir, avec des résonnances actuelles multiples.
Le film est trop long et trop explicite par moment pour son propre bien, mais reste curieux dans son traitement et sort vraiment du lot.

Dans une économie toute autre, on pouvait aussi découvrir You’ll never find me, premier film australien de Josiah Allen et Indianna Bell, avec un vieillard solitaire vivant reclus dans un mobil-home qui va être surpris au beau milieu d’une nuit orageuse par une jeune femme toquant à sa porte.
Lui offrant sans grand enthousiasme l’hospitalité pour la nuit, ce drôle de duo va alors se jauger et être sur la défensive tout du long dans un huit-clos aussi minimaliste que pesant, où rien ne sera vraiment ce qu’il semble être tout du long durant cette heure et demie entre 4 murs, le film ne sortant jamais de son décor ! Un exercice casse-gueule excellemment bien mené avec une tension au cordeau, des comédiens qui parviennent à donner vie à un texte pétri de silences, et un jeu de dupe assez fascinant, chaque personnage prenant à son tour l’ascendant psychologique sur l’autre, dans un échange anxiogène où l’on ne sait qui croire, et des révélations finales percutantes.
L’exemple même du premier film fauché parfaitement mené, où l’absence de moyens devient une force, d’autant que la photographie est de haute volée.

Difficile après de tels films de ne pas sentir comme toujours un amour vibrant pour le 7ème art, et certaines œuvres projetaient le clamaient ouvertement, à l’instar de The Magic Box, production anglaise de 1951 faite pour le demi-siècle du cinéma, qui profitait de cette occasion pour mettre en avant le parcours délirant de William Friese-Greene, un photographe et inventeur oublié de l’histoire du cinéma qui avait pourtant été l’un des créateurs de la pellicule celluloïd et d’une caméra capable de filmer en mouvement ! Plus fou encore, l’homme a inventé sa propre procédé couleur, et aurait naturellement dû être reconnu comme l’un des pères du cinéma, mais une vie de malchance, de faillites financières et de mauvaises décisions l’a finalement exclu du panthéon de notre art préféré. Bien qu’assez académique, le film retrace tout ça à merveille, et dresse le portrait attachant d’un passionné qui donna tout pour son art, notamment lors d’une mort tragique et véridique vis-à-vis de son parcours.


Quelques décennies plus tard, un cinéma punk allait devenir une référence pour tous les amateurs de films autres et de contre-culture. Ce cinéma, c’est le Scala à King’s Cross à Londres, et un documentaire portant son nom retrace l’histoire folle de ce lieu hors du commun qui n’a cessé de mettre en avant tous les genres mal vus, du porno à l’horreur, du fantastique à l’expérimental, entre 1978 à 1993, avec dans ses habitués une pléthore d’artistes de renoms, de Ben Wheatley à John Waters, tout ce beau monde revenant pour là encore dresser le portrait de ce pilier de la culture LGBT+ et punk, qui mena tant bien que mal sa barque dans l’Angleterre de Margaret Thatcher.
De l’aveu même de Frédéric Temps, le directeur de l’Etrange Festival, la manifestation parisienne doit beaucoup à ce cinéma, et c’était donc l’occasion de boucler la boucle en cette 29ème édition, où l’on pouvait aussi voir Mad Fate, Vincent doit mourir, une carte blanche à Gareth Evans venu présenter notamment Evil Dead 2 ou Dead of Alive de Takashi Miike, un autre à la pornographe Olympe de Gé et encore tant d’autres curiosités.


En attendant, l’Etrange s’impose une fois de plus comme la manifestation cinématographique la plus folle et atypique de l’hexagone, et on attend de pied ferme 2024 pour un 30ème anniversaire qui sera sans doute hors normes, une fois de plus.

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