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Fearful Symmetry #2 : Jolies Ténèbres
Merci pour votre accueil du premier numéro de Fearful Symmetry, la nouvelle rubrique de CloneWeb consacrée à la bande dessinée.
Pour ce 2e volet, Guillaume et Basile revienne avec Jolies Ténèbres, une bande dessinée à l’air enfantin. Mais seulement l’air. C’est signé Fabien Vehlmann et Kerascoët.
On peut d’ores et déjà vous annoncer que la rubrique du mois d’août sera consacrée à une bande dessinée pas encore sortie mais très, très attendue. On vous en reparlera en détails.
D’ici là, bonne lecture et, comme pour le numéro précédent, n’hésitez pas à nous faire part de vos remarques et commentaires.

Guillaume
Ami lecteur, si tu veux tout savoir, pour cette deuxième intervention, nous avions envisagé de parler de la bd jeunesse, car bien que souvent méprisée par l’esthète de l’art (le 9e), elle recèle des petits trésors fort appréciables.
Nous étions donc en pleine séance de brêlestorming, lorsqu’un titre bien particulier fut évoqué, et du coup, nous révisâmes nos objectifs et mîmes de côté les illustrés jeunesse pour une prochaine fois (tiens, j’entends un « rhoooo » sur ma droite). Mais ne t’inquiète pas, ami lecteur, car à la place, nous allons te parler d’un olni, un objet littéraire non identifié, qui vaut son pesant de salsepareille et qui a chamboulé plus d’un lecteur aguerri.
Il s’agit de Jolies Ténèbres, un album concocté à six mains par Fabien Vehlmann et Kerascoët, pseudonyme sous lequel se cachent les dessinateurs Sébastien Cosset et Marie Pommepuy. Cette dernière étant d’ailleurs à l’origine du projet.
Jusque là, ces auteurs nous avaient habitué à des récits relativement conventionnels, plutôt orientés « aventure/humour »: Vehlmann avec Seuls, Spirou Hors Série 1, Le marquis d’Anaon, Samedi et Dimanche et Kerascoët avec Miss pas touche et quelques Donjon. Mais là, avec cet album, on change de ton…
Basile
Ah ça c’est pas peu dire !
Sur le changement de ton, je veux bien te croire car je n’ai pas lu les oeuvres que tu cites. Mon premier et unique contact avec Velhman s’est fait à la lecture de son 7 Psychopathes, qui ne m’avait pas vraiment convaincu. Jolies Ténèbres, en revanche, c’est une toute autre paire de manches.
En commençant la lecture j’étais un peu décontenancé. Puis au fur et à mesure j’étais de plus en plus mal à l’aise. Et une fois terminé, je me suis retrouvé complètement déboussolé, une sensation bien trop rare lorsqu’il s’agit pour moi de donner un avis sur une BD. Je ne peux pas dire que j’ai été pris complètement de court puisque je pensais savoir à quoi m’attendre (en gros « une bd sur des enfants mais pas pour les enfants »). Mais la puissance du récit surpasse largement ce à quoi je m’attendais. Et ce récit, comment le résumer sans spoiler ?

Guillaume
Ehhh, en effet, pas fastoche mais bon, la couverture révèle déjà certains des éléments si particuliers du récit…
Voyons voir, et si on disait que ça se passe dans une forêt, en Europe, à notre époque (jusque là, rien de très folichon) et que l’on suit les péripéties d’une communauté de minuscules êtres humanoïdes qui ont élu domicile dans… le cadavre d’une fillette gisant sur le sol. Ça calme, hein, tout de suite ?
Et là, j’entends des esprits chafouins s’exclamer : « Pfff, kesski di lui, c tro pa dégueu son truk, gé vu pir sur gougueul image ! En plus, lé petis bonzoms, ils son tro kawaï lol !! » Certes oui, jeune érudit, mais ce n’est là que le début de l’histoire, car un cadavre, aussi confortable soit-il, est une chose qui a tendance a mal vieillir et ses occupants vont devoir gérer la décomposition, à la fois de leur habitat mais aussi de leur cohésion de groupe… J’en ai trop dit là ou pas, partenaire ? et toi, tu veux réagir sur le dessin « kawaï » ?
Basile
Et bien cela me semble bien résumer la chose. Sur le trait « kawaï », il y en a des choses à dire !
D’abord qu’il prend toute sa force en s’opposant au trait semi réaliste des décors, dont le fameux cadavre de petite fille. L’intégration est parfaite et ces personnages dessinés de façon épurée et tendre deviennent naturellement le point sur lequel le regard se concentre.
Et plus que kawaï, je dirais que ce trait tient presque de l’illustration de livres pour enfants. Une apparence évidemment bien trompeuse car la douceur des lignes qui composent ces visages angéliques ne fait qu’accentuer l’horreur et la cruauté de l’histoire. Parce que oui, Jolies Ténèbres, c’est cruel. Cruel comme un conte.
Guillaume
Cruel comme un conte, oui, ou peut être pourrait-on dire, cruel comme un enfant. Car comme les contes qui exorcisent des tabous ou des angoisses enfouis dans l’inconscient, on retrouve ici les pulsions qui régissent les psychés enfantines (nos chères têtes blondes peuvent en effet passer de l’amour à la haine en une fraction de seconde et je passe sur toutes les preuves de moquerie, de mépris ou de cruauté dont ils sont capables, ces petits anges).
Et malgré tout, on n’en veut pas aux personnages. Est-ce parce qu’on est pris par le récit (« mais où tout cela va-t-il nous mener ? ») ou bien est-ce parce que leurs actions font écho à de lointains souvenirs ?
Basile
En effet, on ne leur en veut pas, et bien qu’on aille à chaque fois plus loin dans l’horreur, j’étais littéralement fasciné par ce que Vehlman et Kerascoët nous proposent. Il y a un côté viscéral, qui joue à la fois sur la résonance que tu évoques (« les enfants sont horribles mais tiens, tiens, je me rappelle être passé par là ») et sur notre curiosité de lecteur (« d’accord mais comment ça se finit tout ça ? »). Curiosité qui se heurte à cette fin qui nous laisse dans le flou quant au « message » qu’ont voulu faire passer les auteurs. Et je crois que la plus grande qualité de Jolies Ténèbres, c’est de refuser ce caractère simpliste du message, ce confort auquel le lecteur est trop habitué.

Guillaume
C’est vrai qu’on ne sort pas apaisé de cette lecture car en plus de tous les chamboulements affectifs précédemment évoqués, les auteurs nous lancent aussi des pistes sur la raison de ce cadavre dans la forêt et là encore, chacun est libre de se faire son interprétation. L’album est vraiment un exercice réussi : faire appel à la fois au ressenti et à la reflexion du lecteur sans pour autant lui donner une solution toute faite.
Basile
Pour conclure, faut-il lire Jolies Ténèbres ? Oui, cent fois oui. Mais à qui cet album est-il vraiment destiné ? Ne vous y méprenez pas, un enfant risque de faire une drôle de tête à la lecture…
Jolies Ténèbres
Dessin : Kerascoët
Scénario : Fabien Vehlmann
Editeur : Dupuis
94 pages. 15 euros.

1 commentaire
par Mr.Aka
Je me rapelle la sortie de cet album, même si javoue être passé à côté malgré les bonnes critiques que j’en avais lu. Vos avis me tentent bien de me lancer dans cette lecture…quant à « 7 psychopathes » j’avais bien aimé (un peu court, mais le concept était bon) même s’il n’était pas à la hauteur de « 7 Misssionnaires » du génialissime Ayroles…