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LA CRITIQUE
Viggo Mortensen est passé par Paris à la mi-octobre, dans pratiquement une autre vie, pour nous permettre de profiter d’une ultime séance de cinéma nocturne.
Il est venu présenter Falling, son premier film en tant que réalisateur, scénariste, producteur et compositeur. L’homme aux multiples casquettes (il est également éditeur et peintre à ses heures perdues) voulait raconter l’histoire d’une relation entre un père et son fils.
Falling nous montre donc, à travers plusieurs époques, le lien entre Willis et John. Ce lien commence par l’enfance, quand le père, un bon rustre de la campagne profonde américaine, apprend à son jeune premier comment abattre son premier colvert. Puis on les découvre en 2009, bien installés dans l’âge adulte. Willis est devenu une caricature de lui-même. Vulgaire, raciste, râleur, homophobe et doucement atteint de démence.
Le film va passer d’une époque à l’autre en cherchant des transitions, parfois en montrant le passé à travers les souvenirs du personnage de Viggo Mortensen et parfois à travers les yeux (ou les oreilles, certaines réminiscences ne sont que sonores) du vieux Willis. Lance Henriksen y livre une performance mémorable. A 80 ans et après avoir été un éternel second rôle, souvent adulé (il était Bishop dans Aliens), il décroche le rôle de sa vie, celui qui devrait lui permettre de monter, enfin, sur de nombreux podiums. Falling lui donne une opportunité incroyable en tant qu’acteur.
Mortensen, lui, passe d’une casquette à l’autre avec brio. Son premier film est très beau, joliment éclairé et son histoire cherche à tout prix à éviter le pathos. C’est peut-être aussi son défaut. Il n’y a pas vraiment de drame ni d’évènement majeur dans Falling. Il y a une forme de douceur, une envie de montrer le temps qui passe à travers de belles images de la campagne, une envie de montrer une famille de l’intérieur. Mais fondamentalement il ne s’y passe pas grand chose. Un peu comme la vie ?
LA RENCONTRE
Quelle la genèse de votre projet, qui est aussi votre premier film ?
J’ai essayé plusieurs fois de monter ce projet, et d’autres, sans trouver de financement. J’ai commencé à écrire Falling après la mort de ma mère, ce que je ressentais pour elle. J’ai alors pensé à mon père, à mes frères, à mon adolescence. C’est une famille fictive mais j’ai voulu explorer mes souvenirs. Les souvenirs sont subjectifs, on essaye toujours de les contourner pour pouvoir vivre le présent. Je voulais aussi évoquer le manque de communication, la polarisation, les conflits au sein d’une famille.
Vous aviez prévu de tenir le rôle principal ?
Non, ce n’était pas l’idée. Je voulais Lance Henriksen pour le rôle de Willis. Il était d’accord mais le projet a été retardé. J’ai donc rappelé Lance qui, après une longue pause au téléphone, a accepté. Il a réfléchi parce qu’il s’avait qu’il allait devoir plonger dans ses propres souvenirs d’enfance. J’ai travaillé avec lui, on a monté son personnage. On est devenu amis, il m’a raconté son enfance difficile. Il a grandi dans les rues de New York, de parents difficiles. Il a longtemps été analphabète. C’était compliqué. Ses souvenirs difficiles ont nourri le rôle. Il voulait aller au bout pour que son rôle soit sincère. Je trouve le résultat subtil, complexe et très courageux. C’est une interprétation qui restera dans les mémoires.
Vous êtes le réalisateur, le scénariste, le compositeur. Ce n’est pas trop compliqué de mélanger toutes les casquettes ?
J’étais le seul producteur de mon projet. On a commencé à tourner tôt, on a pris des plans de la nature à travers les saisons. Je voulais aussi apprendre à connaitre mes collaborateurs dont Marcel Zyskind, le directeur de la photo. On a donc tourné avant même d’avoir le financement.
Le temps qu’il m’a fallu pour obtenir les financements m’a permis de penser à beaucoup de choses en amont dont la musique. Je ne sais pas si je le referais. Mais j’ai bien appris, grâce aux réalisateurs avec qui j’ai tourné comme David Cronenberg ou Jane Campion, qu’il fallait beaucoup préparer en amont. Ils m’ont aussi conseillé d’écouter les équipes, d’être ouvert aux suggestions. C’était un cas particulier, ce projet, pour moi.
Je me suis toujours intéressé à la construction d’un film, même quand je n’étais qu’acteur. Je mettais mon nez partout pour comprendre comment bien faire. Avec Falling, c’est à moi qu’on posait les questions. Mon équipe s’est beaucoup identifiée au film, tout le monde a raconté ses histoires personnelles.
Le film a un aspect politique. C’est l’affrontement d’un père et son fils mais aussi de deux Amériques, juste avant les élections
J’ai écrit le scénario un peu avant l’élection de Donald Trump. Les conflits dans la société américaine, et même dans le monde, sont une ancienne pandémie. Je voyais pendant la campagne que c’était de plus en plus polarisé et contagieux. Chaque génération a la possibilité, peut lutter contre la génération précédente, contre le racisme, la misogynie, la peur de l’autre.
Au moment du tournage, Trump était déjà Président. Il aime qu’on parle de lui, ce qu’on fait quotidiennement. J’y ai songé, car c’est normal que la famille soit le miroir de la société. Mais je ne voulais pas qu’on ne pense qu’à ça en voyant le film. J’ai donc situé le film début 2009, juste après l’élection d’Obama.
Pourquoi avoir attendu si longtemps pour devenir réalisateur ?
Je ne l’ai pas choisi. La première fois que j’ai voulu réaliser, c’était il y a vingt quatre ans et un autre scénario. Si j’avais le film il y a vingt ans, je n’aurai peut-être pas pu éviter les erreurs que j’ai su contourner. J’ai vécu beaucoup de tournages depuis, j’ai appris à me préparer. J’ai aussi vu beaucoup de cinéma, des choses que j’aimais et d’autres que je n’aimais pas à différents niveaux.
Quelles sont vos inspirations les plus fortes pour Falling ?
Tous les films que j’ai vu depuis que j’avais trois ans, toutes mes expériences d’acteur, producteur ou musicien ou même éditeur ont inspiré Falling. Et même si je n’en étais pas conscient. Je ne pensais pas à des références en particulier.
J’ai partagé des photos, des peintures et des films avec Marcel Zyskind pour qu’il voit la sensibilité que je cherchais. On est alors vite tombé d’accord sur l’image, les cadres, le traitement de la temporalité. Mais l’idée n’était pas d’imiter quoi que ce soit.
La démarche du film, dédié à vos frères, est-elle une réconciliation familiale ?
Même si les personnages sont père et fils, l’inspiration était ma mère. La mère de l’histoire est le centre moral, la conscience. Mais j’ai beaucoup pensé à mon père, d’autant qu’il est mort en 2017. J’étais à ses côtés, c’était juste après les Oscars de Green Book.
Il y a peut-être une acceptation de ce qui s’est passé entre nous. Mais le film est très différent, c’est une fiction et même s’il y a des points communs.

David Cronenberg joue dans le film. Etait-ce particulier pour vous d’inverser les rôles, qu’il devienne votre acteur ?
Quand j’ai songé au casting, j’ai sincèrement pensé qu’il serait parfait pour le rôle. Il a lu et beaucoup aimé le scénario. Il m’a dit : « je peux faire ce personnage. De quel couleur, ses gants ? »
Il est arrivé tôt sur le plateau. On tournait au Canada. S’il est une légende en France, là-bas pour les cinéphiles, il est Dieu. Toute l’équipe était excitée mais il a fait des blagues pour détendre l’atmosphère.
Il est probable que le grand public ne sache pas qui il est. Pour ceux qui savent, c’est intéressant d’autant qu’il incarne un proctologue. Mais c’était une façon de le remercier pour tout ce qu’il m’a apporté.
Vous filmez beaucoup la nature dans le film. Quel est votre rapport ?
J’aime beaucoup la nature mais c’était surtout pour le personnage de Willis [Lance Henriksen]. Son monde, c’est la nature, la ferme. C’est important aussi pour le personnage de John, dans ses souvenirs. Et je voulais montrer le temps qui passe, d’où le tournage au fil des saisons.
Je voulais aussi montrer la démence du personnage de Willis. Ma famille a été touchée. Dans beaucoup de film, la maladie est montrée d’un point de vue extérieur. On n’essaye pas de montrer le monde du point de vue du malade. Nous, on perçoit de la confusion, mais souvent pour les personnes malades, elle n’existe pas. Je voulais montrer leur monde à travers la nature, à travers l’utilisation des sons.
Vous remerciez Agnès Varda au générique. Pourquoi ?
Beaucoup de gens sont remerciés parce qu’ils m’ont aidé, conseillé. David Oelhoffen [réalisateur de Loin des Hommes] a lu une ancienne version scénario, ses conseils m’ont aidé à faire le film.
J’ai rencontré Agnès et sa fille Rosalie Varda dans un avion entre Marrakech et Paris après un festival. Pendant près de trois heures, on a parlé de tout. De la vie, de la mort, du cinéma, même de recyclage. Elle m’a parlé ouvertement de sa maladie. Je lui ai dit que j’essayais de faire un film. Elle a utilisé les mots justes pour me dire ce que j’avais pensé en tant que spectateur : je n’aime pas que le metteur en scène me dise ce que je dois penser, ressentir. Si la mise en scène est bonne, je veux participer. Je veux que le film, en tant que spectateur, devienne mon film. Je ne savais pas comment l’exprimer. Elle m’a aidé à comprendre cela.
Falling, de Viggo Mortensen – En salles le 19 mai 2021