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Critique : Sorry to Bother You

Le rappeur Boots Riley se lance de plein pied dans le cinéma avec Sorry to Bother You, dont il compose également la musique.

Sorti sur les écrans américains en juillet dernier et présenté en décembre à Paris dans le cadre du PIFFF, le film arrive enfin fin janvier sur les écrans français. Il rassemble Lakeith Stanfield, Armie Hammer, Tessa Thompson, Terry Crews ou encore Danny Glover.

LA CRITIQUE

Après un passage remarqué à Sundance, Sorry to Bother You a vu son destin chamboulé, avec une distribution achetée par Annapurna Pictures et un petit tour des festivals couvert de succès, tout comme une sortie remarquée aux Etats-Unis. Pourtant, le projet revenait de loin, son réalisateur Boots Riley ayant mis des années pour le monter, s’incrustant à des soirées mondaines pour proposer des rôles à des acteurs et lutant inlassablement pour réunir un financement digne de ce nom. Un travail passionné et de longue haleine pour le leader des groupes Street Sweeper Social Club et The Coup, passant pour la première fois derrière la caméra…

Cassius Green, le héros du film, est en galère à Oakland, et vit dans un garage qu’il sous-loue à un de ces oncles. Passant d’un job miteux à un autre, il finit dans un centre de télémarketing, enchainant coup de fil sur coup de fil pour vendre des services à des inconnus importunés dans leur quotidien, jusqu’au jour où il trouve le truc qui va faire décoller ses chiffres et lui ouvrir les portes d’un tout nouvel univers…

Boots Riley a toujours été un artiste engagé, sa musique entre rap et rock étant son support d’origine pour dénoncer les inégalités du monde contemporain, les problèmes raciaux et l’injustice qui règne en maître. Le bougre ne s’était pas affilié au guitariste de Rage Against the Machine pour rien…
Que son premier film mette les deux pieds dans le plat n’a donc rien d’une surprise, mais la forme a le mérite d’être étonnante. On pouvait craindre un énième film labellisé Sundance avec un humour un tant soit peu décalé, comme le laisse penser le début du long-métrage d’ailleurs, où le héros se retrouve catapulté avec son bureau de travail devant les clients auxquels il téléphone, pour bien appuyer chaque quiproquo et la gêne provoquée à chaque coup de fil. Sauf que Boots Riley a les crocs, et le fait sentir de bout en bout.

La folie contamine progressivement tout l’univers délirant du film, dont la fantaisie absurde n’est que le reflet caricatural des maux de la société.

Par exemple, le personnage est entouré d’affiches publicitaires et de spots télévisés pour une nouvelle société révolutionnaire, où les employés n’ont pas de salaire mais sont nourris et logés dans des grands centres en échange de leur labeur. Toute l’esthétique et le ton enjoué de la promotion pour pareille compagnie sent évidemment fort l’entourloupe et l’hypocrisie à plein nez, dans un monde sans aucun scrupule où l’exploitation de l’homme est carrément marketée et labellisée.
Un détail en arrière-plan prenant de l’importance dans le récit au fur et à mesure de la montée en puissance du héros, qui va se retrouver en plein examen de conscience face à ses collègues réclamant une justice sociale quand lui commence à goûter aux privilèges des classes supérieures.
Boots Riley n’y va pas avec le dos de la cuillère et toutes ses intentions sont limpides derrière l’esthétique pop et colorée du film, le bougre s’amusant à tourner en ridicule les méthodes des puissants dans les moindres détails, comme un interminable code de sécurité dans un ascenseur qui va constituer un gag à répétition dans le film. En conséquence, certains diront que le rappeur enfonce des portes ouvertes avec son récit tant oui, Sorry to Bother You semble checker toutes les cases de l’indignation sociale contemporaine.

Sauf que ses intentions imprègnent tout le récit, son univers et son ton. Sorry to Bother You reste avant tout une comédie, et c’est à ce niveau-là que le film tire son épingle du jeu tant il parvient à prendre le spectateur au dépourvu en allant sur le terrain de l’absurde. On en dira pas plus pour préserver le plaisir de la découverte, mais sachez juste que si Boots Riley revendique clairement l’influence d’un Spike Lee sur son cinéma, celle d’un Spike Jonze n’est jamais loin, ou Michel Gondry dirons certains, dans cette capacité à partir totalement en vrille pour donner dans des délires totalement fous. Et c’est d’autant plus réussi que le tout se fait en accord constant avec le propos de l’histoire, le résultat formant une satire moderne, remettant en perspective ses interrogations premières pour les enrichir et ne jamais perdre de vue qu’on est au cinéma, en tenant à préserver l’équilibre entre le fond et la forme. Le cocktail proposé est rafraîchissant, aussi touchant que drôle et ne tombe jamais dans la pose révoltée facile grâce à une belle dynamique dans la mise en scène et les extravagances qui infusent le récit tout du long, tout en étant capable de jauger aussi bien un camp que l’autre, les performances du personnage de Tessa Thompson permettant au film de ne pas taper sur un seul camp et de parler à tous.

Dès lors, il est facile de comprendre l’engouement pour cette comédie intelligente, dans laquelle le casting s’en donne à cœur joie, y compris pour un vétéran comme Danny Glover, ou un acteur confirmé comme Armie Hammer, qui trouve là son rôle le plus déluré de sa carrière et s’avère excellent dans l’exercice de la comédie. Pour un premier essai en tant que réalisateur, l’équilibre trouvé et la personnalité débordante dont font preuve le film méritent le respect, car il faut bien avouer que Boots Riley n’a rien perdu de sa classe et de son flow, et a tout simplement réussi à les faire passer du micro à la caméra.

Sorry to Bother You, de Boots Riley – Sortie le 30 janvier 2019

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