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Critique : Mademoiselle de Joncquières

Scénariste, réalisateur, acteur et désormais animateur radio (« Lumières dans la Nuit » sur France Inter), Edouard Baer est partout. Il trouve même le temps de jouer pour les autres, comme dans Mademoiselle de Joncquières.

Le film est l’adaptation d’une partie de Jacques le Fataliste, de Denis Diderot, histoire déjà portée à l’écran sous le titre Les Demoiselles du Bois de Boulogne par Robert Bresson, avec à l’époque Jean Cocteau aux dialogues.

 

LA CRITIQUE

Madame de La Pommeraye (Cécile de France) ne veut, ni ne peut, aimer le Marquis des Arcis (Édouard Baer). Elle ne le veut car ne croit ni en lui, marquis léger, badin, ni en l’amour, puéril, et bas. Contrairement au sentiment d’amitié, qu’elle chérit. Les mois s’écoulent, tranquilles et dociles et Madame finit par lire en son ami de la sincérité, de la longueur, de la lenteur, elle se persuade qu’elle ne sera pas, pour lui, l’histoire de quelques nuits et jours. Elle se laisse s’éprendre et tous deux vivent des mois d’une complicité, d’une tendresse, d’un romantisme amusant, salvateur. Un jour, triste est de constater que les émotions si vives ne sont plus, elles ont terni, viré au gris. Madame de La Pommeraye, avec douleur, s’en rend compte. Elle rend sa liberté à un Marquis des Arcis qui revit.

Son cœur brisé, elle décide de se venger. Elle tend au Marquis un grand, très grand piège. Piège dans lequel il tombera avec une facilité déconcertante, tant que nous-mêmes, spectateurs, nous douterons bien vite de son efficacité. L’idée est la suivante : le Marquis ne résiste pas à celles qui lui résistent. Alors, dans ses bras elle jette une jeune fille, délicate, sublime, douce, obéissante : Mademoiselle de Joncquières (Alice Isaaz). Mais surtout, intouchable. Le Marquis, fou d’amour, en tombera non seulement sous le charme, mais aussi malade. Comment vivre alors que le désir, enfin cristallisé en la personne d’une âme pensée sœur, nous échappe ?

Vengée, Madame de La Pommeraye le sera. Malgré les avertissements, nombreux et fébriles, de son amie (Laure Calamy). La vengeance n’est pas un outil du cœur, mais une maîtresse de la rancœur, ce péché, d’orgueil et de colère, de femme et de cœur brisés. Elle n’a rien de la pureté, rien de la douceur, rien de la volonté tenace du beau sentiment. Ceci étant dit, écrit, les spectateurs prévenus, avertis, le film peut commencer.

Mademoiselle de Joncquières est l’adaptation d’un récit écrit par Denis Diderot, extrait de son roman Jacques le Fataliste. Nous sommes en plein 18ème siècle, dans les jolis jardins de riches marquis, le vocabulaire est noble – si les actions ne le sont pas – les choses de l’amour, de l’amitié, du sentiment sont discutées. Comblés sont les amateurs d’intrigues amoureuses et libertines – il est en sujet, aussi, en la personne du Marquis.

Les mots fusent, dits avec le panache de l’époque. Les formules ne cessent d’être lancées, tant que l’on voudrait, souvent, pouvoir faire pause et les écrire. Le ravissement est tel que l’on voudrait rester des heures encore en compagnie de ces marquis et autres « Madame ». Il est question de séduction, de manipulation et de vengeance. Mais aussi, de noblesse d’âme, de vertus cachées et de vices exhibés. Ni la première, ni le second ne se trouvent là où nous l’attendons. C’est en ce sens précis qu’Emmanuel Mouret parvient à restituer l’esprit de Diderot – à ce propos, la version poche et courte est parue, chez Folio, elle est conseillée. – Notre auteur joue avec les sentiments et l’instinct du lecteur, notre réalisateur fait de même. Il en a retiré quelques passages, mais en a gardé l’essentiel. Certaines phrases sont reprises mot pour mot : il est alors amusant de relire « Histoire de Mme de La Pommeraye » après avoir vu le film. Les visages crées, imaginés avant visionnage du film ne sont plus, Cécile de France a pris les traits de Madame, Édouard Baer ceux du Marquis. Et qu’écrire de plus si ce n’est qu’ils sont, tous deux – tous pas seulement deux, d’ailleurs, mais tous les acteurs – parfaits dans ces rôles de traîtres, de naïfs, de bernés et de blessés.

Que l’amour peut faire jouer ! Tout autant que souffrir. Quel livre, quel film, quelle histoire sur ce sentiment aussi volage que douloureux, profond qu’éphémère. Une fois qu’elle nous est contée, cette histoire se loge au creux de nous, et nous donne envie d’y penser, d’y réfléchir. J’ajoute cette envie : si vous avez lu ce livre, vu ce film, que vous souhaitez échanger : que pensez-vous de ce piège tendu ? De cette vengeance ? Comprenez-vous Madame de La Pommeraye ? Lui pardonnez-vous ? Que pensez-vous du Marquis ? Je tiens à vous écrire que je suis très curieuse de lire vos réponses et vos avis. Mademoiselle de Joncquières peut aussi être vu sous un angle définitivement contemporain : il s’agit de ces femmes qui prennent, en un sens, leur indépendance, qui prennent en main leurs sentiments, leurs vies, qui ne se laissent pas faire, du moins plus faire. Chacune à leur manière, chacun en gérant comme elles le peuvent les tourments causés par les sentiments.

Concluons en empruntant une ligne de Diderot, à garder à l’esprit lorsque vous irez voir le film : « Ah ! lecteur vous êtes bien léger dans vos éloges et bien sévère dans votre blâme. »

Mademoiselle de Joncquières, d’Emmanuel Mouret – Sortie le 12 septembre 2018

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