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Critique : Halloween (2018)

Toronto, deuxième !

Après avoir évoqué The Predator de Shane Black montré en ouverture du TIFF, il est désormais temps de passer à une autre franchise toute aussi culte -et que nous avions déjà évoqué il y a quelques années avec le second volet tourné par Rob Zombie : Halloween, dont le nouvel épisode est la suite directe du film original de John Carpenter.

 

LA CRITIQUE

Pour sa 11e itération, la franchise Halloween initiée en 1978 par John Carpenter change de mains. Après que Dimension Films ait perdu les droit faute de 3e film au reboot mené par Rob Zombie, c’est le studio à succès Blumhouse Productions qui écope de la responsabilité de raviver une fois de plus la saga. Jason Blum, désireux de renouveler la formule, en appelle donc au réalisateur David Gordon Green, connu tantôt pour ses drames intimistes, tantôt pour ses comédies de fumeurs de joints léthargiques. Un choix inattendu, finalement adoubé par John Carpenter lui-même après qu’il ait jugé à la lecture du script co-écrit par Green et Danny McBride que les nouvelles têtes pensantes avaient tout compris au concept enfanté par le Maître il y a 40 ans. Jamie Lee Curtis reprend donc son rôle de Laurie Strode dans un film qui se veut être la suite directe de l’original, ignorant tous les autres films de la franchise, comme s’ils n’avaient jamais existé. Bonne idée. Qu’en est-il de l’exécution ?

On se souvient tous de ce qui a fait la pérennité du slasher pionnier de John Carpenter : Michael Myers, incarnation physique d’un mal abstrait et absolu, personnage auquel il est impossible de s’identifier, et existant toujours à la lisière du surnaturel, sans jamais la franchir véritablement. Les meurtres brutaux et rapides, la banlieue américaine aisée et dérangée dans sa perfection par une entité aux motivations incompréhensibles, et ce thème musical à jamais entré dans les annales de l’histoire. Si Carpenter a sincèrement pensé que le script de cette nouvelle suite sur le tard comprenait toutes les idées de son propre film, c’est parce qu’elles y sont toutes copiées.

Halloween 2018 est une production tiraillée entre deux pôles créatifs : une volonté de proposer des idées neuves et intéressantes d’un côté, et une paralysie conceptuelle totale de l’autre. Que les fans se rassurent donc : Myers reste l’incarnation quasiment implacable du mal, un psychiatre de pacotille remplaçant Loomis multiplie les inepties avec entrain, la police est impuissante, une baby-sitter peu chanceuse croise le chemin du croque-mitaine, et les meurtres à l’arme blanche ou à mains nues s’enchaînent. Que ceux venus en espérant un renouveau calment leurs ardeurs : toutes les pistes esquissées par Green et ses scénaristes s’évaporent subitement pour ne jamais revenir. Le trauma de Laurie sur lequel insiste sévèrement le film (PTSD, alcoolisme, visions paranoïaques) ne mène à rien d’autre que ce qui est montré dans la bande-annonce, à savoir une confrontation musclée à grands coups de fusil de chasse et de pièges faits maison. La descendance de Laurie sur deux générations n’ajoute aucune couche de réflexion au métrage au-delà d’un plan final se voulant poétique. La nature abstraite de Myers est répétée mais jamais repensée, jamais réinterprétée.

Le film de Green se veut un peu différent mais avant tout identique. Il veut que vous vous sentiez en terrain familier et ne parvient jamais à défricher de nouveaux chemins. Les nombreuses références aux autres films et quelques inversions des rôles sont amusantes, mais pas porteuses de sens. La petite-fille de Strode s’assoit en classe et aperçoit une figure l’épiant depuis la rue, comme sa grand-mère avant elle, pour se rendre compte que Laurie elle-même est devenue un écho de Michael Myers… du moins jusqu’à la scène suivante, qui révèle qu’en fait non, l’effet a simplement été utilisé pour la forme. Autre exemple, Halloween 1978 se terminait sur un champ-contrechamp montrant que Myers, supposément mort, avait inexplicablement disparu. Non seulement ce film nie la dimension ambiguë de ladite conclusion (il est expliqué banalement que Myers a été appréhendé par la police quelques minutes plus tard cette nuit-là), mais sa recréation modifiée ne sert aucun autre but qu’éliciter un sourire chez le spectateur connaissant l’original par cœur, alors que cela aurait dû mener à une réflexion plus intelligente sur la nature des figures fictives manipulées.

Toutes les cases de la suite tardive sont cochées avec diligence mais sans panache : les anciens personnages reviennent ou sont mentionnés, les clins d’œil et inversions abondent afin de créer une complicité de surface avec le spectateur, la protagoniste anciennement victime essaie de tourner la situation à son avantage, et surtout l’acte final tombe dans une imitation problématique de son aîné en proposant de longs et nombreux plans de Laurie, armée, parcourant sa maison à la recherche de Myers, caché quelque part. Si la tension existait en 1978, c’est parce qu’il était impossible de prédire l’issue de l’histoire. Chez Green, les fils thématiques sont si épais et nombreux qu’il est évident que les scènes voulues anxiogènes ne constituent que du remplissage en vue de la catharsis promise. Laurie passe donc plusieurs minutes pénibles à fouiller sa chambre plongée dans la pénombre et remplie de mannequins en plastique, pour finalement conclure la scène avec un jumpscare inefficace.

Formellement, Green peut avoir l’œil pour les plans marquants, mais pas assez ici, la plupart du film étant jolie à regarder, mais pas à retenir. Handicapé par une approche timide (beaucoup trop de meurtres ont lieu hors champ ou sont détournés de l’objectif) et une incapacité à créer des jumpscares surprenants (tout fan d’horreur saura les anticiper sans problème), le réalisateur s’impose par ailleurs des difficultés totalement évitables, et notamment la recréation du plan séquence d’ouverture du premier film. Reprendre un tel plan, qui définissait sans un mot l’antagoniste inhumain du métrage, aurait pu se révéler captivant, seulement Green ne le place pas en ouverture et retire la vue subjective au profit d’une vue neutre à la 3e personne. Carpenter plaçait son public dans la peau du tueur, il nous forçait à envisager qu’une sympathie, et peut-être une identification, puisse naître, avant de nous prouver par l’image que cela était impossible. Green pose son plan-séquence en milieu du métrage pour célébrer le retour de Myers à Haddonfield, l’agrémente de deux meurtres aléatoires, et surtout ne lui donne aucun sens ; ni pour le personnage ni pour le récit qu’il habite.

C’est donc dans un entre-deux étrange, ni vraiment épure à la Carpenter, ni gore brutal à la Rob Zombie, que se place David Gordon Green. Imitant l’esthétique naturaliste de l’original, il parvient malgré tout à mener un récit rythmé qui maintient l’attention. Cinéaste des idées discrètes mais puissantes, Green avait autrefois prouvé sa capacité à fabriquer des scènes hypnotisantes. On se souvient du malaise créé par les clowns dans All the Real Girls grâce au montage saccadé, du lyrisme sensoriel informant Undertow dans lequel le ressenti prenait le pas sur le sens cartésien, de l’émotion brute et âpre émanant d’un montage alterné dans Snow Angels. Même ses films les plus médiocres contenaient parfois des scènes revigorantes et toujours organiques, comme ce travelling latéral au ralenti d’Al Pacino passant des voitures accidentées dont les conducteurs se lancent des pastèques à la figure dans Manglehorn. Ici, Green se permet quelques plans hyperboliques dans les bois nocturnes et dans l’arrière-jardin de Strode, où sa petite-fille Allyson semble souffrir de rapides hallucinations induites par la course pour échapper à Myers. Ils ne durent que quelques secondes mais sont plus marquants que le reste du film car porteurs d’une réelle émotion. Dommage que leur présence ne paraisse pas coller au reste du film.

On se demande donc où est passé le David Gordon Green des débuts, celui capable de transformer une discussion a priori banale en exploration des fondations émotionnelles (comme dans All the Real Girls), de créer l’inquiétude via une dissonance tonale malaisante et bien sentie (la scène fratricide d’Undertow), de faire discuter des personnages silencieux et séparés à travers des effets de montage réfléchis (l’exposition des deux protagonistes dans Joe). Dans ses moments censés le définir, son Halloween singe le chef-d’œuvre de Carpenter de façon appliquée et studieuse, mais finalement sans étincelle, sans audace ni surprise.

Cela est d’autant plus dommage que le film semblait commencer assez bien : les deux journalistes venant rendre visite à Myers dans son institution psychiatrique se voient libres, or ce sont les seuls filmés derrière des barreaux, ou restreints à un cadre dans le cadre. Myers, lui, occupe le centre des plans, il les domine, impose sa présence sans même bouger. C’est de ça qu’aurait dû être faite cette suite : de propositions transformatrices, et pas seulement de scènes-hommages ou réinventées, liées dans le récit par des séquences d’une inutilité accablante (voir la fête costumée des adolescents ou la conversation des deux flics à propos de leurs sandwichs).

Malgré des rôles limités ou des traitements incomplets, les acteurs font preuve d’un investissement remarquable, Jamie Lee Curtis en tête, qui ressuscite Laurie Strode avec force et ténacité. Le score composé par John Carpenter, son fils Cody et Daniel Davies s’avère sympathique, augmentant le thème d’origine et en ajoutant un nouveau lors de quelques scènes charnières.

Il ne s’agit pas de dire qu’Halloween 2018 est une purge irrécupérable, mais plutôt un échec intrigant. Sa chute n’a d’équivalent que son ambition initiale d’extrapoler sur une œuvre qui survit au temps car ne se souciant jamais d’exister dans un champ référentiel. Comme Myers, Halloween 1978 s’est imposé comme un absolu, une abstraction fondamentale. Sa suite 40 ans plus tard ne dépasse pas l’hommage rigide déguisé en renouvellement. Certains diront qu’ils tiennent là le meilleur film de la saga depuis le premier. Ils auront raison ; mais cela n’en fait pas un bon film pour autant. Au final, les crédits du début, accompagnés d’une citrouille lanterne décrépie se reformant progressivement (contre un simple zoom sur une telle citrouille en 1978) sont à l’image du film dans son ensemble : une reprise vaguement amusante, qui n’ose jamais s’approprier réellement le cœur de la franchise.

Halloween, de David Gordon Green – Sortie le 24 octobre 2018

 

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