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Critique : Doubles Vies

Trois ans après Personal Shopper, Olivier Assayas retourne derrière la caméra pour une comédie dramatique avec en tête d’affiche Juliette Binoche avec qui il avait déjà tourné Sils Maria.

A leurs cotés Guillaume Canet, Vincent Macaigne, Christa Théret ou encore Nora Hamzaoui dans son premier grand rôle…

 

LA CRITIQUE

Alain (Guillaume Canet) est l’éditeur de Léonard (Vincent Macaigne). Il lui refuse son manuscrit. Léonard écrit des autofictions, autocentrées. L’autofiction est ce genre littéraire qui permet aux écrivains de raconter leurs vies, tout en y insufflant du faux. De ce fait, ils peuvent tout dire, ne rien dire, et personne, jamais ne saura ce qui y est vrai, ou faux. Seules mises à part, les personnes concernées, qui elles, se reconnaissent derrière les traits plus ou moins floutés des personnages de ces romans qui n’en sont pas vraiment. L’autofiction, véritable fléau des rentrées littéraires – plus ou moins réussies – pose bien des questions, dont celle, délicats, du droit à (son) l’image. Notre identité nous appartient-elle, ou bien est-elle à tous, utilisable à souhait et gré des auteurs. Question déjà soulevée dans le dernier film d’Agnès Jaoui, Place Publique. Léonard est un auteur torturé, de ceux, sensibles, qui ne cessent de souffrir et de transmettre par écrits leurs maux. Il paraît immature, il est un peu agaçant. Il est entier, total, radical. Dévoué à ses textes Il trompe sa copine, Valérie (Nora Hamzawi) avec Selena (Juliette Binoche), la femme d’Alain. (Vous suivez ?)

Alain est éditeur. Style vieille maison d’édition. Des déjà grands qui n’ont plus à prouver, mais encore tout à vendre. Aujourd’hui plus personne ne lit, ou bien, sur tablette – horreur. Horreur pour ceux qui, ne jurent que par les pages fines et souples, celles sur lesquelles on peut écrire, au crayon de bois, annoter, souligner. Quand on les retrouve, ces livres papier, on vit à nouveau le moment de la première lecture. Déshumanisé, le livre numérique est instauré sournoisement par la jeunesse, l’ambition, le pragmatisme ? Concepts incarnés en la personne de Laure (Christa Théret). Jeune louve aux dents longues et regards aguicheurs, elle est celle avec qui Alain trompe Selena. Après avoir fait l’amour, voilà qu’ils font discours. De longues répliques lancées telles des épées en rut, en un souffle, ils se baisent en mots. Intéressantes scènes, mais, car il y a mais, cette pauvre jeune fille cristallise mes pires angoisses ; l’arrivée du numérique dans nos vies, et pire, son adoption par tous. Le papier ainsi abandonné. Je suis du côté de la vieille, et continuerai d’embrasser le personnage d’Alain, éditeur en pleins doutes.

Selena est actrice. Elle joue dans une série d’action. Tout le monde l’aime, cette série, elle, elle l’ennuie un peu, mais il faut bien vivre. Elle est la romantique, celle qui lit, sur papier, celle qui aime, celle qui (se) trompe, celle qui quitte, celle qui reste, celle qui vit, qui rit. Celle qui dit oui, puis non, qui change d’avis, d’amant mais pas de mari.

Valérie est l’assistante d’un homme politique. Elle est attachante, à sa manière, désarmante, aussi. Elle est la petite amie de son écrivain, qu’elle connaît par cœur, qu’elle aime, ici aussi, à sa manière. On pourrait, nous serions, tentés de la juger, un peu. Nous pourrions penser « quand même, elle lui parle mal, elle pourrait le soutenir un peu plus, l’aimer un peu mieux. » Mais, c’est vrai qu’il est insupportable cet écrivain qui ne sait pas vivre sans lamentations, qui ne sait pas cacher la vérité au moment où il le faudrait et  qui ne cesse de gémir.

Le film est très « verbeux » sans arrêt, des mots, des discussions, des questionnements, sur tout. Tout le temps. Ce n’est pas épuisant, c’est enivrant. C’est excitant. C’est énervant, par moments. C’est comme dans la vie, mais dans une vie sans ennui ; car on ne se lasse jamais d’aucun de ces personnages. Mieux, on aimerait les rencontrer. Pas forcément être leurs amis.

Ce que dit ce film de l’édition pour qui s’y intéresse, est important. Dans le sens où il capte un certain air du temps. C’est vrai, que l’on s’en inquiète du « tout-numérique », qu’on le voit venir, que l’on n’en veut pas. On le rejette mais on le guette, il est suspect, avec ses grands airs de révolution. « Fin d’un monde », nous martèlent les titres d’articles, les penseurs d’aujourd’hui, centrés sur demain. A-t-on réellement envie de lire sur tablette, sur écran ? Ceci n’est pas un pamphlet, ni un éloge, mais un questionnement. Tout est tactile, tout est nouveau, neuf, la technologie, le progrès, s’invitent partout, laissez-nous les livres, sur papier. Prendre un livre, l’ouvrir, c’est charnel, c’est sensuel, c’est une histoire de toucher, de sensation. C’est le mesurer, une centaine de pages ? Il sera lu dans la semaine. C’est mettre son marque-page, à la page 78 et attendre demain matin pour poursuivre sa lecture. C’est le reprendre, voir qu’il nous en reste encore une bonne moitié. Doubles Vies suscitera une véritable réflexion, chez les amoureux du livre (papier). Dans le débat des anciens contre les modernes, je me range du côté des anciennes. Je n’ai cessé, des jours entiers, d’y penser. Est-ce vraiment l’avenir, que le numérique ? Pourquoi cela me gêne-t-il ? Simple question d’habitude ou bien de peur du changement ? Est-ce plus profond ?

Outre ces interrogations, celles portant sur le couple et l’amour, car qu’est-ce que ces sentiments sinon de vils coquins qui ne cessent d’aller et venir dans nos vies – alors que la littérature, elle, ne nous quitte jamais. Alors, oui, Juliette Binoche qui dit deux trois choses sur l’amour, ça marche. À chaque fois, comme dans Un soleil intérieur l’an dernier. Comme dans Celle que vous croyez, prochainement. Mais honnêtement, ces idées-là ne sont pas le point central. Le couple, ses infidélités sont si monnaie courant au cinéma, dans la vie, qu’elles ne touchent plus vraiment. Elles paraissent banales, normales, elles sont ici car les sentiments amoureux sont les plus forts, grands et présents de nos existences. C’est agréable, à écouter. Mais ça ne transcende pas autant que ces questions d’édition.

Doubles Vies*, c’est pour toi qui lis.

*Doubles, car ne vivons-nous pas plusieurs fois lorsque nous lisons ? Si, dirait Romain Gary (à moins qu’il ne s’agisse d’Émile Ajar.)

 

Double Vies, d’Olivier Assayas – Sortie le 16 janvier 2019

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