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Critique : Dernier Amour

Après les récents Adieux à la Reine et Journal d’une Femme de Chambre, le prolifique Benoit Jacquot revient encore cette année au cinéma et au film en costume avec Dernier Amour.

Devant sa caméra, rien de moins que Vincent Lindon dans le rôle de Casanova…

 

LA CRITIQUE

Casanova… un nom si connu qu’aujourd’hui est devenu expression, il est pour celui qui enchaîne les conquêtes, le charmeur qui jamais ne succombe, il est libertin, badin, il s’amuse, frivole, des plaisirs charnels. Et finalement, pas vraiment.

Ici, Benoît Jacquot s’intéresse au livre huit d’ »Histoire de ma vie », de Giacomi Casanova, une autobiographie dans laquelle il raconte, entre autre, sa rencontre avec La Charpillon. Le film démarre et aussitôt, nous voici dans l’ambiance : Casanova (Vincent Lindon) mange des huîtres à pleine bouche en faisant plein de bruit, prend son air le plus concerné pour discuter de sa venue prochaine à Londres, avant de faire l’amour avec deux femmes à la peau laiteuse. Rires, fêtes et argent, le film dégorge de cette époque où entre deux jeux, soirées sombres, on prend les femmes dans un coin de grand jardin, ou dans un lit à baldaquin. Le sexe est central, alors tout le monde parle de sa voix la plus chaude, suave et sévère. Tous sont coquins, badins, mais pas trop non plus, car si l’on prend à tout va, ce n’est pas toujours à la légère. Casanova est troublé par cette jeune femme, brune et air mi-mutin mi-autoritaire, qu’il croise à plusieurs reprises. La petite, intéressée par notre quinquagénaire, l’aguiche puis le fuit. Jouons, fuis-la, elle te fuit. Car non, elle ne suivra pas de suite. Et soudain, rebondissement, si, elle suit. Et lui ne fuit pas. L’atmosphère mystérieuse de l’époque, les films en costumes, les phrases joliment tournées – comme si tout était dit pour faire jouir par les mots – d’habitude, c’est prenant. Ici, c’est lent. Et les airs pris sont si graves, que vite, l’on s’y détache.

Ce, d’autant plus, lorsque l’on a lu le livre. D’abord, Casanova l’aime, sa Charpillon (Stacy Martin), il la trouve belle, sublime et parfaite : « La Charpillon que tout Londres a connue, et qui, je crois vit encore, était une beauté à laquelle il était difficile de trouver un défaut. » C’est écrit, puis très vite : « Cette fille avait prémédité le dessein de me rendre malheureux même avant d’avoir appris à me connaître ; et  elle me l’a dit. »

« Je cesserai, me disais-je, de la trouver merveilleuse d’abord que j’aurai couché avec elle : cela ne tardera pas à venir. Comment pouvais-je me l’imaginer difficile ? » Et oui, comment puisqu’elle est une putain et moi riche (pour le moment, car doté d’argent, notre homme ne l’est pas toujours) ? Plus tard, après s’être dérobée alors qu’elle lui avait promis l’ouverture de ses cuisses, la Charpillon exige d’être courtisée : « Nous aurions ri, vécu en famille, allant ensemble aux promenades, aux spectacles, et enfin m’ayant rendue folle de vous, vous m’auriez eu entre vos bras telle que vous m’auriez méritée, et non pas par complaisance mais par amour. » Nous comprenons ainsi, que ce qu’elle veut c’est de l’amour, du sentiment, de la considération et non une nuit tarifée de plus.

L’amour d’époque est aujourd’hui qualifié de toxique, nocif – à titre juste – et il est vrai que ce jeu entre cette fille si jeune et cet homme qui ne l’est plus à ce quelque chose de la gêne. Car la morale, mais pas seulement, l’ambiguïté. On la sait pauvre, notre souillon, on la sait joueuse et battue par sa mère, on la sait prostituée, on la devine amoureuse. De cet homme qui a de l’argent et un vif intérêt pour elle. Dans le livre, il est violent, il la bat, on lit le corps couvert de bleus, son nez qui pisse le sang et lui qui écrit tantôt son amour, puis sa haine, il l’insulte lorsqu’elle se refuse. Ici, ce côté est apaisé et Casanova serait presque le galant éconduit, épris mais moqué. Jacquot d’ailleurs a voulu filmer la passion amoureuse, et sa potentielle – n’allons pas gâcher la fin du film – réciprocité. La passion qui par définition implique souffrance.

Peut-être parce que le livre est tel que le film a déçu. Peut-être les autres films de Jacquot, et que celui-ci est presque fade. Est-ce sa lenteur ? Est-ce sa direction d’acteurs, qui ici ont des airs si graves, des voix si lentes, mornes ? Est-ce le récit, cette histoire qui en son essence ne plaît pas ? Est-ce la violence de l’homme frustré qui a tant déplu ? Écoutez, je ne sais ; ce qui est pourtant acté est l’ennui ressenti, l’agacement par moments. Certainement qu’un sujet, ce sujet de Casanova que certains pensent amoureux, suscite immenses attentes, qui dès lors, ne pouvaient être comblées, la déception était annoncée.

Dernier Amour, de Benoit Jacquot – Sortie le 20 mars 2019

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