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Critique : 13 Hours

Les prochaines semaines seront riches en matière de sorties cinéma et se densifieront à la fin du mois de mars, puisque vont s’affronter la suite de Cloverfield, les nouveaux films de Jeff Nichols (Midnight Special) et John Hillcoat (Triple 9) mais aussi Batman contre Superman. On peut même ajouter la seconde saison de Daredevil prévue sur Netflix à la même période.

Prenons donc un peu d’avance pour évoquer dès à présent le 13 Hours de Michael Bay, film déjà sorti dans les salles d’Outre Manche…

 

LA CRITIQUE

L’inimitable Michael Bay continue de faire des films entre deux blockbusters robotiques, et cette fois, c’est aux événements de Benghazi qu’il a choisi de s’intéresser. Sujet d’actualité s’il en est, puisqu’il s’agit d’une épine dans le talon de l’ex-administration des affaires étrangères d’Hilary Clinton, qui avait alors été accusée et avait reconnu avoir fait preuve d’inaction face à l’abondance de données indiquant que la base diplomatique américaine en Libye était susceptible de faire l’objet d’une attaque. Timing intriguant, puisque le film sort l’année de la campagne présidentielle dans laquelle la politicienne joue un rôle majeur.

La simple association du nom du cinéaste avec le projet suffit à invoquer quelques questions. En effet, si Bay n’a jamais exprimé ses vues politiques de façon publique et explicite, ses anciens films regorgent de partis pris tendant à critiquer sévèrement l’approche gouvernementale des Démocrates. Il suffit par exemple de se rappeler de Transformers 2 : La Revanche, et des erreurs de jugement monumentales de l’administration Obama dans ses négociations avec les Decepticons, ou encore de la volonté des foreurs d’Armageddon à sauver la planète à la condition qu’ils soient à jamais exempts d’impôts. Dans tous ses films (sauf peut-être The Rock), la force militaire ou para-militaire (des outsiders, des soldats se mutinant, des flics hors de contrôle, etc.) est présentée comme unique solution aux problèmes affectant les États-Unis, et même si le patriotisme est omniprésent, il ne s’agit pas vraiment d’une éloge du gouvernement, quel qu’il soit.

Ce même patriotisme se retrouve dès l’ouverture de 13 Hours, qui commence par un montage d’images d’archive célébrant la chute de Mouammar Kadhafi et l’intervention américaine en Libye. Une approche impérialiste qui ne faiblira jamais vraiment : qu’il s’agisse de chanter les louanges de l’armée ou la puissance technologique de l’Amérique (« Lève les yeux. Tu vois le drone ? », demande l’un des personnages pour dissuader des miliciens d’engager le combat), les guerriers mis en scène ne manquent pas une occasion de rappeler au spectateur que les États-Unis détiennent toujours la force de combat la plus puissante et la plus efficace.

Cependant, il apparaît que la nature des personnages principaux présente une nuance de taille : aucun d’eux ne travaille directement pour la CIA ou le gouvernement, et ceux dont c’est le cas font preuve d’hésitation, d’incompréhension, parfois d’inaptitude. Les héros du film sont tous des mercenaires, des contractuels employés temporairement par les États-Unis pour venir faire un boulot dont personne ne veut. Cette mise à distance entre les protagonistes et les entités officielles, couplée à la glorification constante desdits combattants (il n’y a rien à faire, ce culte du corps masculin ne le lâche plus depuis Pain & Gain), laisse penser que le cinéaste a cette fois adopté une attitude plus anarchiste que républicaine, car finalement, ce n’est pas le gouvernement qui a sauvé les Américains à Benghazi, ce sont ces hommes, qui ont agi en dépit d’ordres directs.

La position est intrigante, et aurait probablement pu marcher si le film s’était évertué à conserver un seul point de vue. C’est d’ailleurs ce que les premières scènes semblent indiquer : en se focalisant sur le personnage de Jack qui arrive en Libye, le réalisateur parvient à installer rapidement une atmosphère paranoïaque au récit en jouant sur les regards et les cadres. Hélas, l’initiative s’estompe rapidement au profit d’une mise en scène omnisciente qui n’apporte rien d’autre que de belles images.

Dès lors, Bay s’essaie de temps à autres à la caméra portée nauséeuse, mais s’en sert fort heureusement avec parcimonie, puisqu’il privilégie les plans américains et gros plans neutres, et ponctue sa mise en scène de quelques images impressionnantes (l’attaque de la base en vue aérienne, l’intérieur de la villa en flammes, le travelling avant en pleine fusillade, etc.). Les contre-plongées se font une fois de plus très nombreuses, en tout cas lorsqu’ils s’agit de filmer les Américains, et un ou deux ralentis utilisés intelligemment viennent donner de l’importance à certaines scènes. On regrette cependant l’inclusion de personnages et de scènes pas forcément très utiles, comme la diplomate américaine ou les séquences de discussions logistiques en Allemagne et en Croatie. Globalement, et si l’on pardonne quelques étranges faux raccords relatifs aux couchers de soleil, Bay signe un film relativement fluide et pas déplaisant à regarder et, en cela, infiniment moins pénible que son précédent long métrage.

Seulement voilà : une certaine habileté avec sa caméra n’aide pas nécessairement à donner corps aux personnages, qui demeurent ici des enveloppes vides dont on ne se soucie absolument pas, faisant du visionnage une expérience totalement passive. Les quelques tentatives de développement psychologique prennent la voie toute tracée des appels vidéo avec la famille des mercenaires, libérant à chaque fois une avalanche de dialogues tellement convenus et stéréotypés qu’ils menacent de faire s’échapper quelques ricanements. Et quand enfin, dans son dernier acte, Bay autorise ses personnages à exprimer une idée intéressante, c’est le cadre entier du film qui vient nous rappeler l’ironie de la situation.

Ainsi, ces mercenaires américains sont fiers de l’intervention de leur pays au Moyen Orient et de sa tentative de combattre le trafic d’arme sur le marché noir (qu’ils ont créé), de résistance aux milices fondamentalistes (qu’ils ont financées et encouragées dans leur combat contre Kadhafi) ou encore d’imposition par la force de la démocratie. Mais, après avoir essuyé deux assauts destructeurs, les voilà qui commencent à douter : que font-ils là, comprennent-ils seulement cette guerre, et en ont-ils quelque chose à faire de ce pays ? L’un d’eux regrette même que l’idéal pour lequel il s’était engagé dans l’armée a désormais disparu. Et pourtant, ils sont bien là. Ils se sont rendus, non par devoir, mais par choix, dans une zone de guerre civile dont leur pays est responsable, où ils s’étonnent de voir des habitants regarder le match de foot sur leur ordinateur portable pendant que des AK-47 crient dans la nuit, et au retour duquel ils empocheront un chèque bien gras. Impossible de donner une quelconque légitimité à la manière dont le film introduit ces questions, tant le fondement moral de l’ensemble repose sur un cynisme rarement égalé, que Bay refuse catégoriquement de condamner.

La représentation des ennemis appelle elle aussi à quelques observations, car la mise en scène laisse clairement entendre que le siège de la base de Benghazi par les islamistes se fond progressivement en une allégorie de la forteresse américaine résistant aux assauts répétés d’une culture barbare. Et pour cause, les assaillants n’ont pas de nom et pratiquement pas de visage. Ce sont des ombres qui surgissent dans la nuit et évoluent dans des décors dévastés avec aisance. Dans l’acte final, Bay va jusqu’à faire s’installer un épais brouillard (surnommé « zombieland » par les Américains) duquel émergent des figures anonymes, prêtes à s’éteindre au nom d’une cause qui les pousse à chasser les occidentaux de leurs terres. Pendant quelques instants, le film de guerre se mue en film d’horreur.

Et à d’autres instants, encore, il effleure du bout des doigts une mélancolie qui rend son épilogue moins indigeste. Car si le métrage se conclut avec impudence sur le deuil des quatre pertes qu’ont subi les Américains (contre plusieurs dizaines de morts face à eux), le réalisateur se permet quelques plans puissants s’arrêtant sur les cadavres des guerriers tombés dans la nuit et découverts le lendemain par les leurs, dans un champ de draps blancs tâchés de sang. Il va sans dire que l’association, dans un même plan, de la prière musulmane et des mitraillettes ne participe pas vraiment à nuancer le propos du récit, mais le doute devrait de toutes façons avoir disparu de l’esprit des spectateurs lorsque le chef de la bande choisit de passer son temps libre à lire The Power of Myth de Joseph Campbell, qui contient cet échange :

Bill Moyers : Nous avons tous été témoins des effets de l’arrivée de la civilisation blanche sur des sociétés primitives. Celles-ci s’effondrent, se désintègrent et deviennent gangrenées. Ne pensez-vous pas que le même phénomène nous affecte depuis que nos mythes ont commencé à disparaître ?

Joseph Campbell : Oui, ça ne fait aucun doute.

Dans la Benghazi de Michael Bay, ce ne sont pas des soldats qui se sont affrontés le 11 septembre 2012, ce sont des idées. L’idée d’un impérialisme américain impuni et fier de sa force militaire était attaqué par l’idée d’un islamisme conquérant débarrassé des ingérences occidentales. Au même moment, des mythes confirmaient qu’ils s’étaient effondrés, et la Libye libre et l’Amérique toute puissante n’étaient plus que des vestiges du passé. Quelques heures avant que ne commence l’attaque, les mercenaires récitent par cœur la réplique du film qu’ils regardent ensemble, Tonnerre sous les Tropiques : « Je suis le mec qui interprète le rôle d’un mec déguisé en un autre mec. » Mais aucun de ces mecs ne sait vraiment ce qu’il fout ici.

13 Hours est un film aux images parfois compétentes mais souvent banales ; aux acteurs impliqués mais trop peu mémorables ; aux personnages vides et aux idées déchirées entre l’amour de son pays et l’inéluctable réalisation que la puissance de son mythe s’est éteinte. Et sans ses mythes, sans ses grands idéaux, l’Américain doit redevenir un individu libre de hiérarchie et de règles, pour qui la patrie doit prendre le pas sur la nation. Selon Michael Bay, en tout cas.

13 Hours, de Michael Bay – Sortie le 30 mars 2016

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