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Critique : Triple 9
Après avoir tourné des clips vidéo, notamment pour Depeche Mode, John Hillcoat s’est lancé avec brio dans la réalisation de long-métrage se faisant remarquer pour son adaptation de La Route, un bouquin pas facile à adapter de Cormac McCarthy.
Quatre ans après Des Hommes sans Loi, le réalisateur revient derrière sa caméra pour filmer un sacré casting : Casey Affleck, Chiwetel Ejiofor, Anthony Mackie, Aaron Paul, Teresa Palmer ou encore Gal Gadot. Triple 9 sera en salles mi-mars.
LA CRITIQUE
Fort d’une réputation qui n’a eu de cesse de grandir au fil des ans, John Hillcoat a fait ses armes en s’investissant dans des genres extrêmement codés (le western, le survival, le film de gangsters d’époque) et en essayant plus ou moins d’en détourner les motifs pour y amener une singularité, à l’image de son précédent Les Hommes Sans Loi, où l’on était en pleine prohibition en beau milieu du bayou américain. Avec Triple 9, on pourrait croire au premier abord que le réalisateur s’assagit en donnant dans le polar urbain plus classique, ce qui n’est pas un mal pour autant tant ce cinéma est quelque peu moribond ces temps-çi. Et pourtant, le film possède quelques cartes dans sa manche pour faire la différence.
Paradoxalement, Triple 9 concilie une forme assez moderne avec des motifs tout droit sortis des années 70-80. D’un côté, on est face à une œuvre empreinte de son époque comme en témoigne un générique assez cut qui mélange des images de télévisions, de journaux et d’une certaine idée de l’hyper connectivité du monde d’aujourd’hui, le tout sur la bande son électronique composée notamment par Atticus Ross. Le découpage du film est parfois à l’image de cette introduction, cherchant un dynamisme assez immersif avec des focales prononcées dans l’action et certains plans assez brusques.
Pourtant, tout le projet respire une époque révolue, avec des protagonistes charismatiques caractérisés certes rapidement mais non sans profondeur. Entre un Woody Harrelson en flic grande gueule qui n’est pas à son premier débordement, un Aaron Paul junkie jusqu’à l’os ou un Anthony Mackie qui tente de faire bonne figure tout en partant au quart de tour, le film réussit à mettre en scène une galerie de personnages hauts en couleur. On n’en voit parfois pas grand chose, mais la manière avec laquelle ils sont introduits force le respect tant on comprend simplement leurs relations, et une petite idée de leur passif, ces derniers n’ayant pas attendus l’intrigue du film pour œuvrer.
L’intrigue en question est plus intéressante qu’elle n’y paraît puisqu’elle amène un jeu du chat et de la souris plus pervers qu’à l’accoutumée. En effet, Triple 9 démarre avec un braquage foireux par une bande de gangsters pourtant rompus à l’exercice. Et le petit détail qui fait la différence, c’est que les braqueurs en question sont flics.
On a souvent eu affaire à des longs-métrages dans lesquels des policiers véreux étaient un peu trop proche des hors-la-loi au point de se compromettre. Hillcoat explose la frontière entre les deux et met ses personnages en difficulté puisque jouer directement dans les deux camps est loin d’être simple, le risque n’en étant que plus grand. Cela dit, cette idée autour de laquelle gravite tout le film, avec un nouveau venu dans le commissariat risquant de démasquer la supercherie à tout moment, n’est finalement pas trop approfondie et reste survolée, comme un simple prétexte narratif. Hillcoat aurait pu s’en servir pour essayer de bouleverser certains schémas inhérents au genre, ou en poussant sa peinture sociale peu reluisante des forces de l’ordre et de la corruption qui les ronge, mais le parallèle entre le peu de choses séparant les gendarmes des voleurs reste assez banal. D’autant que le film met aussi en scène une grande famille mafieuse avec à sa tête Kate Winslet en baronne à l’accent russe prononcée, auquel le récit donne une grande importance qui rompt les velléités de briser certains schémas éculés.
Triple 9 raconte donc une spirale infernale devenant vite incontrôlable et laissant un paquet de personnes sur le carreau, avec une atmosphère poisseuse et brute de décoffrage qui confère à l’ensemble une force non négligeable. On y retrouve pas mal de scènes qu’on a déjà vu ailleurs et dont on devine aisément l’issue, et en même temps, ces dernières sont faites avec une réelle efficacité qui n’en atténue pas le plaisir à défaut de surprise. Cela étant, le film possède une certaine bizarrerie dans sa narration tant celle-ci est rapide. C’est à se demander si c’est un choix voulu par John Hillcoat ou par la production : en soit le récit est bel et bien complet, et après un premier visionnage tout du moins il ne semble pas pourvu d’incohérences ou de scènes vacantes. Cependant, le montage s’accélère rapidement, et dès le deuxième acte, les évènements s’enchainent à une vitesse folle, parfois au détriment des personnages auxquels on a du mal à s’attacher tant tout va vite, parfois trop. L’idée première était peut être de choper le spectateur à la gorge pour ne pas lui laisser le temps de respirer. Le résultat, loin d’être désagréable tant il est fait avec honnêteté et talent, défile parfois sans grande implication de notre part, ce qui est bien dommage tant on est face à une histoire censée être un drame humain avant tout.
En essayant de s’approprier le polar contemporain , John Hillcoat fait toujours preuve d’une belle maitrise de la caméra, comme en témoigne une scène de braquage ou un raid policier nerveux et percutants. Cela étant, le scénario tente de briser quelques règles tout en embrassant une certaine mythologie du gangster et se retrouve, comme ses personnages, à devoir jouer sur deux tableaux pour au final ne briller sur aucun. En ressort un petit polar un peu inégal et qui ne parvient jamais à trouver une quelconque singularité, ce qui ne l’empêche pas d’être plaisant.
Triple 9, de John Hillcoat – Sortie le 13 mars 2017