814Vues 1commentaire
Critique : The Town That Dreaded Sundown
L’Irish Film Institute de Dublin a eu la bonne idée d’organiser un Horrorthon ces derniers jours, l’occasion pour Arkaron -résident irlandais- d’aller voir quelques films de genre en avant-première, quelques titres qui arriveront en Europe continentale probablement dans les prochains mois.
L’un d’entre eux s’appelle The Town That Dreaded Sundown et est réalisé par Alfonso Gomez-Rejon, un jeune metteur en scène qui a tourné des épisodes d’American Horror Story et de la série Glee. Il s’est également offert le luxe d’avoir été réalisateur de la seconde équipe sur Babel d’Alejandro González Iñárritu, L’Aigle de la Neuvième Légion de Kevin McDonald ou encore Argo de Ben Affleck. Un petit CV qui commence à avoir de la gueule, suffisamment pour qu’on s’y intéresse.
The Town That Dreaded Sundown – Pas de date de sortie en France
Réalisé par Alfonso Gomez-Rejon
Avec Addison Trimlin, Travis Trope, Joshua Leonard
La jeune population de Texarkana fête Halloween avec un film culte retraçant les meurtres ayant mis la ville à feu et à sang en 1946. Mal à l’aise face au sujet, la jeune Jami demande à son petit ami Corey de quitter le drive-in pour trouver un endroit plus isolé. La nuit est brutalement interrompue lorsque le célèbre tueur resurgit, tue brutalement Corey et épargne mystérieusement Jami…
Entre deux franchises horrifiques à succès (Paranormal Activity, The Purge, Insidious, Sinister), la société Blumhouse Productions aligne l’argent pour financer des projets un peu particuliers, sans véritable intention de franchise, et avec une certain liberté de ton. C’est le cas de The Town That Dreaded Sundown, un film hybride entre le remake et la suite d’un docu-drama homonyme des années 1970, basé sur des faits réels, à savoir une série de meurtres inexpliqués dans les années 1940 au beau milieu du territoire américain. Lorsque les meurtres reprennent en 2013 et font de la jeune Jami un témoin chargé de perpétuer la terreur en ville, le dossier est rouvert et les fantômes d’antan refont surface.
Ce rapport au passé est entretenu par le film sur toute sa durée, l’enquête étant articulée autour des crimes commis il y a près de soixante-dix ans. La mise en abime inévitable découlant de la présence du film original au sein de l’histoire superpose une dimension à la fois intertextuelle et métatextuelle au récit, qui semble alors s’évertuer à proposer une lecture maligne du slasher, d’abord en justifiant le concept de remake au sein de la diégèse, puis en explorant l’attribut générationnel instauré par des franchises comme Halloween, ou même Scream. L’ombre de la satire signée Wes Craven plane d’ailleurs assez près du scénario qui nous intéresse ici, non seulement dans le déroulement de l’enquête, que dans le sort de certains personnages (et parfois même dans la ressemblance de ces derniers aux figures de Scream).

The Town That Dreaded Sundown n’est, cependant, pas une satire comique et se prend mortellement au sérieux, tout en maintenant un culte de l’environnement rural américain propice au genre. Et bien que prenant place de nos jours, le film donne l’impression de se dérouler il y a vingt ou trente ans, tant la technologie contemporaine se fait discrète.
Formellement, le réalisateur Alfonso Gomez-Rejon, surtout connu pour son travail sur la série American Horror Story, et son directeur de la photo Micheal Goi, nous offrent un métrage magnifique, bénéficiant d’une photographie à tomber à la renverse et de cadres composés avec minutie et talent. Esthétiquement, il s’agit sans aucun doute de l’un des plus beaux films d’horreur conçu récemment. Ce sens de l’image est en outre mis à profit pour raconter l’histoire, les jeux de lumière et les filtres parfois utilisés permettant d’imposer une atmosphère onirique sur certaines scènes.
Cette stratégie est également renforcée par la mise en scène, sans doute très réfléchie en amont (peut-être même fortement storyboardée), mais se révélant trop répétitive et notable pour permettre une immersion totale du spectateur. En effet, le nombre de plans désaxés est tellement important qu’il en deviendrait presque grotesque, et l’on pourrait en dire autant des travellings sur les personnages. Comme allergique aux coupures, Gomez-Rejon multiplie les plans longs, voire parfois les plans-séquences (celui démarrant le film semblant même se réclamer de l’immense ouverture orchestrée par Orson Welles dans La Soif du Mal), certes de manière réussie, mais surtout sans raison précise. Inversement, les scènes de tuerie sont souvent ponctuées de plans très rapides, d’à peine une seconde, censés traduire la désorientation des victimes. En résulte un film à la fabrication soignée, mais dont la structure, coincée entre poncifs éculés et longs plans sans grand fondement, fait remarquer trop facilement les artifices de mise en scène utilisés, et risque donc de faire sortir le public de sa narration.

La dimension horrifique de l’histoire tient surtout (hélas) de très nombreux jumpscares hautement prévisibles, appuyés par une bande sonore outrancièrement illustrative et sans identité remarquable (ce qui est fort dommage lorsque l’on voit la qualité de l’image). Les meurtres, inspirés de ceux aperçus dans le film d’origine, se caractérisent toutefois par une brutalité prononcée et relativement graphique, profitant de quelques bonnes idées de mise en scène.
La prévisibilité s’étend également au scénario, qui déploie des méthodes de préfiguration intéressantes, mais trop efficaces malgré elles, ce qui a pour effet d’atténuer l’effet de surprise censé définir la révélation finale (elle-même moyennement convaincante, la faute aux motivations assez abracadabrantesques des personnages).
Au final, The Town That Dreaded Sundown se révèle être une extension intéressante de l’original grâce à son approche englobant son héritage de manière ouverte pour offrir une tentative de slasher qui manipule ses fondements mythologiques pour mieux se réinventer. Malheureusement freiné par des lieux communs proprement exécutés mais sans originalité, et par quelques maniérismes formels inutilement sophistiqués, le film de Gomez-Rejon s’impose comme un film d’horreur pas très effrayant, mais aux compositions splendides. Un divertissement digne d’une petite soirée horrifique sympathique, et un cinéaste à observer avec curiosité.
1 commentaire