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Critique : The Strangers
On se plaint souvent que les films projetés à Cannes sortent tardivement en salles, au point qu’on finisse par ne plus penser à quelque chose qui pouvait être alléchant lors du festival.
Heureusement, The Strangers, le nouvel thriller réalisé par Na Hong-jin (The Chaser, The Murderer), débarque, lui, sur nos écrans ce 4 juillet.
LA CRITIQUE
Parmi les nombreux films représentants la Corée du Sud au dernier Festival de Cannes, celui de Na Hong-jin fut, sans aucun doute, le plus compliqué à appréhender. Preuve en atteste que son retitrage. L’intitulé original « Gokseong », nom de la petite ville dans laquelle se déroule le film, est devenu à l’international « The Wailing » (“le gémissement”, “la complainte”, “le hurlement”, faites votre choix…). Pour en arriver finalement, par chez nous, à The Strangers (“les étrangers”, donc) qui aborde encore une autre réflexion sur ce long-métrage qui s’ouvre comme un polar coréen classique.
Classique qui n’est pas à prendre au sens péjoratif du terme. En général, les coréens ont l’art de nous proposer des polars ultra efficaces et The Strangers ne fait pas exception. Na Hong-jin délaisse son terrain urbain de prédilection en nous emmenant dans la campagne pour résoudre une sombre série de meurtres causés par des crises subites de folies. Certains habitants pensent d’abord à un envoutement. L’officier de police Jong-goo (Kwak Do-won) en charge de l’affaire pense d’abord à une intoxication par des champignons hallucinogènes. Sur de nombreux points, le premier acte du dernier film de Na Hong-jin n’est pas sans nous rappeler au bon souvenir du Memories of Murder de Bong Joon-oh. L’ambiance sait, là aussi, être anxiogène et étouffante, tout en suivant un personnage principal totalement dépassé par sa mission.
Le héros incarné par l’acteur Kwak Do-won a tout du personnage burlesque. Dès le début, en retardant son départ pour le travail pour prendre son petit déjeuner, il entretient ce décalage à l’écran. Jong-goo est un officier de police maladroit et couard. À plusieurs moments, nous rions de ses mésaventures dans les scènes de crimes, comme si nous assistions à une comédie policière. Or c’est à lui qu’incombe de résoudre cette enquête alors que les morts s’accumulent au fil des jours dans sa juridiction. Et c’est là qu’est la force du cinéma coréen à pouvoir jouer sur plusieurs genres en même temps. Car malgré tous ses défauts, nous nous attachons à la bonhommie d’un Jong-goo qui est moins bête qu’il en à l’air et qui doit se confronter à une horreur qui nous dépasserait tout autant.
Le long-métrage passe alors dans une ambiance plus malsaine encore. Ses 2h36 lui sont d’ailleurs nécessaires pour travailler insidieusement ses changements de ton et rendre plus troublante encore l’évolution de son récit. Une autre piste sera alors proposée à l’officier pour donner une raison à l’inexplicable : celle d’un vieux japonais (Jun Kunimura) qui habite dans les parages et dont l’arrivée coïnciderait avec le début des meurtres. On sait l’animosité qui existe entre les coréens envers les japonais depuis la Seconde Guerre mondiale. Le cinéaste Na Hong-jin, qui avait déjà exploré la thématique de l’étranger dans son précédent The Murderer, travaille savamment cette xénophobie dans The Strangers. Il prendra le spectateur à témoin, qui lui refuse au départ, comme Jong-goo, de se laisser porter par ses bas instincts que la peur mue en véritable une chasse aux sorcières et de lyncher un innocent sans aucune preuve.
Interviendra alors la troisième et dernière phase entremêlée du long-métrage qui nous était distillée avec parcimonie depuis le début. Le fantastique s’invite progressivement dans l’intrigue et nous amène au cœur des ténèbres. Dans la catholique Corée du Sud, le carton introductif sur une citation de Jésus réincarné parlant à ses disciples est une évocation puissante de la religion. Mais face à l’impuissance concrète de la police comme celle mystique de l’Église pour résoudre le drame qui s’amplifie dans le film de Na Hong-jin fait se tourner la population vers le chamanisme traditionnel. L’histoire culturelle de la Corée traverse The Strangers qui considère au même degré d’importance l’impact matériel et immatériel de l’affaire auprès des habitants de Gokseong. Le film brouille constamment les frontières, à l’instar des cauchemars qui obsèdent Jong-goo, dont on ne sait jamais quand ils commencent vraiment alors qu’il se réveille le lendemain matin en sursaut. L’intervention d’un chamane donnera lieu à une puissante scène d’exorcisme, dont le rythme d’un montage alterné percutant nous mènera jusqu’à la transe.
Le long-métrage doit beaucoup aussi à son casting. Na Hong-jin démontre encore une fois ses talents de directeur d’acteurs, en particulier avec la petite Kim Hwan-hee qui joue la fille de Jong-goo. Le seul bémol de The Strangers serait son dernier quart d’heure. Bien que le film soit une longue montée en puissance, ses ultimes séquences sont parasitées par un ensemble de twists inutiles qui nous perdent complètement. Un changement de stratégie pas forcément payant, étant donné le final pessimiste au possible, qui finit par plonger le long-métrage totalement dans l’ésotérisme. Il n’empêche qu’il sera difficile de trouver un polar aussi sombre et réussi cette année que The Strangers.
The Strangers (Goksung), de Na Hong-jin – Sortie le 6 juillet 2016