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Critique : The Double
Prévu pour début juin, The Double est finalement repoussé au 6 août prochain notamment face au prequel de Detective Dee de Tsui Hark.
Mettant en scène Jesse Einsenberg, actuellement à l’affiche de Night Moves, le film raconte l’histoire d’un homme tout à fait banal qui rencontre son double, bien mieux que lui. Le pitch n’a pour autant aucun rapport avec le film mettant en vedette Michael Keaton pas plus que la récente série Orphan Black : bien que se déroulant dans un univers contemporain, il est l’adaptation d’un roman du 19e siècle.
Et nous l’avons vu lors du Festival Hallucinations Collectives à Lyon.
LA CRITIQUE
Visage connu des sitcoms malignes, Richard Ayoade a notamment fait ses armes dans The IT Crowd, puis est passé à la réalisation avec la comédie romantique Submarine en 2010. Son deuxième projet, The Double, surprend alors immédiatement de par son sujet et sa nature : il s’agit d’une adaptation du roman éponyme de Dostoïevski, sorti au milieu du 19e siècle.
À ce titre, la transition vers le scénario cinématographique reste globalement très proche de l’intention du romancier russe, qui mettait en scène un homme écrasé par la bureaucratie de l’empire tsariste dans un monde où la position sociale définissait la reconnaissance d’un individu non seulement par ses pairs mais également par lui-même. L’apparition d’un double plus doué que l’original venait illustrer la perdition progressive du personnage selon plusieurs niveaux d’interprétation possibles : schizophrénie, crise identitaire, etc.
Ayoade et Korine, son co-scénariste, ne s’éloignent guère de cette structure. Le film est certes mené à terme sans que la multiplication des doubles du protagoniste (présente dans le roman) soit nécessaire, mais la substance de l’œuvre ne s’en trouve pas pour autant altérée. Ce n’est donc pas du côté de la réécriture que le film se démarque de son matériau d’origine. Il faut dire que le texte reste désespérément contemporain malgré les décennies passées, et toute modification substantielle du récit aurait appelé une solide justification, probablement risquée de toute façon. De ce fait, le véritable tour de force du réalisateur tient au simple fait qu’il développe une mise en scène en symbiose avec son histoire et ses personnages, ce qui fait se démarquer le film des nombreux autres produits mis en images sans talent ni même volonté d’articuler un discours à travers la narration cinématographique.

La filiation avec ce dernier est par ailleurs très claire dans la représentation de l’univers urbain : les blocs d’appartements sont uniformes, infinis et gris. Le lieu de travail, quant à lui, est éclairé d’une lueur pâle et déprimante, tandis que l’entreprise se révèle divisée en départements rigides, eux-mêmes installés dans des compartiments cubiques et resserrés. Le bruit, lui aussi, est omniprésent. Il poursuit le personnage tout au long de sa journée moribonde, passée sous les rayons du seul soleil jamais montré à l’écran : le soleil de substitution, artificiel, qui illumine très faiblement l’espace de bureaucratie inintelligible dans lequel évolue le héros.
Les parallèles ne s’estompent que rarement : le plombier romanesque de Brazil semble furtivement apparaître par la fenêtre du protagoniste pour démarrer le drame qui occupe le récit, tandis que celui-ci s’évade dans le monde d’imagination offert par une série TV de science-fiction parodique (qui singe les serials Flash Gordon), d’une manière qui rappelle fortement les dérives oniriques de Sam Lowry.
Pour autant, la dystopie gilliamesque n’est pas l’unique point de référence d’Ayoade, qui utilise les ombres et l’éclairage des scènes avec une précision redoutable, ce qui lui permet de jouer constamment avec les points de référence du spectateur plongé dans l’incertitude, ne sachant pas quel crédit donner aux différentes séquences. À la fois désespérant et drôle (les touches d’humour sont intelligentes et parfaitement dosées), le film berce grâce à une narration fluide, accompagnée de morceaux de musique classique envoutants, qui participent du malaise général exprimé par la désorientation du personnage.

The Double de Richard Ayoade est donc un exercice stylistique fascinant qui repose sur une véritable proposition de mise en scène, articulant les idées jadis exprimées à travers les mots du romancier russe. Comme ce dernier, le film propose plusieurs niveaux d’interprétation riches de symboles et de sens, qui ne manquera pas de s’imposer comme une œuvre psychologique incontournable, décortiquant les motivations, les peurs et les rêves de l’homme moderne.
The Double, de Richard Ayoade – sortie le 11 juin 2014