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Critique : The Artist
Présenté à Cannes, The Artist de Michel Hazanavicius raconte l’histoire de George Valentin (Jean Dujardin, auréolé d’un Prix d’Interprétation), vedette du cinéma muet qui va voir sa carrière se faner avec l’arrivée du cinéma parlant. Peppy Miller, elle, amoureuse de George, sera poussée vers le haut grâce à cette avancée technologique.
Mais The Artist, c’est surtout le pari fou de sortir en 2011 un film muet et en noir et blanc. Si le cinéphile sera forcément attiré, le grand public, jeune, biberonné à la 3D, sera-t-il au rendez-vous ? S’il faudra attendre le 12 octobre pour avoir la réponse, voici d’ores et déjà notre critique du film puisqu’il a été projeté à Palaiseau lors d’une avant-première publique.
The Artist est un film estampillé « CloneWeb Approved »

The Artist – Sortie le 12 octobre 2011
Réalisé par Michel Hazanavicius
Avec Jean Dujardin, Bérénice Bejo, John Goodman
Hollywood 1927. George Valentin est une vedette du cinéma muet à qui tout sourit. L’arrivée des films parlants va le faire sombrer dans l’oubli. Peppy Miller, jeune figurante, va elle, être propulsée au firmament des stars. Ce film raconte l’histoire de leurs destins croisés, ou comment la célébrité, l’orgueil et l’argent peuvent être autant d’obstacles à leur histoire d’amour.
Il serait un peu idiot de se contenter de simplement lister les précédents travaux de Michel Hazanavicius par réflexe paresseux (ça fait une introduction toute trouvée et ça « pose le bonhomme ») avant d’attaquer la critique à proprement parler de The Artist. Car dans ses détournements (Derrick Contre Superman mais surtout La Classe Américaine) et ses deux OSS 117, on trouve les éléments fondamentaux qui ont permis la naissance de son dernier film.
D’OSS 117, on retiendra surtout le soin apporté à la facture du film, le refus de faire une comédie visuellement cheap, le désir de livrer un film populaire de qualité, de se mettre au service du plus large public en ne sacrifiant pas ses exigences artistiques. Là où beaucoup considèrent ces deux impératifs inconciliables, Hazanivicus se contente de s’appliquer à faire un bon film, épaulé de ses indispensables collaborateurs (on y reviendra). Modestie d’un cinéaste qui « l’immense prétention de nous faire rire » comme disait Desproges.
Mais c’est véritablement dans La Classe américaine, dont on ne louera jamais assez le génie absolu, que l’on trouve l’essence du rapport qu’entretient Hazanivicius avec le cinéma. La Classe dépasse de loin le détournement potache (rien que sa durée hors normes pour ce genre d’exercice en témoigne), tout comme Les Clés de bagnole de Laurent Baffie n’était pas qu’une simple déconnade. Les deux films témoignaient d’une connaissance du cinéma chez leurs auteurs respectifs qui n’étaient pas seulement historique mais aussi pratique. Dans l’un comme dans l’autre on décortiquait, à voix haute, les mécanismes narratifs d’un film, preuve que Baffie comme Hazanivicius savaient ce qu’ils faisaient. C’est une des raisons pour laquelle La Classe est encore à ce jour d’une efficacité aussi redoutable, parce qu’il est construit sur une unité narrative qui lui permet de tenir la durée (certes Orson Welles a un peu crié au vol et au plagiait, lui qui n’aime pas beaucoup « les voleurs et les fils de pute » mais que voulez-vous, on ne peut pas plaire à tout le monde…).

Hazanavicius sait donc ce qu’il fait depuis ses débuts et c’est bien cette maîtrise éclatante du médium cinématographique que l’on retrouve dans The Artist. Seulement la maîtrise n’est plus potache comme dans La Classe (où Peter faisait des effets spéciaux avec sa bouche et Steven s’indignait de procédés de montage), elle se met désormais pleinement au service de l’histoire (écrite par Hazanivicus également). Sans pour autant se priver d’un jeu de références qui ravira les amateurs de cinéma de la première moitié du XXe siècle.
On parlera beaucoup du « courage » du choix du noir et blanc et du muet (que beaucoup aiment opposer à la vilaine 3D, la nouvelle bête noire des cinéphiles à l’indignation facile). Plus que du courage, il s’agit de confiance. La confiance qu’Hazanivicius a dans son projet et son équipe bien sûr, mais aussi qu’il place dans son public. Car le public sait qu’il va voir un film. Il sait que la réalité n’est pas en noir et blanc, pas plus qu’elle n’est en couleurs ou en 3D stéréoscopique. Les spectateurs acceptent la nature d’un film, de sa facticité, n’en déplaisent à tous les fanatiques du « réalisme »). Et la proposition d’Hazanavicius à travers The Artist, ça n’est pas autre chose que ça, une histoire de cinéma.
Une histoire de cinéma (mais aussi, bien sûr, du cinéma) donc, avec un développement et des mécanismes narratifs caractéristiques du médium. Une histoire qui se déroule en 95 minutes, en empruntant les chemins et les détours habituels, à travers le jeu des acteurs, l’enchainement des situations et les procédés de montage. Le choix esthétique du noir et blanc, du format 1:33 et du muet n’est pas ici un simple fétichisme stérile. Il participe, avec l’ensemble des références mobilisées, à la reconstruction d’un moment absolu de cinéma : non pas figé mais intemporel. Aux références à des chef d’oeuvres, Hazanivicius fait appel avec intelligence pour que le spectateur accepte les articulations du récit. Nul besoin de connaitre Lubitsch sur le bout des doigts pour apprécier pleinement The Artist, nul besoin de partir à la « chasse au plan » : tout ce qu’on voit est l’héritage d’un siècle de cinéma qui a conditionné notre faculté à décrypter et à interpréter ce que l’on regarde projeté sur un écran. Tout est évident, tout est mis à la portée du spectateur pour qu’il puisse pleinement profiter de l’émotion. On est conscient de voir un film muet en noir et blanc, on est conscient de voir un film et on s’y abandonne totalement. C’est la simplicité même.
Pour autant, The Artist serait-il un film vieillot, qui joue sur la nostalgie de l’âge d’or pour vendre du glamour ? C’est l’exact opposé. Hazanivicius épouse les conventions visuelles de l’époque (notamment déterminées par le cadre du format 1:33) mais n’oublie pas les 80 années de cinéma qui ont suivi. C’est une construction moderne et non un pastiche singeant les films de l’époque, comme certains font avec les films de type Grindhouse à l’heure actuelle. Et dans la construction de son film, Hazanavicius est secondé par son génie de directeur de la photographie qu’est Guillaume Schiffman. Schiffman donne une texture éblouissante à ce noir et blanc recréé avec certains plans en jeux d’ombre qui n’ont rien à envier aux plus grands. Là encore, l’idée n’est pas de recopier mais de restituer, de peindre une ambiance graphique afin d’évoquer une époque mais sans se priver des enseignements modernes.

Hazanavicius s’offre ainsi (et nous offre, par la même occasion) quelques délices de mise en scène, à travers des constructions à la fois ludiques et utiles. On pense par exemple à cette scène où les jambes de Bérénice Bejo et de Dujardin dansent de part et d’autre d’un faux décor qui les dissimulent l’un à l’autre. Outre leur caractère pleinement jouissif (les rires du public en témoignent) ces scènes introduisent des motifs amenés à se répéter au long du film, à chaque fois de façon différente, pour signifier l’évolution des personnages. C’est cette logique narrative évoquée plus haut qui pilote véritablement The Artist, cette confiance en des procédés qui résistent à l’épreuve du temps, qui sont la base de la grammaire cinématographique.
Et avec des fondations aussi solides, il est possible de raconter n’importe quelle histoire, à n’importe quelle période. Il est possible d’émouvoir le public avec l’histoire d’un égoïste muet engoncé dans ses certitudes et aveugle à l’amour que lui porte une femme. Car émouvant, le film l’est résolument, tout comme il est drôle. Dujardin et Bejo sont dirigés de main de maître et livrent l’un comme l’autre des performances réellement inoubliables. La musique de Ludovic Bource complète le redoutable arsenal déployé par Hazanavicius en livrant un score référentiel et bourré de personnalité qui va faire date. Le mot de la fin pour parler… de la fin justement, l’une des plus jouissives qu’il m’ait été donné de voir ces dernières années, sûrement parce qu’elle fait appel à un chef d’oeuvre absolu d’Hollywood qui entretient pas mal de points communs avec The Artist. Mais je ne me permettrai pas de spoiler cette référence !
9 commentaire
par Olivier
J’avais pas plus aimé que ça les OSS, je suis pas sûr d’apprécier
par Basile
Il faut lui donner sa chance, le ton n’a rien à voir avec les OSS.
par Pascale
je confirme :
le ton est radicalement différent des OSS 117, car le kaléidoscope de références change totalement.
Ce film est un pur bonheur cinématographique comme on regrette de ne pas en voir plus souvent.
Dujardin et Bejo sont é-pous-tou-flants : ils incarnent avec sensibilité et intelligence des personnages aux multiples facettes.
La qualité graphique des images est tout simplement épatante, et quant à la musique, elle est au diapason de l’oeuvre tout entière !
Bref, comme toute la salle du CinéPal de Palaiseau, j’ai adoré ce film et je lui souhaite le grand succès populaire qu’il mérite car il prouve – à une époque qui semble parfois l’oublier – qu’il est possible de proposer au plus large public un vrai cinéma de qualité.
Passer à côté de ce film serait une erreur…
par Yohann
c’est quand même très différent d’OSS et largement meilleure.
Jamais vu une salle de cinéma absorbé comme ça.
par Hellboy
Hmmm, quelque chose me dit que Pascale n’est pas venue commenter par hasard…
par joe gillian
effectivement, ca semble un peu rapide comme avis pour etre honnete mdr charge de com sort de se corps…..mdr
enfin bref je suis pas un fan mais pour l’experience visuelle je ferais l’effort d’aller le voir,en eseperant que les dire de pascal seront vrai et pas commercial…
par Misutsu
Me suis ennuyé pendant une bonne partie du film la faute à un scénario inconsistant à l’issue vite expédiée dans les 5 dernières minutes, mais la reconstitution était luxueuse et la performances de Dujardin et Bejo fantastiques !