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Critique : Silent Running

Ne changeant pas ses bonnes habitudes, Wild Side réédite Silent Running dans une splendide version Blu-ray redonnant une seconde vie au film, qui est accompagné d’un documentaire d’époque sur les coulisses du tournage et d’un livret écrit spécialement pour le coffret par par Frédéric Albert Lévy.

Une bonne opportunité pour revenir sur ce classique de la science-fiction, réalisé par une figure centrale de l’industrie.

 

LA CRITIQUE

Dans le futur, plus personne ne meurt de faim et le chômage a été éradiqué – seulement voilà : il n’y a plus aucune forêt sur Terre, ni aucune végétation d’ailleurs. Notre planète est devenue un complexe industriel où tous les hommes sont désormais identiques, selon les dires du protagoniste. Ce dernier, accompagné de trois collègues et quelques robots de maintenance, vit dans un vaisseau spatial orné de dômes dans lesquels il cultive de multiples espèces végétales et animales. Cependant, lorsque la Terre ordonne aux vaisseaux de détruire ces immenses serres sidérales afin de réemployer les bâtiments à des fins commerciales, le botaniste Freeman Lowell refuse d’obtempérer, mettant tout son équipage en danger…

Douglas Trumbull, l’un des spécialistes des effets spéciaux les plus reconnus au monde, avait commencé à imaginer l’histoire de Silent Running alors qu’il travaillait sur 2001 : l’odyssée de l’espace, auquel il souhaitait apporter une réponse plus humaine et touchante. Il ne lui aura alors fallu que quelques années pour mettre en marche le projet, dont il fera sa première réalisation. Il est donc évident de constater que les effets spéciaux du film demeurent convaincants plus de 40 ans après leur conception. Les maquettes détaillées, alliées à l’architecture de l’ancien porte-avions Valley Forge, permettent de créer un rendu impressionnant de l’espace, qui arrive juste derrière celui de 2001, mais seulement par manque de moyens financiers, le talent étant manifestement bien là.

Le film est porté avec brio par son acteur principal, Bruce Dern, qui se retrouve seul pendant tout le dernier acte. Le script, co-écrit par Michael Cimino (qui débutait alors sa carrière dans l’industrie), passe une bonne partie de son temps à développer la relation entre Freeman Lowell et ses compagnons robotiques, ou à illustrer le lien qui l’associe à la nature. Il s’agit malheureusement là du composant le moins engageant de l’œuvre. En effet, le scénario se permet plusieurs scènes d’égarement alors même que le film ne dure que 90 minutes, et aucun des personnages ne connaît finalement d’évolution notable. De même, il aurait peut-être été plus facile de s’identifier au protagoniste si les motivations profondes de son idéologie avaient été explorées.

À vrai dire, il est devenu un peu compliqué de vraiment savoir où veut en venir l’histoire. À première vue ultra-militant en faveur de l’écologisme et de la préservation de la nature, le film finit par faire de son héros un fou furieux prêt à sacrifier autant d’humains qu’il le faudra pour préserver ses arbres. Un terroriste écologiste en somme, qui méprise l’espace et regrette une Terre disparue. Cette Terre, c’était celle de la biodiversité et de l’individualité, deux notions appartenant au passé dans un monde où l’homme a exterminé la nature suite à une course extrême vers le commerce.

Il émane donc du scénario le besoin de dénoncer la technologie et de promulguer un retour à l’état sauvage, bref, un discours fondamentalement traditionnaliste, qui rejette l’évolution technologique et méta-terrestre de l’humanité. L’état d’esprit de Lowell fait même de lui un personnage radical par rapport à ses trois collègues, des monsieurs-tout-le-monde qui se révèlent finalement bien patients avec l’arboriste. Malgré tout, on ne peut s’empêcher de penser que les insistances anti-industrielles (utilisation de bombes atomiques – rien que ça – pour détruire les dômes, volonté de préserver à tout prix la flore, etc.) étaient censées défendre une idée s’inscrivant dans un mouvement de protestation né dans les années 1960. On constate aussi avec intérêt que la nourriture synthétique consommée par les astronautes est vivement moquée et critiquée par Lowell comme étant une abomination innommable. Or cette technologie était déjà mentionnée dès la première saison de Star Trek quatre ans plus tôt et dans les années 50 par Isaac Asimov, et décrite comme étant quelque chose de bénéfique, voire même de nécessaire.

Silent Running est-il donc un film libéral et écologiste ? C’est un film dont le protagoniste déteste la technologie, ainsi que l’évolution spatiale et biologique de l’humanité, et qui promeut un sauvetage de la nature plutôt que des hommes. Bref, oui et non, mais dans tous les cas plutôt dans les extrêmes. Est-ce à dire que le film se range du côté de Lowell ? À chacun de juger les actions du personnage, mais le dernier plan mélancolique laisserait penser que c’est effectivement le cas (sans compte les deux chansons aux paroles très empruntes du mouvement hippie). L’idée sur laquelle se base le film s’avère finalement assez étrange. Alors que Kubrick promouvait l’élévation de l’homme vers une existence à la fois terrestre et spatiale (voire métaphysique) avant lui, Trumbull décidait de proposer un retour total à une réclusion exclusivement terrestre.

Au-delà de son propos ambigu, Silent Running se démarque surtout de ses concurrents par sa grande maîtrise technique en termes visuels. Moins complexe que 2001 mais plus ample et crédible que (l’excellent) Solaris de Tarkovsky, il demeure à ce jour une référence immanquable de virtuosité artisanale dans le domaine cinématographique, même si le réalisateur s’est clairement empêché de transformer son film en bande démo technique. La séquence de la traversée des anneaux de Saturne est en outre particulièrement stimulante.

Au final, malgré quelques improbabilités d’écriture (un botaniste expérimenté ne se dit pas une seconde que le manque de soleil affectera ses plantes… moui…) et une approche parmi les moins subtiles jamais adoptées, Silent Running demeure un incontournable de la science-fiction américaine en tant qu’exemple de l’héritage des années de révolution sociale ayant précédé, et en tant que modèle d’accomplissement visuel, désormais d’autant plus somptueux sur cette nouvelle édition.

Silent Running, de Douglas Trumbull – Sortie le 3 décembre 1975 en salles et le 6 juillet 2016 en coffret blu-ray

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