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Critique : Silence
Trois ans après Le Loup de Wall Street et seulement quelques mois après l’excellente mais malheureusement annulée série Vinyl, Martin Scorsese revient avec Silence, d’après le roman de Shūsaku Endō déjà porté à l’écran en 1971 par Masahiro Shinoda.
Pour son nouveau long, le réalisateur des Affranchis laisse Leonardo di Caprio et s’offre Andrew Garfield (qui enchaine les bons choix de carrière après Hacksaw Ridge), Adam Driver, Liam Neeson et Tadanobu Asano…
LA CRITIQUE
Voilà bientôt trente ans que Scorsese étudiait La Dernière Tentation du Christ, et pourtant les décennies semblent ne pas avoir eu de poids sur sa foi et les doutes qui l’entourent. En témoigne Silence, énième projet de longue date pour le cinéaste qui court derrière cette adaptation depuis plus de vingt ans. Une attente compréhensible à plusieurs niveaux, d’abord en ce qui concerne le matériau en lui-même, loin d’être simple à porter à l’écran, et aussi d’un point de vue plus industriel, l’ensemble allant à l’encontre des tendances et du succès facile.
Avec cette histoire de prêtres jésuites partant en mission au Japon pour retrouver un de leurs confrères disparus, Scorsese s’attaque à un long périple intérieur, où les tourments de l’âme et de la croyance sont confrontés à l’horreur d’une persécution bien réelle et tangible.
Par bien des aspects, Silence semble à la croisée des chemins entre la Passion du Christ et Apocalypse Now. La filiation avec le Mel Gibson est sans doute la plus évidente avec ces hommes qui vont être soumis à des actes odieux, torture en tout genre et sévices corporels multiples, tout en devant faire preuve d’une croyance absolue pour tenir coûte que coûte.
Leur foi est mise à rude épreuve durant une grande partie du film, ce qui rend son visionnage parfois inconfortable, mais il n’y a ici aucune complaisance dans la violence ou une quelconque envie d’en tirer du spectaculaire.
Proche de ses personnages, Scorsese colle le spectateur tant que possible dans cette atmosphère lourde qui les entoure, lourde de tension mais aussi de sens tant chaque épreuve est autant physique que spirituelle. Parcouru tout du long de voix-off, appartenant par ailleurs à divers protagonistes, Silence est une tentative perpétuelle de percer l’âme de ces religieux faisant face au brouillard de la croyance. Forcément, le périple est long, lent, pesant, et parcouru d’incertitudes, autant d’éléments que le réalisateur veut nous faire comprendre. L’extrême quiétude dont sont censés faire preuve les personnages semble ainsi avoir été partagée par un Martin Scorsese presque transfiguré en comparaison de ses travaux récents.
Oubliez l’hyperactivité du Loup de Wall Street, la flamboyance de Vinyl ou même la grandiloquence auquel se prêtaient certains films historiques comme Gangs of New York. Tout le projet de mise en scène de Silence va à leur encontre d’un point de vue stylistique, à croire que c’est un autre metteur en scène derrière même si on se doutait bien que Scorsese n’allait pas caler un morceau des Rolling Stone ici. Blague à part, la tenue de son dernier film porte sa patte par le soin porté à chaque élément, même si la quiétude de la réalisation, sa sobriété et son rythme nonchalant ont de quoi surprendre. L’atmosphère monastique du film intime le spectateur d’être attentif tout en l’assommant presque de sa gravité.
Cela ne nous empêche aucunement d’apprécier le talent unique de Marty, qui profite de son directeur de la photographie Rodrigo Prieto pour emballer des plans absolument renversants, et ce dès le début du film, certains cadres rivalisant de beauté et d’ingéniosité dans leur composition dès la première scène dans la brume, où l’on perd notre regard dans un coin de l’image pour soudainement être captivé à l’autre bout de celle-ci par un élément nouveau.
De l’aveu même de Scorsese, le plus dur pour ce grand amateur du cinéma asiatique était de se libérer de l’influence des grands cinéastes japonais comme Kurosawa, Kobayashi ou Mizoguchi, auquel le film renvoi forcément d’une façon ou d’une autre par son décor, et force est de constater que l’ombre des maîtres plane sans jamais trop envahir ou court-circuiter la patte du géant derrière la caméra. Un soin clérical qui se retrouve à tous les postes et évidemment au casting, Andrew Garfield portant le film avec une dévotion et une dignité prouvant une nouvelle fois peu après Hacksaw Ridge de Mel Gibson qu’il est bien parti pour faire une grande carrière.
Et preuve s’il en est que Scorsese a su se faire violence : il n’y a quasiment pas de musique dans son film, celle-ci étant très basse lors de ses rares apparitions.
Ainsi, Silence n’est pas un film facile de par son rythme, son sujet, son austérité et l’exigence qu’il demande. Pour en revenir à la comparaison avec Apocalypse Now de Francis Ford Coppola, il forme de la même façon un voyage métaphysique torturé, où l’avancée dans un territoire exotique et mystérieux ne cesse de renvoyer l’homme à ses propres démons, à qui il devra faire face pour en sortir grandi dans ses convictions et choix de vie. L’épure formelle, et la durée de l’ensemble se prêtent totalement à ce projet narratif où le spectateur est amené à se questionner fréquemment sur le sens de ses convictions et de sa manière de percevoir le monde, permettant à Scorsese de lier classicisme et modernité. Car le film se fait le reflet d’une certaine actualité tant la tolérance vis-à-vis des autres religions est évidemment au cœur de son récit, les sanctions destinées aux hérétiques au 18ème siècle ayant bien des points en commun de par le monde aujourd’hui. L’instrumentalisation de la foi est d’ailleurs l’un des sujets les plus importants traités ici, afin d’ausculter la source des cultes et la raison de tant de dévotion. Au final, la tolérance et la sagesse auxquelles Silence appelle n’en ressortent que plus belles et pertinentes, au terme d’un voyage intérieur aussi aride que sublime.
Silence, de Martin Scorsese – Sortie le 8 février 2017
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