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Critique : Quai d’Orsay
La comédie française a connu une longue période de disette ces derniers temps et faisait bien de la peine face à a concurrence ne fut-ce qu’outre-Manche. On a pu en voir, des bouses sur les courses hippiques, le camping ou le disco et autres bêtises où des humoristes viennent toucher quelques millions pour du vaudeville sans intérêt normalement destiné à la télévision.
Mais 2013 semble être une meilleure année. Neuf Mois Ferme d’Albert Dupontel (sortie mercredi 16 octobre, ne le ratez pas) est là pour prouver qu’on peut encore faire rire en France et le film de Guillaume Galliène, Guillaume & les Garçons à Table, remporte tous les suffrages du public qui a assisté à de multiples avant-premières.
Le troisième vainqueur de l’année pourrait bien être Bertrand Tavernier, le réalisateur du Juge et l’Assassin ayant choisi d’adapter une bande dessinée politico-humoristique de qualité.
«Si toutes choses devenaient fumées, les narines les connaîtraient.»
Fragment n°78 – Héraclite
Le Quai d’Orsay désigne habituellement, à cause de son adresse dans le 7e arrondissement, le Ministère des Affaires Etrangères. C’est aussi depuis peu une bande dessinée signée Christophe Blain et Abel Lanzac sortie en 2010 et en 2012 relatant les aventures, fictives bien entendu, d’un jeune employé du ministère fraichement débarqué et qui va découvrir avec son regard neuf ce qui s’y passe. BD dont le deuxième tome a été recompensé à Angoulême, Quai d’Orsay est en réalité basé sur une histoire vraie. Derrière le pseudonyme de Lanzac se cache Antonin Baudry, diplomate, actuel conseiller culture de l’ambassade de France aux Etats Unis et … ancien bras droit de Dominique de Villepin. Il suffit donc au lecteur, ou au spectateur, de remplacer le nom d’Alexandre Taillard de Worms par celui de Villepin et d’imaginer que le Lousdem (ou Lousdemistan dans le film) n’est autre que l’Irak et la fiction devient vite réalité.
La BD décrit donc à travers une galerie de personnages le quotidien du ministre des Affaires Etrangères, sa passion pour son métier (ou pas) et son exubérance. Sans jamais version ni dans le pamphlet ni dans la caricature politique grossière, Quai d’Orsay est une bande dessinée particulièrement savoureuse par son humour toujours juste, ses dialogues affutés, ses références et … les coups de vent de son ministre.
Il est sans doute surprenant de découvrir que Bertrand Tavernier est aux commandes de son adaptation tant la carrière du metteur en scène semble éloignée d’un tel projet. Mais le réalisateur dit lui-même être instantanément tombé sous le charme et quand on connait son talent derrière une caméra on se réjouit de voir que l’œuvre est entre de bonnes mains.
Passionné par son sujet, Tavernier livre tout simplement une des meilleurs comédies françaises de ces dernières années.

Se faisant donc aider de Christophe Blain et d’Abel Lanzac, d’ailleurs crédité cette fois sous sa véritable identité, Tavernier adapte à l’écran principalement le premier tome soit la découverte par le spectateur de l’univers du ministère à travers Arthur Vlaminck mais reprend également quelques éléments du second volume – dont quelques personnages, un chat et quelques anecdotes (la scène des chaussures brillantes si vous avez lu le bouquin). Quai d’Orsay était en effet déjà très cinématographique mais avait besoin de quelques retouches pour fonctionner à l’écran, principe même de l’adaptation. Baudry, Blain et Tavernier ont travaillé main dans la main pour développer d’avantage de personnages et rajouter quelques petites choses, notamment la compagne du héros beaucoup plus présente et permettant des instants de pause dans le récit, pauses qui permettent de mettre en perspective à travers son regard à elle, jeune institutrice d’un univers bien éloigné, le quotidien du fameux ministre.
Leurs échanges, et les anecdotes de Baudry sur sa vie au ministère, ont été l’occasion d’ajouter des éléments non présents. On découvre par exemple que les employés du quai d’Orsay n’avaient pas accès à Internet ! Et ils vont même trouver un moyen, discret, de montrer que Taillard de Worms est plus humain qu’il n’y parait.
Le spectateur, lui, découvre un univers dont il n’est pas coutumier, très enfoncé dans la bureaucratie et qui semble, à bien y repenser, tellement éloigné des préoccupations du quotidien que ça en devient grotesque.
Si les scénaristes ont développés certains aspects, les nombreuses références visuelles ont été supprimées. Tavernier est quelqu’un de sage dans sa mise en scène et ne fait que quelques rares tentatives plus osées à base de zoom rapide, split screen et insertions à l’écran. De fait, on l’imagine mal caricaturer X-Or ou Star Wars, images pourtant bien présentes dans la tête du héros Arthur Vlaminck. Les références passent donc à la trappe mais on a bien du mal à les imaginer dans le film.
Ces choix sont compensés par d’autres, tout aussi bien trouvés, notamment une scène beaucoup plus longue que l’originale sur papier dans laquelle le ministre évoque sa passion pour les stabilos. Un monument de narration qui a tout pour devenir culte.
Il faut dire aussi que Thierry Lhermitte est parfait dans le rôle du faux-Villepin. Le comédien n’a jamais été aussi à l’aise depuis bien longtemps et il est agréable de le voir aussi en forme à l’écran. Ce n’était pourtant pas un rôle évident à approcher. A ses cotés, Raphael Personnaz se fait extrêmement discret et pas toujours juste. Heureusement pour lui, le personnage n’en fait pas des tonnes non plus et ses compagnons de jeu lui sauvent souvent la mise. On mentionnera notamment la jeune Anaïs Demoustier, éblouissante de charme et de talent.

Le Quai d’Orsay de Tavernier est donc une belle réussite et prouve, avec Neuf Mois Ferme de Dupontel, que la comédie française en a encore dans le ventre. Le metteur en scène fait le choix de se focaliser sur les personnages au détriment d’une réalisation qui aurait pu être plus dynamique (vous imaginerez sans mal à la sortie de la salle ce que le film aurait donné dans les mains d’un Edgar Wright) mais tout est fait pour que le spectateur se marre. La tonalité de la bande dessiné est conservée et Thierry Lhermitte fait des étincelles.
A stabiloter d’urgence sur votre planning de films à voir !
Quai d’Orsay – Sortie le 6 novembre 2013
Réalisé par Bertrand Tavernier
Avec Thierry Lhermitte, Raphaël Personnaz, Niels Arestrup
Alexandre Taillard de Worms est grand, magnifique, un homme plein de panache qui plait aux femmes et est accessoirement ministre des Affaires Étrangères du pays des Lumières : la France. Sa crinière argentée posée sur son corps d’athlète légèrement halé est partout, de la tribune des Nations Unies à New-York jusque dans la poudrière de l’Oubanga. Là, il y apostrophe les puissants et invoque les plus grands esprits afin de ramener la paix, calmer les nerveux de la gâchette et justifier son aura de futur prix Nobel de la paix cosmique. Alexandre Taillard de Vorms est un esprit puissant, guerroyant avec l’appui de la Sainte Trinité des concepts diplomatiques : légitimité, lucidité et efficacité. Il y pourfend les néoconservateurs américains, les russes corrompus et les chinois cupides. Le monde a beau ne pas mériter la grandeur d’âme de la France, son art se sent à l’étroit enfermé dans l’hexagone. Le jeune Arthur Vlaminck, jeune diplômé de l’ENA, est embauché en tant que chargé du “langage” au ministère des Affaires Étrangères. En clair, il doit écrire les discours du ministre ! Mais encore faut-il apprendre à composer avec la susceptibilité et l’entourage du prince, se faire une place entre le directeur de cabinet et les conseillers qui gravitent dans un Quai d’Orsay où le stress, l’ambition et les coups fourrés ne sont pas rares… Alors qu’il entrevoit le destin du monde, il est menacé par l’inertie des technocrates.