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Critique : Passion
On n’avait pas vu de film de Brian de Palma depuis Redacted sorti en 2007. Six longues années pendant lesquelles le réalisateur de Scarface a préféré le charme de la vie parisienne à celle des plateaux de cinéma.
Peut-être est-ce d’ailleurs cela qui lui a donné envie du sujet de son nouveau film, puisque Passion est le remake d’un long métrage français : Crime d’Amour, d’Alain Corneau, pour lequel nous avions d’ailleurs rencontré Ludivine Sagnier. La jolie blonde est donc remplacée par Rachel McAdams, elle-même accompagnée de Noomi Rapace.
Mais la vraie question est : Brian de Palma est-il toujours en forme ?
Brian de Palma fait partie de ses réalisateurs cultes des années 80/90 pour qui le passage dans le nouveau millénaire a été quelque peu douloureux. Mission to Mars et Femme Fatale ont été des taules critiques et publiques, et quand bien même tout le monde imaginait le bonhomme renaître de ses cendres en adaptant James Ellroy et un Dahlia Noir apriori taillé pour lui, la déception était de nouveau au rendez-vous. Un constat d’échec tel que son Redacted n’a pas suffit à redorer le blason d’un génie de la mise en scène, dont le retour aux sources s’opère désormais. Avec Passion, Brian de Palma remake Crime d’Amour de feu Alain Corneau et trouve ainsi un terrain de jeu à la hauteur des films qui ont fait sa réputation, dans lesquels se mêlent séduction, crime et scénarios tordus. Mais à 72 ans, Brian de Palma n’a-t-il pas passé l’âge de jouer les pervers ?
Si revoir De Palma faire mumuse avec sa caméra pour jouer les voyeurs titillait sérieusement notre curiosité, il faut bien admettre que la base du scénario de Passion nous faisait peur. Très peur même, car Crime d’Amour terminait la carrière de Corneau de bien triste manière, avec sa réalisation théâtrale à outrance et l’indigence générale de l’entreprise. Heureusement pour nous, De Palma a passé un joli coup de polish sur l’histoire pour la rendre assez différente, et faire de ce face à face féminin un récit beaucoup plus pervers, avec une narration plus alambiquée et tortueuse.
Qu’on se le dise, le De Palma qui aimait jouer avec nos nerfs est de retour, et malgré une mise en place longuette, on retrouve bien ici l’homme qui s’amusait tant à mettre le spectateur dans une position délicate lorsque celui-ci regardait à la fenêtre du héros de Body Double. Enfin, quand je dis qu’on le retrouve, ça n’est pas complètement vrai.
L’une des forces des films de papy Brian dans les années 80 était la manière avec laquelle ils questionnaient toujours le public sur ce qu’il s’attendait à voir, redoutait et voyait au final. Jamais le premier pour ménager les habitudes de l’assistance, De Palma aimait mettre mal à l’aise, à l’image des premières scènes inoubliables de Pulsions ou de Carrie dans lesquelles il nous prêtait à observer sans détour des femmes nues sous une douche avant de leur faire vivre des expériences traumatisantes pour nous faire culpabiliser avec un soupçon de sadisme certain. Cette caractéristique si chère au maître semble s’être bien calmée tant Passion s’avère assez sage au final.
Sans non plus aller dans les extrêmes, le film contient deux trois montées en tension qui ne sont pas sans rappeler les films précités, et qui nous ramène avec nostalgie aux grandes heures du monsieur, nous démontrant que celui-ci en a encore dans les tripes. Pourtant, difficile de ne pas sentir un certain manque face à la chose qui n’est pas aussi radicale que le promettait son titre et son sujet. Avec cette intrigue de femmes rivalisant de charme et usant leur sexualité comme une arme pour mieux atteindre l’autre, on était en droit d’attendre plus qu’un thriller aussi bavard et dans lequel la ceinture a bien du mal à tomber (entre autre).
Le film se traîne d’ailleurs cette impression tout du long pour le simple fait qu’il est incroyablement anachronique. On peut même dire qu’il a véritablement le cul entre deux époques, tant à la fois le sujet de Passion et son récit semblent être tout droit sortis des années 80, là où la forme est bien ancrée dans notre époque actuelle.
Avec sa photographie ultra fade qui nous montre combien le numérique peut être glacial lorsque utilisé à mauvais escient (quand bien même le film semble avoir été tourné en pellicule), Passion est encore une fois trop propre sur lui. Non seulement on regrette une image avec aussi peu de relief et de texture mais surtout l’ensemble est très lisse par rapport à une histoire qui aurait exigé un rendu plus organique et nuancé. Ce problème visuel se traduit aussi dans certaines scènes tentant des choses sur la lumière pour amener une atmosphère plus inquiétante, mais dans lequel on a l’impression que le chef opérateur s’est amusé à mettre des projecteurs derrière des stores pour simplement strier l’image. Devant un résultat aussi terne et monotone, nous avons bien la sensation de faire à un film assez lambda de notre époque ou en tout cas indigne de son auteur, tandis que la musique de Pino Donaggio est restée elle coincée 20 ans en arrière.
Ca n’est en soit pas un mal, le compositeur ayant gardé sa patte intacte et livrant un score aux accents délicieusement kitsch avec certaines montées en crescendo dignes de Bernard Herrmann. Cela dit, la superposition de ses mélodies sur la photo sans âme du long-métrage produit par instant un contraste assez dérangeant, nous donnant à ressentir tout le paradoxe de la chose par rapport à son époque.
Car Passion reste avant tout un objet tout droit sorti des 80’s, avec son scénario premier degré qui ne demande qu’à faire tomber le spectateur dans ses fausses pistes pour mieux le surprendre par la suite, avec ce frisson particulier qui vous parcourt l’échine lorsque vous vous rendez compte que vous vous êtes fait berner.
Si l’on passe sur le visuel inadéquat de la chose, force est de constater que le jeu de piste de Passion fonctionne et chatouillera les aficionados de l’auteur. Le film met du temps à démarrer, et la construction de la relation entre les deux héroïnes semble trop succincte par instant tant elles peuvent passer du coq à l’âne d’une scène à l’autre. Aussi le film original d’Alain Corneau débordaient de discussions de bureau redondantes, et cette nouvelle version n’y échappe pas d’autant qu’elle reprend tels quels certains évènements importants du scénario original qui peuvent sembler toujours un peu gros dans leur théâtralité et dans les sentiments exacerbés des personnages. Pourtant, comme tout thriller qui se respecte, le film réussit à prendre son envol lorsque la mécanique s’enclenche, et on note chez De Palma le même soin méticuleux à faire monter la sauce lorsque le crime est sur le point d’être accomplit.
En soit, il ne faut pas chercher une once d’originalité là dedans : non seulement le scénario existait déjà malgré les retouches et, surtout, le bougre s’amuse à reprendre tel quel certaines structures narratives propres à ses grands films de l’époque.
Le tout parvient quand même à être efficace, et on se laisse aisément prendre au jeu lors du grand final de la chose, dans lequel le cinéaste qu’on aime est bel et bien de retour, vu qu’il est question de s’amuser du spectateur et de le faire miroiter, ce que le film parvient à faire malgré sa fabrication bancale. Et concrètement, c’était bien pour ça qu’on était là.
Paradoxal et presque désuet, Passion aurait été sans nul doute un grand film si De Palma l’avait fait il y a 20 ans. Mais les choses sont ce qu’elles sont, et si le fond semble bel et bien tout droit sorti des eighties, la forme elle est bien actuelle et manque cruellement de cachet pour pouvoir apprécier pleinement ce thriller dont les rouages sont suffisamment bien roulés pour que l’entreprise fonctionne sans non plus faire des étincelles, d’autant que le film aurait gagné à être plus sale sur bien des aspects.
Un retour timide donc, même si au fond, malgré le flacon, il reste encore un peu d’ivresse.
Passion – Sortie le 13 février 2013
Réalisé par Brian De Palma
Avec Rachel McAdams, Noomi Rapace, Karoline Herfurth
Deux femmes se livrent à un jeu de manipulation pervers au sein d’une multinationale. Isabelle est fascinée par sa supérieure, Christine. Cette dernière profite de son ascendant sur Isabelle pour l’entraîner dans un jeu de séduction et de manipulation, de domination et de servitude.