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Critique : Les Délices de Tokyo
Si les mots ramens, sushis, yakinikudon ou encore miso vous parlent, la suite va vous intéresser puisqu’il sera question de cuisine japonaise et de dorayakis en particulier.
Le dorayaki (銅鑼焼き), inventé dans une pâtisserie de Tokyo au début du 20e siècle, est l’assemblage de deux crêpes épaisses comme des pancakes fourrées de pâte de haricot rouge. Avant d’être au coeur du film qui nous intéresse, ce gâteau avait été popularisé par le personnage du manga Doraemon qui en est un grand consommateur…
LA CRITIQUE
Alors que son précédent Still the Water nous emmenait loin de la ville, la cinéaste japonaise Naomi Kawase nous plonge cette fois dans la proche banlieue de la capitale nippone pour une merveilleuse petite histoire à la saveur douce-amère. Les Délices de Tokyo (ou An dans la version originale) prend comme base une spécialité de la gastronomie japonaise pour nous conter cette belle rencontre entre deux individus que rien ne semblait les prédestiner à s’associer.
Naomi Kawase ouvre son neuvième long-métrage de fiction avec cet homme qui se traine aux aurores pour aller ouvrir sa modeste boutique de dorayakis. La routine n’enchante guère Sentaro (Masatoshi Nagase) qui a la tête basse derrière ses fourneaux gris. Les cerisiers en fleurs, tout autour, sont assez blafards. C’est contraint qu’il semble préparer ces petites crêpes, avec lesquelles il renferme une poignée de haricots rouges confits. Les seules habituées, à revenir goûter cette spécialité sucrée salée, sont quatre collégiennes qui apportent, par leur présence, un peu de vie dans celle de Sentaro. Cette dernière se consume sans plaisir, comme les rares cigarettes qu’il se grille une fois le service terminé. Pourtant, le chef fatigué cherche un apprenti qui pourra l’aider dans son labeur sans passion. Se manifeste alors Tokue (Kirin Kiki), une improbable petite grand-mère qui lui propose ses services, alors que le job requiert un investissement surtout physique. Gentiment éconduite une première fois, Tokue ne se débine pas et piquera la curiosité du chef avec des haricots confits préparés par ses soins. L’odeur, le goût, la texture, tous les sens de Sentaro renaissent à la première bouchée et, conscient des complications que va engendrer leur alliance, il prend tout de même le risque d’engager la septuagénaire.
Au bout d’un premier quart d’heure d’exposition un peu mou, la cinéaste commence ainsi à toucher à l’essentiel de son sujet : les apparences et la transmission. L’âge et la sagesse primant, Naomi Kawase opère un savoureux retournement des positions lorsque Tokue s’étrangle en découvrant les ingrédients industriels qu’utilise Sentaro. Honteux, le chef s’engage à suivre les conseils de son apprentie, quitte à travailler plus encore, pour qu’il prépare lui-même, de A à Z, ses dorayakis. La cinéaste nous hypnotise littéralement en filmant les haricots en train de mijoter. Car ce n’est pas seulement à la vue que ce fera cette dégustation des Délices de Tokyo, mais aussi par le son. Avec son corps ratatiné et son regard oblique, la vieille Tokue pleine d’esprit à des faux airs de Maître Yoda quand elle sent que l’odeur de la vapeur à changer et parle aux haricots. Ce personnage, ancré dans la terre et les valeurs ancestrales, respecte sa recette en considérant une conscience à chacun de ses ingrédients. Ce détail paraît certes incongru n’en n’est pas moins vide de sens dans notre univers mondialisé par les fastfood et la nourriture industrielle. Car les nouvelles générations ont également perdu la plus importante notion dans la cuisine, celle du temps, aussi bien pour préparer que pour manger.
Sans arrière-pensées, Sentaro suit les instructions de Tokue et il ne faudra pas longtemps pour que la nouvelle recette fasse un tabac et attire de nombreux clients. Si la question de la transmission se prolonge tel un fil rouge sur toute la longueur du film, celle des apparences s’empare doucement des personnages des Délices de Tokyo. Tandis que les saisons défilent, les soucis plus personnels viennent se mêler à la boutique de nouveau florissante. Naomi Kawase nous touche alors au plus profond de notre cœur que le passé de ses protagonistes bienveillants les rattrapent malgré eux. Ces gens ordinaires perdus et isolés qui s’étaient trouvés et formaient enfin leur propre famille, grande obsession dans la filmographie de la cinéaste. Famille qu’elle entretient également dans le milieu professionnel en signant sa deuxième collaboration avec l’actrice Kirin Kiki, après le long-métrage de 2012 Hanezu, l’esprit des montagnes. Dans ce dernier, on retrouve aussi au casting Durian Sukegawa, auteur du livre adapté par Les Délices de Tokyo.
Nous ne pouvons que vous conseiller cette belle parenthèse qu’est le dernier long-métrage de Naomi Kawase. Une histoire humble à la poésie simple, aux héros drôles et touchants et à la fin déchirante qui saura vous ouvrir autant l’appétit que l’esprit.
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Les Délices de Tokyo de Naomi Kawase, en salles le 27 janvier 2016