Skip to content Skip to sidebar Skip to footer

Critique : Knock Knock

Eli Roth a bien du mal à sortir ses films à l’étranger. The Green Inferno, datant pourtant de 2013, n’arrivera en France que le 25 septembre prochain sous le label e-Cinema (en VOD, donc).

Quand à Knock Knock, qui nous intéresse ici, s’il est bien sorti dans quelques salles anglaises et irlandaises voir sud-américaines, il n’arrivera en France lui aussi que fin septembre. Vous pourrez donc voir deux films d’Eli Roth inédits, via deux systèmes de distribution différents, à deux jours d’intervalle.

 

LA CRITIQUE

Knock Knock – Sortie le 23 septembre 2015
Réalisé par Eli Roth
Avec Keanu Reeves, Lorenza Izzo, Ana de Armas
La femme et les enfants d’Evan le laissent seul un week-end pour aller à la plage pendant qu’il travaille sur un projet architectural. Le soir, deux jeunes femmes perdues frappent à sa porte pour lui demander de l’aide. Très vite, il apparaît cependant que leurs intentions sont toutes autres…

 

Voilà un bien étrange virage qu’a pris l’enfant terrible Eli Roth avec Knock Knock, son remake du film d’exploitation Death Game/The Seducers (sorti en France sous le titre « Ça peut vous arriver demain »), datant de 1977 et réalisé par Peter Traynor. Les deux métrages présentent un pitch tout à fait identique, et se ressemblent globalement beaucoup dans la structure narrative et le scénario, mais le remake finit cependant par présenter des divergences qui indiquent une prise de position différente de la part du cinéaste.

Si Eli Roth nous a quelque peu habitués au gore et au malaise écœurant, il s’agit là d’un film tout en retenue de la part du réalisateur de Hostel, qui n’emprunte jamais la voie du torture porn (alors que l’histoire s’y prêterait presque logiquement) ni de l’érotisme. Plus étonnant encore, il parvient quasiment à créer un film moins inquiétant et moins sexy que l’original, qui contenait des scènes de torture psychologique plus percutantes, ainsi qu’une scène de sexe au montage quasiment psychédélique. Roth, lui, troque le découpage rapide et resserré pour insérer des plans épieurs des très nombreux portraits de la famille du protagoniste tandis que celui-ci commet l’irréparable pêché.

Si le simple nombre, tout à fait pharamineux, des portraits de famille jonchant l’immense maison laisse penser que l’égocentrisme exercé par la cellule familiale de l’élite américaine va être mise à mal, ces inserts qui seraient censés être culpabilisants peinent à trouver leur justification lorsque, dans l’acte final, les personnages nous expliquent que non, Evan ne pensait absolument pas à sa famille lorsqu’il trempait son biscuit la nuit précédente.

À vrai dire, l’un des gros problèmes du film réside dans sa tendance agaçante à vouloir constamment expliciter tous les motifs qui étaient parfaitement compréhensibles par l’image dans l’original. Il ne s’agirait pas d’affirmer que Death Game était un bon film ; c’était même un produit à la fabrication très médiocre, avec une photographie pour ainsi dire inexistante et une réalisation très figée. Cependant, tout film d’exploitation qu’il fut, son scénario était assez malin pour tenir sa problématique de manière cohérente et audacieuse pendant 90 minutes.

Il est donc d’autant plus incompréhensible de voir Roth s’embourber dans un acte final à la morale chaste, presque l’exact opposé de la prise de position du film des années 1970. Presque 40 ans plus tard, le motif des esprits sexuellement libérateurs de la mouvance hippie/punk s’est transformé en un sermon puritain qu’on croirait sorti de la guerre froide. Et, encore un exemple, tandis que les deux femmes tentatrices/dominatrices finissaient littéralement par disparaître de la surface de la Terre, autorisant le destin à accorder une chance de rédemption à l’homme fautif, brisé et humilié, celles de notre époque s’en vont réitérer leur mission divine et laissent leur victime détruite, sans la moindre chance de catharsis ou de renaissance.

Certes, il y avait des signes avant-coureurs de ce cynisme socio-réaliste plus tôt dans le film : si l’utilisation de Kiss est fort à propos pour effectuer la transition des années de rébellion d’antan à notre époque, le refus du cinéaste d’offrir à ses femmes une entrée en scène aux frontières du surnaturel et de l’horreur (comme c’était le cas en 1977) annonce l’aplatissement d’un concept abstrait qui traversait Death Game. On notera aussi que la culpabilisation est ici totale et difficilement crédible : Evan, homme bien sous tous rapports (et aucun signe dans sa vie ne laisserait penser le contraire) est fait pion d’un jeu mortel au nom d’une morale soi-disant transcendantale, or les séductrices d’origine ne faisaient finalement que concrétiser et retourner un fantasme inavoué de l’homme captif, qui nourrissait un désir secret pour ces jeux, comme le laissait entendre la littérature pornographique (aux accents encore plus extrêmes) que le personnage de Sondra Locke lisait à son hôte.

Si les performances d’acteur n’avaient rien d’exceptionnel dans l’original, c’est également vrai du remake, malgré la présence de Keanu Reeves, qui a quelques lignes de dialogue supplémentaires que son prédécesseur. On regrettera qu’aucune des deux actrices torturant le protagoniste ne parvienne à hypnotiser le public du regard comme savait le faire Sondra Locke, dont le visage aux tons « Barbara Steeliens » créait une ambivalence intrigante et obsédante.

Indépendamment, Knock Knock reste agréable à suivre, car sans temps mort et avec un crescendo dramatique plutôt efficace malgré des failles logiques rédhibitoires de nos jours. C’est un film à la fabrication formelle honnête, qui emploie une narration discrète pour illustrer avec application son sujet. À ce jeu, il surclasse sans surprise ni problème Death Game, bien entendu, mais opère trois pas en arrière quand il s’agit d’actualiser sa problématique. En l’état, on en ressort avec la légère impression d’avoir assisté à un téléfilm perdu dans une époque qui n’est pas la sienne (les références à Facebook n’y changeront rien), et qui sombrerait immédiatement dans l’oubli sans sa tête d’affiche.

Et si l’on souhaite vraiment voir une sexploitation softcore démontant l’édifice de l’upperclass américaine au détour d’une scène absorbante dans laquelle le self made man impuissant témoigne de sa chute, attaché à son lit et cadré entre les jambes nues de sa geôlière infantile pendant qu’une autre manticore au visage peint s’approprie sa vie privée, alors on pourra toujours se tourner vers ce petit film qu’est Death Game, car il reste encore plus grand que ce Knock Knock quelque peu hors de propos.

Voir les commentairesFermer

Laisser un commentaire