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Critique : Jodorowsky’s Dune
Dune est le premier roman issu d’une saga de science fiction paru en 1965 et écrit par Frank Herbert. Il a été adapté au cinéma par David Lynch en 1984 avec notamment Kyle MacLachlan en Paul Atreïde et Sting en Feyd-Rautha Harkonnen. Une série télé a également raconté l’histoire au début des années 2000.
Mais bien avant ces deux versions, Alejandro Jodorowsky avait voulu lui aussi porter à l’écran le roman d’Herbert. C’est l’histoire de ce projet inabouti que raconte Jodorowsky’s Dune.
LA CRITIQUE
Et si Star Wars n’avait pas été le premier grand projet de film mythe de la science-fiction ? C’est la question que pose le réalisateur Frank Pavich avec son documentaire Jodorowsky’s Dune. En effet, tandis que George Lucas préparait les différentes versions du scénario qui allait devenir l’histoire originale de Luke Skywalker, un autre long-métrage tout aussi ambitieux, avant-gardiste et révolutionnaire se préparait… en France ! Pavich relate la première tentative d’adaptation du roman culte Dune de Frank Herbert par le cinéaste iconoclaste Alejandro Jodorowsky. Après les succès d’El Topo, ouvrant la voie des Midnight Movies dans le cinéma underground américain, et de La Montagne sacrée, le réalisateur s’était mis en tête de mettre en scène l’impossible avec Michel Seydoux en producteur.
Plus qu’un documentaire sur le projet Dune, le film de Frank Pavich est une plongée dans l’esprit halluciné du cinéaste chilien, à l’instar de son ouverture parcourant l’appartement de Jodorowksy sur des chants gutturaux et des notes hypnotiques à l’orgue synthétique. « Quel est le but de la vie ? C’est celui de se créer une âme. » Ainsi commence le cinéaste sur son projet qui dépassait le simple fait d’être une production avec des contraintes techniques et économiques. L’Art lui est plus important que l’aspect industriel du cinéma. Jodorowsky voyait son projet comme un « prophète » selon ses propres mots, qui pourrait toucher toutes les générations et ouvrir le champ des possibles, aussi bien pratiques que spirituels. Il est assez savoureux de retracer les souvenirs du cinéaste avec autant d’implication de passionné que de son détachement, notamment du fait qu’il ne savait rien du roman d’Herbert avant de se lancer dans l’aventure et qu’il avait volontairement pris certaines libertés en l’adaptant.
Mœbius, Dan O’Bannon, Chris Foss, H.R. Giger… L’équipe se met progressivement en place autour du cinéaste qui cherche plus que les meilleurs. Son anecdote concernant sa rencontre avec Douglas Trumbull, concepteur génial des effets spéciaux de 2001, l’Odyssée de l’espace, dont l’attitude n’avait pas plu à Jodorowsky qui lui préférera le moins connu (à l’époque) Dan O’Bannon. Car si Dune avait une telle importance pour lui, il devait en être autant pour ses collaborateurs qu’il voyait comme des « guerriers spirituels ». Frank Pavich réussit à nous retranscrire cette abnégation au service d’un projet dans lequel tout le monde pensait dépasser l’impossible. S’il fallait travailler sur Dune, il était nécessaire de croire avoir été choisi pour une mission quasi divine et Alejandro Jodorowsky était tout indiqué pour entraîner une bande d’illuminés dans un film fou.
Mieux encore que ses techniciens est le casting réuni par le cinéaste chilien. Jodorowsky pu convaincre David Carradine, Salvador Dali, Mick Jagger et surtout Orson Welles d’incarner les personnages clés de l’univers de Frank Herbert. Le cinéaste investit son propre fils Brontis dans l’idée d’en faire le Paul Atréides, héros de la saga Dune. Si la création d’un long-métrage impose une rigueur et un dévouement de chaque instant, celle pour Dune semblait en exiger encore plus. Il sera donc encore plus cruel de comprendre l’abandon du projet faute de trouver un studio américain enclin à le produire. L’argent à beau ne rien importer à Jodorowsky, il était néanmoins nécessaire pour aboutir à sa vision extraordinaire. Aujourd’hui, il ne reste de trace de ce Dune que les rares exemplaires d’un ouvrage monstre rassemblant plus de 3000 concepts art, le scénario et la totalité du film storyboardé, dont certain s’animent comme par magie à l’écran.
Jodorowsky’s Dune était donc nécessaire au rappel du souvenir de ce projet mort avant sa naissance. Documentaire qui brille surtout par sa quantité d’anecdotes et du personnage hors du commun qu’est Alejandro Jodorowsky. Bien que l’égo de ce dernier semble démesuré, sa vitalité à l’écran à plus de 90 ans est rafraichissante, notamment lorsqu’il nous persuade que son Dune n’est pas mort en vain et que l’on peut en retrouver son existence dans plusieurs films hollywoodiens ou des bandes dessinées. Le temps de son documentaire, Frank Pavich aura su redonner vie à ce projet en avance sur son époque qui nous fait encore rêver. D’ailleurs, le réalisateur israélien Ari Folman, qui nous avait apporté l’incroyable Valse avec Bachir, à pour ambition d’adapter ce Dune en long-métrage d’animation, tandis que Nicholas Winding Refn, adoubé fils spirituel par Jodorowsky en personne et qui apparaît également dans le film de Pavich, à pour intention de transposer l’Incal sur le grand écran, grande BD de science-fiction construite sur les ruines du fameux projet avorté.
Jodorowsky’s Dune, de Frank Pavich – Sortie le 16 mars 2016