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Critique : Insensibles

Nous vous avions déjà parlé d’Insensibles, vu par Jean-Victor à l’Etrange Festival et dont l’avis est ici.

Mais contrairement à beaucoup de films programmés au festival et que vous n’aurez pas l’occasion de voir de si tôt au cinéma, le long métrage de Juan Carlos Medina sort sur les écrans mercredi prochain.

On a donc voulu le revoir pour vous en parler d’avantage. Et c’est Nox qui s’y est collé.

 

 

Cette année de nombreux nouveaux réalisateurs tentent avec plus ou moins de succès de faire leurs preuves. On notera notamment Josh Trank ou encore Sean Durkin avec son envoutant et viscéral Martha Marcy May Marlène et surtout Benh Zitlin avec Les Bêtes du Sud Sauvage. C’est désormais au tour de l’Espagne de monter sur le devant de la scène avec le franco-espagnol Juan Carlos Medina. Le réalisateur, autodidacte, qui a fait ses premiers pas sur le sol français s’est ensuite retourné vers l’Espagne alors qu’il préparait le scénario de Insensibles il y a de cela huit années.
Entre confession d’un passé refoulé par toute une génération et œuvre personnelle, Juan Carlos Medina signe ici un long-métrage fort et d’une honnêteté inhabituelle.

David Martel est un chirurgien émérite, quand un accident de voiture change soudainement sa vie. Sa femme décédée, son enfant encore en état de fœtus dont la vie ne tient qu’à un fil, il découvre à l’aide de son hospitalisation que lui-même souffre d’une maladie dont la seule solution serait une greffe.
Parallèlement Juan Carlos Medina fait un retour en arrière sur les pans d’ombres de l’histoire espagnole. Pour ce faire il nous raconte l’histoire d’enfants atteint du syndrome de Nishida, -généralement décrit par une absence de sensation à la douleur- durant la période franquiste. Ces enfants dont l’instinct ne dicte pas la limite du corps sont rapidement un danger pour eux-mêmes, la notion de douleur leurs étant inconnues. Que représente le feu, une blessure, un os rompus, ou même la mort pour eux ?
En nous mobilisant sur deux récits parallèles, placés à deux antipodes, Juan Carlos Medina ose un grand pari qui pourrait rapidement être fatal à n’importe quel réalisateur même émérite. Mais son ambition, sa finesse dans les détails, permettent aux deux histoires de s’alterner avec une aisance et de faire preuve d’une fluidité envoutante.
Même si il est évident dès les premières minutes que les deux histoires sont prédestinées à entrer en collision, l’intrigue monte peu à peu à crescendo au fil des découvertes que réalise David Martel, le chirurgien victime de l’accident.

A travers ces deux histoires, Insensibles se détache rapidement de différents genres pour ne se concentrer sur aucun en particulier. A travers l’enfance, Juan Carlos Medina travaille intimement sur l’innocence corrompue par une génération où l’anormalité était l’œuvre du diable. Par son évolution au sein de la guerre civile, c’est la noirceur de l’humanité qui est mise en œuvre. David Martel est le catalyseur mis en confrontation avec ces découvertes, dosant peu à peu l’atrocité qui nous est montré, enfouie sous la honte d’un passé dont personne ne veut être le témoin.
Juan Carlos Medina ne laisse alors rien au hasard, faisant preuve d’une véritable réflexion historique qui ne passe jamais en second plan.
Malgré la continuité des évènements, certains défauts peuvent transparaitre à cause de ce premier exercice. Choisir d’évoquer deux histoires analogues force notre attention plus rapidement sur l’une que sur l’autre, nous rendant hâtif sur la seconde
Il n’hésite pas à approfondir chacun de ses personnages, que ce soit l’espoir d’un médecin juif, la confusion d’un homme perdu ou encore l’espoir d’une femme, tout prend sens autour de ces enfants.

Pourtant, Medina exerce chez nous avec une habilité hors-norme une fascination visuelle continuelle et envoutante, ne plongeant jamais dans le voyeurisme malsain d’une époque où le sang est devenu l’encre de l’histoire. Dans cet hôpital, où la seule lumière est synonyme de liberté, tout prend une symbolique, un enfant deviendra finalement le monstre que l’on croyait voir au sein du groupe, pas à cause de sa nature originelle, mais par ce que l’homme aura décidé de faire de lui, devenant cet observateur silencieux que personne n’ose être.
Insensibles devient rapidement membre de cette volonté nouvelle espagnole de vouloir briser certains tabous, entre l’Espagne franquiste, sa relation avec les partis nazi, et son autodestruction par la rébellion parfois aussi corrompue, autant de thèmes que l’on retrouve dans le Labyrinthe de Pan de Guillermo del Toro ou encore chez De la Iglesia dans Balada Triste.

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Au-delà même de ses qualités scénaristiques Insensibles est aussi une véritable œuvre visuelle. Si son montage ne s’épuise jamais pour faire preuve d’une fluidité impressionnante, c’est dans son cadre que Insensibles prend à nouveau toute une ampleur. Le travail de Alejandro Martinez permet la création de deux identités uniques dont sont dotées chacune des deux phases de son histoire.
D’un cote est présent un jeu sur le clair-obscur constant mettant en œuvre l’ambigüité de l’espace dans lequel ils se trouvent, de l’autre une photographie plus sobre, orientée sur la possibilité de jouer sur des cadres et usant avec intelligence du grand angle.
Par ce premier principe, le travail des deux hommes permet la naissance de plans véritablement marquants nous travaillant de bout en bout, en mettant en parallèle avec intelligence le début et la fin du récit. Tomas Lemarquis qui interprète le rôle de Berkano est proche de la performance artistique, nous fascinant par sa froideur naturelle. La musique de Johan Söderqvist génère le support final, rajoutant cette dernière touche nécessaire à la poésie infâme espagnole, nous captivant juste ce qu’il faut en plus avec perfection.

A travers ce premier film Juan Carlos Medina exerce un véritable tour de force. En omettant ses quelques défauts insignifiants, il réussi à nous tenir en haleine pendant toute la durée, et en plus à signer une œuvre qui à l’aide de Luis Berdejo, le scénariste de REC, permet de passer un message sur ce que devrait aujourd’hui entreprendre l’Espagne : accepter la douleur de ce passé rongé, sorte d’héritage maudit, jamais accepté, qui finalement, n’est même pas critiqué, simplement absent de leur histoire.

 

Insensibles – Sortie le 10 octobre 2012
Réalisé par Juan Carlos Medina
Avec Alex Brendemühl, Tomas Lemarquis, Irene Montala
Interdit aux moins de 16 ans
A la veille de la guerre civile espagnole, un groupe d’enfants insensibles à la douleur est interné dans un hôpital au cœur des Pyrénées.
De nos jours, David Martel, brillant neurochirurgien, doit retrouver ses parents biologiques pour procéder à une greffe indispensable à sa survie. Dans cette quête vitale, il va ranimer les fantômes de son pays et se confronter au funeste destin des enfants insensibles.

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