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Critique : Ex-Machina
Ils seront tous les deux à l’affiche d’une grande saga de science-fiction fin 2015. Mais Oscar Isaac et Domhnall Gleeson ont avant Star Wars Le Réveil de la Force une autre occasion de côtoyer des robots : Ex-Machina.
Le film est mis en scène par Alex Garland, dont c’est la première réalisation, mais qui a déjà fait ses armes coté scénario avec l’écriture de 28 Jours Plus Tard, Sunshine et Never Let Me Go.
Présenté ce mercredi en ouverture de l’édition 2015 du Festival de Gerardmer, Ex-Machina est sorti dans les salles outre-Manche. Il sera visible du grand public français en mai prochain.
LA CRITIQUE
Ex Machina – sortie le 03 juin 2015
Écrit et réalisé par Alex Garland
Avec Oscar Isaac, Domhnall Gleeson, Alicia Vikander
Caleb Smith, employé du plus grand moteur de recherche au monde, Bluebook, est tiré au sort pour rendre visite, une semaine durant, au fondateur de l’entreprise, dans son foyer retiré du monde. Une fois sur place, Nathan lui propose de tester le niveau d’évolution d’Ava, une intelligence artificielle avancée. Très vite, cependant, le test se transforme en jeux de dupes et Caleb doit choisir en qui faire confiance…
Que reste-t-il à explorer du concept d’intelligence artificielle ? Pour qui s’intéresse à la science-fiction, au cinéma et ailleurs, la question semble avoir été exploitée hardiment durant ces 15 dernières années. De Matrix aux très récents The Machine et Her, en passant par l’incontournable AI. Intelligence Artificielle, les problématiques en découlant sont presque devenues des sentiers battus.
À vrai dire, on peut aisément remonter encore plus loin sans sortir des grands classiques, avec Terminator, Blade Runner, Alien ou encore Tron, sans même parler de l’âge d’or du cinéma de SF américain. Qu’est-ce qu’Alex Garland, talentueux scénariste de Sunshine et 28 Jours Plus Tard, peut bien apporter à l’équation en 2015 ?
Malheureusement, rien de particulièrement inédit. Le fait est, qu’en réalité, aucune des pirouettes apparentes du scénario d’Ex Machina ne viendra défier le spectateur aguerri sur le terrain de l’anticipation. Lorsque Caleb, jeune programmeur interprété par un Domhnall Gleeson irréprochable, découvre la raison de son séjour dans les montagnes reculées, et qu’il engage la conversation avec l’IA qu’il est censé tester, le scénario se déroule de façon si logique et familière que l’on pourrait croire qu’il s’est écrit lui-même. Peut-être est-ce là sa principale force finalement, car l’on constate bien trop souvent que les scénaristes se perdent en sous-intrigues mollassonnes alors que leur sujet ne demande qu’à être approfondi.
Garland, lui, sait garder le cap : son film est là pour atteindre un objectif précis, et il ne s’en détournera jamais, faisant preuve d’une précision et d’une concision bien trop rare de nos jours. Preuve en est de la structure même de son récit, habité de quatre personnages aux interactions riches, directes, et surtout toutes importantes pour le déroulement de l’intrigue.
Si l’on peut relever un aspect remarquable dans Ex Machina, c’est que le cinéaste nourrit son film de dialogues extrêmement nombreux, en réussissant cependant à maintenir une certaine prépondérance visuelle au niveau narratif, transformant une œuvre potentiellement bavarde en proposition science-fictionnelle attachante, aux saveurs contemplatives. Il est aidé en cela par la photographie sublime de Rob Hardy, qui signe là son travail le plus soigné, se hissant de l’artisan efficace à l’artiste démiurge.
Garland tire pleinement parti des images envoûtantes captées par son directeur de la photo, et fait preuve d’une sobriété de réalisation et d’une précision de cadrage incontestables, évitant toute esbroufe au profit d’un récit puissant, s’en tenant à l’essentiel. Sa réalisation lui permet, en outre, de transformer l’essai sur le terrain du techno-thriller tendu sur le fil du rasoir, à défaut de véritablement explorer les objets de son étude supposée, et notamment grâce à quelques scènes ambiguës dans lesquelles l’équilibre du pouvoir entre personnages change constamment.
Le film est, par ailleurs, porté par trois acteurs de talent. Gleeson, déjà mentionné, incarne à la perfection l’outsider un peu paumé mais critique de ses découvertes. Ancre d’attache pour le public, il donne la réplique à l’extravagant génie de la cybernétique Nathan, interprété par un Oscar Isaac en très grande forme, capable de laisser planer le doute sur la portée ou la sincérité de chacun de ses faits et gestes. En face d’eux, la jeune Alicia Vikander est glaciale de perfection en androïde intelligente et sexuée.
La sexualité est d’ailleurs un élément important de l’histoire, étant évoqué à plusieurs reprises par les personnages, qui jalonnent alors, pour certains, les frontières éthiques de la robosexualité, tandis que d’autres embrassent cette évolution à bras ouverts. Si la problématique est assez fascinante, le film ne tient hélas pas la comparaison, à ce niveau, avec l’excellente série suédoise Real Humans, qui explorait ce sujet en long, en large et en travers, épuisant quasiment le concept. Ex Machina se focalise notamment sur le rôle de la sexualité dans le développement de la conscience de soi, et de l’utilisation de cette énergie sexuelle à des fins personnelles. Le sujet, inabordable dans un film tout public, semble toutefois être effleuré, laissant un arrière-goût d’inachevé en fin de métrage.
L’autre axe de réflexion proposé par le film s’articule autour de la reconceptualisation du test de Turing, visant à tester le niveau de conscience d’une IA. Normalement opéré en masquant les participants aux yeux du testeur, celui-ci doit discerner les sujets humains des sujets informatiques au fil de conversations impliquant des formes d’abstraction et d’interprétation difficilement abordables par un ordinateur. Ici, le défi linguistique est évacué, car considéré comme superflu, et transformé en évaluation comportementale visant à étudier les réactions d’une machine vis-à-vis de situations données. Une fois que le spectateur a saisi cela, cependant, les divers retournements de situations ponctuant le récit perdent toute forme de surprise, car représentant simplement un développement logique de la problématique.
Au final, Ex Machina est un film superbement bien fabriqué : sa réalisation, son production design, ses acteurs, sa bande son atmosphérique… tous ses éléments formels créent un ensemble homogène très plaisant à regarder. En substance, la première œuvre d’Alex Garland cinéaste prend des risques modérés, s’attaquant avec hésitation à des sujets ayant le vent en poupe, et ne demandant qu’à être portés au large d’horizons inconnus. Ça ne sera pas pour cette fois, mais c’est un début prometteur.
2 commentaire
par absinthe
Alex Garland a déjà fait ses armes en tant que scénariste, mais c’est surtout un grand écrivain : La plage (si le film est une grosse merde, le bouquin lui est excellent), Tesseract et le coma (qui sont 2 petits bijoux]
par Eric B
Ayant vu et revu tous les films sur le sujet, en remontant jusqu’à Metropolis, ce film m’a au contraire frappé par sa profondeur, très rare au cinéma, évoquant des questions de philosophie existentielle beaucoup plus élaborée (à travers les dialogues), y compris vs Real Humans qui lui se pose plutôt dans le champ sociologique. Avec ce film on franchi encore une marche
Une vraie claque, y compris visuellement