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Le Jury de Greta Gerwig du 77e Festival de Cannes a récompensé de la Palme d’Or Anora de Sean Baker et All We Imagine As Light (de Payal Kapadia) du Grand Prix. Miguel Gomes a eu le Prix de la Mise en Scène pour Grand Tour et Jesse Plemons celui du Meilleur Acteur pour le prochain Kind of Kindness. N’oublions pas Coralie Fargeat, Prix du Scénario pour The Substance. Ou encore Jacque Audiard.
Avec Jacques Audiard, on est habitué au changement d’univers. Mais fallait-il parier sur un film au Mexique dressant le portrait d’un boss de cartel violent désireux de s’incarner en tant que femme, le tout dans un format ultra-moderne de comédie musicale ? L’auteur des “Olympiades” ou “Frères Sisters” (pour ses derniers films) nous a déjà habitué à des incarnations diverses et variées qui peuvent déstabiliser, transformer ou renouveler son cinéma. Et avec cette idée en tête, “Emilia Perez” ne démérite pas, et le jury cannois ne s’y est pas trompé. Prix collectif d’interprétation féminine, et prix du jury.
“Emilia Perez” nous plonge dans un contexte d’ultra-violence, au Mexique, où les femmes résistent. Une jeune avocate plie l’échine pour son boss incompétent, un boss de cartel veut organiser sa transition de genre et laisser sa vie derrière lui, sa propre femme veut s’émanciper de son statut de mère pour vivre pleinement sa vie, des femmes recherchent les membres de leur famille disparus…
Audiard prend le parti d’en faire un film à consonance musical, pas vraiment comédie, pas vraiment chantant et dansant, mais organiquement vivant. On pense beaucoup à “Annette” de Leos Carax, qui se rapprochait toutefois plus du genre musical. Mis en musique justement par Camille et Clément Ducol, le film propose des dissertations chantées, comme autant de pensées intérieures qui viendrait illustrer les choix de ses protagonistes. Zoe Saldaña, Karla Sofía Gascón et Selena Gomez sont parfaites dans ce registre, à la fois muses et moteurs de leur propre destinée.
Pas vraiment film chorale, pas vraiment en ligne droite, “Emilia Perez” a tout du patchwork viscéral qui prend aux tripes, qui décide de ne pas traiter certaines choses, mais offre le regard d’un monde à plusieurs facettes. Comme s’il ne fallait pas toujours choisir de définition, on peut y être tour à tour un homme de pouvoir, puis une femme de caractère, puis un père aimant, une mère et une amante, une solitaire ou faire partie d’une troupe… Paradoxalement, tout cela est contenu par le destin. Celui de devoir retourner à ses origines, l’envie fondamentale de faire corps, de lier les vies tout en observant la fin inéluctable qui s’offre à nous.
Spectacle à part entière, “Emilia Perez” peut sembler incomplet, frustrant, partial. La caméra d’Audiard bouge beaucoup, s’immisce dans les espaces, se refuse à tout plan d’ensemble. On suit les protagonistes comme des matières vivantes qui évoluent, s’additionnent, se séparent. Finalement, c’est absolument vivant.
Emilia Perez, de Jacques Audiard – Sortie en salles le 28 août 2024