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Si Kristoffer Borgli avait piqué notre curiosité en 2017 avec DRIB, c’est véritablement avec Sick of Myself qu’il a confirmé son potentiel de franc-tireur et de cinéaste cocasse, bien plus piquant et pertinent à notre humble avis qu’un Ruben Östlund pour ne citer que lui. Quelle est donc notre surprise, alors que Sick of Myself est sorti seulement fin mai chez nous, de déjà voir son nouveau film sortir le 27 décembre avec Dream Scenario. Qui plus est sa première escapade américaine, et pas la moins prestigieuse, puisque le film est produit par Ari Aster (Hérédité, Midsommar, Beau is Afraid) via la société A24, et que le premier rôle est tenu ni plus ni moins que par le légendaire Nicolas Cage !
Et qu’on se rassure, Borgli reste maître à bord puisqu’il signe toujours le scénario, pour conter l’histoire d’un professeur à l’université qui se met soudainement à peupler les rêves de millions de gens, ce qui va vite avoir des conséquences délirantes…
Si Borgli délaisse un peu au premier abord la chronique sociale et l’étude de nos comportements déviants pour se confronter à un canevas ouvertement fantastique, tout ça reste évidemment un prétexte pour étudier les mêmes thématiques que dans ses précédents films, sauf qu’il prend un grand soin à poser son concept et à le faire grandir progressivement, pour voguer au passage d’un genre à un autre et mieux jongler entre les tonalités.
En premier lieu, Dream Scenario se présente donc comme une comédie, où ce monsieur tout-le-monde un peu loser va commencer à être dévisagé partout où il va, et finir par essayer de tirer profit de cette notoriété aussi nouvelle qu’étrange. Borgli joue plein pot la carte du décalage et trouve en Cage un acteur absolument parfait pour ses besoins, ce bon vieux Nicolas affichant tout d’abord une gueule géniale dans le film, avec son crâne dégarni et son regard perdu, lui qui est capable de dire une chose et d’exprimer son contraire avec une aisance sidérante, sans perdre le naturel en chemin, tout en étant bien loin de l’image de cow-boy fou qui lui colle à la peau dans la vraie vie.
A vrai dire, la rencontre Borgli/Cage semble toute trouvée et d’une évidence folle, tant les deux se jouent l’un de l’autre et semblent s’éclater, Cage ayant un terrain de jeu vaste ici, où il peut exprimer une large palette d’expressions et d’émotions. Typiquement, Borgli a compris à quel point cet acteur hors-normes était capable d’être attachant une seconde, et inquiétant la suivante, sans changer quoi que ce soit à l’écran, et les deux s’en donnent à cœur joie.
Bien loin d’une bouffonnerie surannée comme Un talent en or massif, ou d’un exercice de surjeu à la Renfield, Cage trouve ici un rôle à la mesure de son immense talent, et Dream Scenario nous rappelle avec le récent Pig combien il est un acteur unique, toujours capable de nous surprendre sans tomber dans des gimmicks memifiés par internet.
Et il fallait bien tout ça pour voguer au travers du scénario dense d’un tel film, qui se fait tout aussi caméléon en explorant les ramifications du succès surprise et des méandres de l’inconscient collectif.
Si Dream Scenario part d’un postulat improbable, il l’utilise pour parler de choses bien concrètes, l’idée étant ici que tout le monde se fascine pour quelqu’un dont ils ne connaissent rien, et sur lequel ils projettent leurs idées reçues via leur inconscient, ce qui n’a évidemment rien de tangible puisque ce que fait le personnage de Cage dans leurs rêves n’a rien à voir avec qui il est en réalité.
Des inconnus l’approchent donc avec des idées zinzins en tête, et le script de Borgli s’attarde à explorer le vaste spectre des possibilités d’un tel postulat, s’enfonçant petit à petit dans quelque chose de plus sombre, parfois d’éminemment référencé (on ne dira pas par quoi pour ne pas spoiler, mais le film assume totalement l’une de ses influences majeures avec un hommage plutôt rigolo et en tout cas très honnête) mais toujours du point de vue de ce type lambda, qui occupe soudain l’esprit de la planète entière. Et de voir comment celle-ci essaie d’en tirer profit ou de le rejeter, en abordant plusieurs thèmes sur la question, en ayant à cœur d’observer comment le genre humain reste dominé et soumis aux idées et sensations de son esprit, devant toute rationalité.
C’est là que le film prend tout son essor et son intérêt, au-delà de ses scènes gênantes ou drôles, inquiétantes ou touchantes : sur ce qu’il montre de nous en tant qu’animal régit avant tout par ses instincts. Evidemment, Borgli garde en ligne de mire les réseaux sociaux et leur impact considérable sur notre vie, parlant aussi bien d’effets de meute, de cancel culture, de la toute puissance du ressenti sur le réel, et de nos opinions toutes faites face aux faits.
Plonger Cage face à un tel bordel était une idée réjouissante, et il en tire un film étrange, foutraque, joueur sur sa mise en scène, qui tronque ses points de vue, trouve les petits détails drôles du quotidien, l’absurdité dans l’ordinaire et l’échec de la raison face à la passion.
Dream Scenario en ressort comme étant une formidable anatomie de l’inconscient collectif, une œuvre pertinente sur la puissance des rêves et les passions qu’elle génère, tout en étant une comédie solide et un des meilleurs rôles de Nicolas Cage. Et tout ça, c’est bien réel.
Dream Scenario, de Kristoffer Borgli – Sortie en salles le 27 décembre 2023