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Cette année, plus que jamais, le cinéma Indien montre qu’il est devenu suffisamment important pour dépasser ses vastes frontières et s’adresser à un public mondial, comme l’a prouvé le flamboyant RRR en début d’année, confirmant l’importance du réalisateur S.S Rajamouli, qui aura d’ailleurs bientôt le droit à un focus spécial au festival américain Beyond Fest.
Et quitte à fricoter avec les occidentaux, autant essayer de les prendre à leur propre jeu, en faisant par exemple un univers cinématographique dédié !
Bollywood coupe ainsi l’herbe sous le pied de Marvel Studios avec Brahmāstra : Part One – Shiva, première pierre d’une trilogie censée installer «l’Astraverse », où les super héros sont ici remplacés par des avatars de divinités hindous, le Brahmā du titre renvoyant au dieu créateur de l’hindouisme, et le astra à des armes super naturelles canalisant les énergies des éléments comme le feu, l’eau, l’air…
Et si vous êtes un peu perdus devant ces concepts exotiques, le film vous ramènera à vos bonnes habitudes dès les logos de studios, puisqu’on se retrouve face à celui de « Star Studio », qui se joue littéralement sur le design et la musique de la 20th Century Fox !
Ça peut surprendre, et c’est en réalité dû au rachat de la Fox par Disney, qui distribue le film mondialement, preuve s’il en est du statut de blockbuster de cette production, d’autant que Brahmāstra a eu le droit à une sortie mondiale avec notamment des séances de part et d’autre en France.
Un désir de brouiller les frontières qui se confirme dans une introduction animée avec voix-off qui nous raconte les origines de cette histoire, à savoir la création du fameux Brahmāstra du titre (en gros une force divine capable de tout détruire), des guerriers destinés à le protéger toute leur vie et des armes qui vont avec, le tout ayant traversé les époques jusqu’à aujourd’hui.
L’influence de Peter Jackson et de son introduction démentielle du Seigneur des Anneaux est toujours bien présente, mais avec une forme nettement moins probante, ce que le film confirmera sur le champ avec une scène d’action plutôt rigolote dans son idée scénique principale (un personnage qui a les pouvoirs et l’agilité d’un singe tente d’échapper à des assassins), mais qui donne aussi dans un sur-découpage et des plans courts qui nous rappelle l’une des plus fâcheuses tendances d’Hollywood actuellement, pour un résultat qui peine à être totalement satisfaisant à l’écran. Tout de suite, le doute émerge.
Ne retrouverions-nous pas nos mauvaises habitudes hollywoodiennes un peu trop vite justement ?
Brahmāstra n’est-il qu’un ersatz de ses modèles américains sans la folie indienne que l’on aime tant ?
Il suffira de la scène suivante pour en avoir le cœur net : la présentation du héros Shiva, modeste homme de la rue qui débarque dans une fête immense et se met immédiatement à danser avec des tonnes de figurants, tous évidemment ultra synchronisés autour du bonhomme.
Dans un titre pop bien mielleux, il nous raconte qu’il chante et danse la vie comme dirait l’autre, avec des paroles répétitives et un frénétisme visuel proche du clip vidéo, les plans s’enchaînant dans tous les sens, pourvu qu’on ait la scène sous tous les angles, avec le plus de décors possibles, passant de la fête traditionnelle avec des statues hindous partout à une immense soirée en boîte de nuit dont notre héros est le DJ !
Au beau milieu de ce bazar, le voilà qui fixe au beau milieu de la foule une femme qu’il voit au ralenti, avec des violons dégoulinants qui débarquent au galop, et on part alors pour une petite séance de stalking comme sait si bien le faire le cinéma indien, qui, on le dit à chaque fois, ne passe pas le test #MeToo dans ses mœurs actuelles.
Pas de doute : on est bien à Bollywood, et Brahmāstra part alors pour une heure de romance cul-cul la praline supplément chantilly, avec son héros ayant grandi dans la rue qui va apprendre la vie à la jeune femme riche dont il s’est épris, cette dernière le suivant éperdument malgré la lourdeur de l’approche.
Visite d’orphelinat où l’on rit et danse avec les enfants, promenade sous les mille lumières de la ville et les feux d’artifices, notre duo va se tourner autour pendant des plombes, alors qu’en fond s’installe l’intrigue fantastique du film, le héros étant pris de visions brusques et découvrant alors ses pouvoirs, sa nature et tout le tatouin.
Si tout ça a l’air quelque peu long et fastidieux, ça l’est quelque peu malheureusement, traînant la patte en chantant la beauté et la douceur de l’amour pour mieux se dire « I Love You » 30 minutes plus tard en étant presque surpris (?!!). Clairement, nos héros se sont pas des génies, et l’importance mise autour de cette romance est quelque peu disproportionnée pour en arriver à un deuxième acte trèèèèès explicatif, où notre duo va rencontrer le Nick Fury / Charles Xavier local et comprendre qu’ils sont au cœur d’enjeux plus grands avec d’autres personnages, qui iront jusqu’à se présenter dans le texte comme les Avengers locaux.
On ne va pas raconter tout le film, mais son principal souci réside dans l’absence d’équilibre entre ses différents ingrédients, à savoir sa romance Bollywoodienne, l’installation de son background fantastique et ses velléités de grand spectacle à tendance super-héroïque, l’histoire bombardant toute une série de seconds rôles eux aussi dotés de pouvoirs et censés accompagner le héros sans installer suffisamment les dits-personnages pour qu’ils aient une réelle importance, ou même qu’on les identifie clairement ! En vrai, beaucoup de tropes du modèle marvellien sont là, comme la volonté de caser du caméo pour faire plaisir en jouant sur des acteurs superstars qui passent une tête de temps en temps, à l’instar de Shah Rukh Khan, vu dans Devdas.
Spoiler : ça marche, et la salle ne s’est pas gênée pour accueillir le bonhomme dans une grande exclamation de cris et de joie !
Sauf que derrière cette astuce que le film va répéter sporadiquement, l’histoire et l’exploitation de l’imaginaire mis en place restent très en surface, le film promettant énormément dans son intro, et offrant assez peu au final, tant il exploite les codes du genre mécaniquement, avec par exemple une méchante très méchante dont la tenue et les pouvoirs semblent tout droit piqués à la Sorcière Rouge chez Marvel, y compris dans les effets spéciaux tout en fumées et lumières rouges. Il y a bien ça et là des choses excitantes, comme un homme qui peut déployer un énorme spectre de taureau lumineux pour coller des patates de l’espace, mais il ne l’exploitera qu’une seule fois, à l’instar de la première scène d’action où le personnage voit la silhouette immense d’un dieu singe derrière lui lorsqu’il fait un énorme bond dans les airs.
Comme Marvel, Brahmāstra semble meilleur à l’idée de coller quelques artworks cools à l’écran plutôt qu’à les travailler en mouvement, et malgré un imaginaire rafraîchissant pour nous occidentaux, et qui plus est ultra coloré à l’inverse de ce que propose globalement Hollywood, le tout retombe fréquemment à plat, comme en témoigne un climax qui déchaîne les fonds verts et les CGI dans tous les sens sans vraiment procurer quelque chose d’inédit ou formellement éclatant.
C’est bien là que se situe la déception globale : quand bien même elle pourrait revigorer un genre qui tourne en rond depuis un moment, cette superproduction passe en réalité plus de temps à en citer les éléments, n’arrivant jamais à offrir une scène qu’on ait pas déjà vu ailleurs en mieux, le tout avec des personnages clichés, vite désincarnés dans leur amour soi-disant indestructible, énièmes victimes de tropes mille fois éculés, pour mieux les placarder sur une intrigue manichéenne qui frôle souvent avec la parodie. Le caractère indien du film lui apporte un peu d’exotisme pour faire passer la pilule, et il y a de quoi en rire gentiment pendant une bonne partie, avec ses chansons (qui se ressemblent un peu toutes), sa candeur forcée sentant bon la guimauve, le charisme un peu relatif de ses personnages, et une production globalement pétée de tunes qui a le mérite de le montrer à l’écran. Mais le tout peine sérieusement à meubler ses trop longues 2h45, et jamais on n’y retrouve la mise en scène herculéenne, la folie des grandeurs et ce refus de l’impossible que l’on aime tant dans certaines productions locales, que ce soit chez S.S Rajamouli ou dans d’autres films récents comme Sye Raa Narasimha Reddy.
Quitte à comparer avec les américains, on peut aussi partir de l’autre côté du globe, bien moins loin pour le coup, tant l’histoire de ce héros possédant en lui sans le savoir des pouvoirs divins liés au feu rappelle la figure chinoise de Nezha, revigorée récemment avec une énergie sidérante dans l’excellent film d’animation New Gods : Nezha Reborn.
Brahmāstra aurait pu être de cette trempe-là, et nous divertir à pleine balle avec un style propre et un goût pour le gigantisme galvanisant, en posant au passage les pierres d’une saga alléchante et singulière.
Sans être honteux, le résultat est plus proche de la tarte à la crème un peu écœurante, qui cache mal son caractère mercantile et dont la facture n’est simplement pas à la hauteur de l’évènement vendu.
Brahmāstra, d’Ayan Mukherjee – Sortie en salles le 9 septembre 2022