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Critique : Black Sea
Un an après Maintenant c’est ma Vie, Kevin McDonald revient une nouvelle fois sur les écrans.
Après avoir film des Romains au mur d’Hadrien et une romance sur fond de fin du monde, il propose cette fois un film de sous-marin, genre bien trop rare s’il en est, avec le toujours très bon Jude Law dans le rôle titre.
Et si Black Sea n’a pas de date de sortie française, il est néanmoins visible sur les écrans d’outre-Manche.
LA CRITIQUE
Black Sea – pas de date de sortie en France
Réalisé par Kevin MacDonald
Avec Jude Law, Ben Mendelsohn, Tobias Menzies
Un pilote de sous-marin chevronné se retrouve sans emploi du jour au lendemain, alors qu’il avait tout sacrifié pour son métier. Certains de ses amis et lui décident alors de suivre une rumeur selon laquelle des coffres d’or jadis détenus par les nazis seraient enfouis au fond de la mer noire…
Après quelques films s’étant fait remarqués, et notamment un Aigle de la 9e légion porté par une bromance bien emballée, le réalisateur britannique aux talents polyvalents revient cette fois avec un genre assez rare : le film de sous-marin. Si le relativement récent Phantom (avec Ed Harris et David Duchovny) n’aura marqué personne, cette nouvelle mouture de MacDonald pourrait bien s’imposer comme l’une des meilleures de sa catégorie.
Dès son exposition, l’aventure sous-marine trace les pôles d’interaction de son récit, qui restera inlassablement tiraillé entre plusieurs forces motrices. La première relève de l’opposition évidente entre les deux factions de l’équipage, composé d’hommes russes et d’hommes britanniques, chacun remplissant un rôle essentiel au bon fonctionnement du monstre de métal immergé. Par ailleurs, les marins sont tous, sans exception, des représentants de la classe prolétaire, reconnus en surface par leur accent distinctif, et plus profondément par leurs valeurs et leur méfiance vis-à-vis d’un groupe constamment appelé « eux », ou en d’autres termes, les banquiers, les riches.
Cette double opposition permet au cinéaste de créer une tension constante, et ainsi de proposer de nombreuses crises liées les unes aux autres, et motivant l’accélération incoercible du récit. Ces crises naissent également, sans surprise, de problèmes techniques, de sabotages, d’erreurs humaines, et ainsi de suite. À vrai dire, plus l’histoire évolue et le nombre de survivants se dégrade, plus on se demande véritablement si le réalisateur a jamais eu la moindre intention d’offrir à tous ses personnages une résolution cathartique.

Cela s’explique un peu par le nom du scénariste : Dennis Kelly. Ce dernier est en effet connu pour avoir créé et co-écrit l’immense série britannique Utopia (hélas annulée avant de trouver une conclusion), mais dont la brutalité psychologique n’avait d’égale que la puissance de ses images. On retrouve dans Black Sea une folie qui a partiellement caractérisé ladite série, et cette volonté de continuer à lutter dans des situations désespérées. Les raisons ayant conduit à celles-ci sont d’ailleurs le fruit de motivations compréhensibles mais souvent douteuses, allant du désespoir social à l’avarice, en passant par la jalousie et la xénophobie.
Surtout, les personnages ont l’air d’être enfermés, de par leurs circonstances malheureuses, dans des schémas de pensée manquant de nuance, ce qui les conduit à agir et à juger sur un modèle manichéen. Pour leur défense, la grande conspiration, révélée aux deux-tiers du film, invoque les mêmes principes, non sans donner au métrage une saveur quelque peu cynique, voire nihiliste par moments.
Pour mettre en forme le tableau de Kelly, MacDonald compose avec plusieurs codes, passant tour à tour du film de casse sous-marin, au huit-clos nerveux, pour finir en survival asphyxiant. Sa mise en scène joue sur plusieurs niveaux, d’abord avec une caméra portée proche des personnages, et en particulier du protagoniste incarné par un Jude Law possédé, pour signifier leur emprise sur l’environnement ambiant. A contrario, c’est lorsqu’ils sont le plus démuni, comme lors d’un plan paroxystique lors du climax, que le trépied vient stabiliser leur univers pour les y noyer impitoyablement. C’est également dans ces plans que l’utilisation de l’éclairage anxiogène du sous-marin vient conférer à l’image une identité rappelant, dans sa maîtrise formelle, les plus grandes heures du genre, mené par La Poursuite d’Octobre Rouge.
Au milieu des péripéties constantes, Jude Law fournit donc un pilier solide, donnait chair à un homme qui porte fièrement les cicatrices de la vie et son ambition d’offrir à ses compères une sortie grandiose. Au final, même si quelques flashbacks nous offrent un coup d’œil vers son drame familial, c’est sa puissance fédératrice et jusqu’au-boutiste qui en fait un personnage si charismatique. Il est par ailleurs entouré d’acteurs compétents, proposant toujours un minimum de variation sur leur gamme de jeu, allant d’une mesure de menace ou de confiance à l’autre.

Si le thriller nous tient en haleine sans mal sur toute sa durée, il manque toutefois au film un point de vue raccordé à un personnage spécifique pour réellement donner du poids à la charge émotionnelle sous-jacente du récit. En l’état, le protagoniste écrase très clairement le jeune homme inexpérimenté découvrant cet univers pour la première fois, alors que ce dernier aurait pu donner un ton bien plus dramatique au métrage, même si la poésie pessimiste d’arrière-plan s’en serait peut-être trouvée amoindrie.
Autre ombre possible au tableau, la musique très mécanique d’Ilan Eshkeri, qui ne brille pour ainsi dire jamais et se contente d’accompagner le montage précis du film lors des montées de tension. Son score n’est bien sûr pas déshonorant, mais il n’atteint jamais le niveau de qualité des images, qui auraient sans doute pu s’élever encore plus haut avec une partition plus audacieuse.
Que retirer finalement de Black Sea, au-delà du fait qu’il s’agisse d’une œuvre solide, habilement conçue dans l’ensemble ? Sa vision désenchantée de la condition désormais dévolue aux aventuriers sous-marins fait écho au genre lui-même, pour offrir un film qui rappelle à plusieurs égards une mouvance crépusculaire ayant déjà affecté d’autres genres. Et cette grille de lecture n’offre pas la conclusion la plus attendue, ni même la plus optimiste, immergeant ses figures dans les ténèbres et le froid inéluctables des fonds marins pour découvrir leur point de rupture.