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Zack Snyder a commencé sa carrière avec le fameux L’Armée des Morts et son retour au genre nous faisait espérer : après la débâcle Justice League et son horrible version longue, le réalisateur allait-il retrouver son mojo d’antan en revenant à ses premiers amours ? Army of the Dead est disponible sur Netflix ce 21 mai.
LA CRITIQUE
Pendant que les blockbusters U.S subissent de plein fouet le Covid avec retards en chaîne et tournages compliqués, Zack Snyder semble être passé entre les mailles du filet pour faire de 2021 l’année de son grand retour après la gestation difficile de Justice League.
Revenu en fanfare sur le devant de la scène avec son director’s cut de 4 heures sorti après des années d’acharnement des fans sur les réseaux sociaux, le réalisateur profite de cet élan populaire et de son aura renforcée de « cinéaste visionnaire » pour présenter Army of the Dead, un projet un temps proposé à Warner en vain que Netflix s’est fait un plaisir de produire.
Et l’enjeu est de taille, puisque le film doit lancer son petit univers à lui, avec déjà un prequel et une série dans les cartons pour enrichir prochainement son univers, tout en signant le retour de son créateur aux zombies presque 20 ans après son premier film…
Ayant bénéficié de la sacro-sainte carte blanche que Netflix accorde à ses projets, voilà donc l’occasion pour Snyder de régler ses comptes avec l’industrie après des années de jonglage avec les producteurs de la Warner et le suicide de sa fille, en pouvant laisser libre cours à ses envies.
Snyder brisé, Snyder libéré, mais Snyder de qualité ?
Sur le papier, Army of the Dead propose un pitch simple qui transpire le pop-corn fun et décomplexé, avec un Las Vegas en quarantaine suite à une infection de morts-vivants dans la ville.
Sauf que les coffres des casinos y sont encore plein, et un homme va monter une équipe de têtes brûlées pour s’infiltrer dans la cité du vice et taper le jackpot avant que le gouvernement n’envoie une ogive nucléaire pour nettoyer les lieux ! Un croisement entre le film de braquage et les zombies qui n’est pas totalement nouveau après Peninsula, mais qui laissait augurer un spectacle joyeusement foutraque, d’autant que le sous-texte immédiat de Las Vegas habité par des êtres dépourvus d’intelligence coule de source dans cet endroit hors du temps où tout est fait pour titiller les bas-instincts de l’être humain.
Sauf que Zack Snyder n’a jamais été un mec très drôle, et si vous vouliez de l’exploitation bourrine et sans prise de tête à l’image de son Dawn of the Dead, vous risquez de vite déchanter.
Army of the Dead se prend très au sérieux, et entend avant tout raconter l’histoire de laissés-pour-compte de l’Amérique qui tente une nouvelle fois leur chance pour s’offrir une vie meilleure.
La composition de l’équipe rappelle presque en cela la logique d’un Fast & Furious, avec un casting hétéroclite et pluriculturel où des gangsters latinos croisent une mercenaire française, un ingénieur allemand, un afro-américain ou encore un patron japonais.
Le cœur de tout ça, c’est évidemment le personnage de Dave Bautista, sempiternel soldat qui en a vu des vertes et des pas mûres, en pleine tentative de reconnexion avec sa fille qui ne veut plus entendre parler de lui, et qui va se retrouver embarquée dans l’opération par un concours de circonstance. Un père qui tente de s’excuser et de renouer avec sa fille au milieu de l’apocalypse tout en étant chef des opérations, ou la métaphore assez évidente d’un Snyder endeuillé qui tente toujours de comprendre ce qui s’est passé dans le drame vécu en 2017 en pleine production de Justice League, dont sa version était d’ailleurs dédiée à sa fille défunte. L’intention est claire et louable évidemment, mais encore aurait-il fallu qu’elle soit un minimum incarnée à l’écran, avec la pauvre Ella Purnell qui fait ce qu’elle peut dans le rôle de l’adulescente ronchonne face à un Dave Bautista monolithique, qui débite certains de ses dialogues tel un robot inexpressif.
Il faut dire aussi que le premier problème concerne l’écriture de ce gang et de leurs échanges tant on est sur un service minimum, où chacun remplit un rôle fonction qui peine à s’épaissir malgré les 2h30 (!!) du bazar. La palme revient à Tig Notaro, la pilote de l’équipe, qui passe littéralement la majeure partie de ses scènes sur un toit d’immeuble à essayer de faire démarrer un hélicoptère en balançant trois injures. On peut aussi avoir une pensée émue pour Theo Rossi, cloisonné à son rôle de bad boy couillon depuis Sons of Anarchy et qui ici vient rabâcher mécaniquement la même partition.
Si les stéréotypes vus et revus qui composent la troupe peinent à dépasser leur statut, c’est aussi parce que leurs interactions tiennent plus souvent de la bêtise pure qu’autre chose.
C’est simple : les personnages prennent souvent les décisions les plus connes possibles et font à peu près n’importe quoi, comme lorsque l’un d’eux est en prise avec des zombies et que les autres, présents à peine 5 mètres plus loin, ne font rien et semblent regarder la scène pendant des plombes.
Ce genre d’aberration scénographique et narrative se reproduit à plusieurs reprises durant le film et peut vite s’avérer consternante, d’autant que tous les canevas scénaristiques hyper rabattus du survival ou de l’actionner en terrain hostile sont alignés les uns après les autres, sans vergogne, entre le membre inconnu bombardé dans l’équipe au dernier moment qui va tout faire pour les trahir, le changement impromptu de compte à rebours ou la manière avec laquelle chaque situation va évidemment dégénérer. Comme si les auteurs avaient mis un point d’honneur à enchaîner les clichés sans les revigorer ou les détourner, dans un récit prévisible à chaque scène qui a bien du mal par ailleurs à s’avérer excitant sur sa partie braquage étant donné le contexte qui exclut d’entrée de jeu les plans tarabiscotés pour réussir un tour de passe-passe sous les yeux des propriétaires des lieux.
Et en ce qui concerne les squatteurs, il faut bien avouer qu’ils sont logés à la même enseigne.
La plus grosse déception concernant Army of the Dead, c’est son incapacité à répondre à sa promesse originelle, à savoir mettre Las Vegas sans dessus-dessous.
Cette fameuse ville est en soit un terrain de jeu génial pour un jeu de massacre, avec ses casinos aux univers, styles et architectures différentes, ses parcs d’attractions, ses salles de spectacles ou de strip-tease immenses, ses centres-commerciaux, et à peu près toutes les âneries trouvées par l’humain pour flatter son égo le plus bassement possible. On pouvait y fantasmer facilement une grande variété dans la façon de tuer les zombies, dans les décors parcourus, dans les épreuves traversées et dans les rencontres faites, la faune de Vegas n’étant pas des plus timides.
Or cette ville mythique n’est pour ainsi dire pas exploitée du tout.
Entre une place désaffectée extérieure à laquelle les personnages vont et viennent à plusieurs reprises, notamment quand ils rencontrent la boss des morts-vivants, et le fameux hôtel visé dans lequel ils passent une majeure partie du film devant la salle des coffres, soit un tunnel tout gris, toute la densité et l’excentricité des lieux n’est pas à l’écran.
Snyder oblige, on a bien le droit à un générique d’intro sur la fameuse infection de la ville, avec trois danseuses de cabaret en petite tenue sautant sur un client grassouillet ou un sosie d’Elvis zombifié au milieu de la foule pour symboliser 2 secondes l’ambiance si particulière du théâtre de son film.
Mais c’est à peu près tout, et que ce soit dans les zombies croisés durant leur aventure, dans les situations traversées ou dans les outils mis à disposition pour déglinguer du zombie, Army of the Dead se fait désespérément pauvre et fait reposer sa poussière d’originalité quasi uniquement sur un tigre zombifié, déjà survendu dans sa promo, et qui ne fait pas beaucoup plus dans le film.
C’est surprenant de la part d’un réalisateur connu pour jouer la carte de la symbolique bien appuyée, mais il s’avère tristement timide ici, tout en voulant malgré tout avoir un discours politique qui passe par quelques répliques, par exemple lorsque le héros signale à un de ses collègues qu’ils sont sûrement plus en liberté dans Vegas qu’à l’extérieur vu que la ville ne fait plus partie des Etats-Unis.
Le film remplit à vrai dire scrupuleusement son cahier des charges d’œuvre anti-Trump bien dans l’ère du temps Hollywoodien, avec des femmes fortes qui tentent de s’émanciper de certains hommes un peu trop collants, ou l’image d’un camp de réfugiés collé à Vegas et géré sans pitié par une administration qui semble s’en foutre royalement.
Ça pourrait donner une certaine densité au film, mais son traitement scénaristique où tous les personnages sont des boulets finis achèvent ces velléités tant il est bien difficile de s’attacher à qui que ce soit dans ce bazar, sans même parler du traitement réservé à certains personnages à qui les scénaristes tentent de donner de l’épaisseur juste avant de s’en débarrasser…
À chaque fois, c’est trop tard, même si bien essayé.
La question finale, et primordial quand il est question de ce cher Zack, reste l’aspect visuel de la chose tant ses défenseurs comme ses détracteurs en reviennent toujours à la patte du cinéaste.
Il opère ici un changement majeur dans sa filmographie puisqu’il est lui-même directeur de la photographie pour la première fois de sa carrière, même s’il se permet un clin d’œil à son habituel collaborateur Larry Fong. De son propre aveu en interview, c’était une envie de longue date, et même s’il voulait sauter le pas pour un autre projet, Army of the Dead lui en a donné l’occasion alors qu’il expérimentait de son côté sur des objectifs à ouverture fixe et totale, qui ont tendance à mettre du flou très vite en arrière-plan. Résultat des courses : cette technique a été privilégiée sur la majorité du film, avec un éclairage le plus naturel possible, et l’esthétique en question a sans doute été renforcée en post-prod tant ces flous surnagent à tout va, ne laissant pas profiter du décor et visant à créer un effet claustrophobe en enfermant les personnages dans le cadre, et en les séparant ainsi d’un plan à l’autre. L’absence totale de peur devant le film ne semble pas aller de paire avec ce projet initial, et même si on adhère à ces choix graphiques, il faut malgré tout passer outre une facture globalement étrangement cheap.
Malgré ses 90 millions de dollars de budget, Army of the Dead a souvent des allures de petite série B d’horreur, de celles qui pullulent dans les festivals de cinéma de genre.
Cette impression, d’abord portée par une image assez fade au final, est renforcée par l’aspect avare du film, son nombre incompréhensiblement faible de décors et son aspect presque huit-clos par moment. Mais elle l’est aussi par la facture des effets spéciaux, tous affublés d’un aspect un peu « bloom » ou flou qui appuie le caractère factice de l’ensemble, comme si le choix avait été fait délibérément de montrer que tout ça est faux. Et comme le maquillage global des zombies est le plus banal qui soit, que le fameux générique à la Snyder se coltine une police de caractère basique dans un violet criard placardée vulgairement en plein écran et qu’on a le droit aux habituelles incrustations sur fonds verts foireuses de temps à autre, il est bien difficile de comprendre où est passé tout ce budget. A part peut-être dans la musique, où Snyder nous refait le coup des multiples reprises de standards rock, allant évidemment d’Elvis (Viva Las Vegas !) à Creedence Clearwater Revival, avec la délicatesse légendaire qui le caractérise, en témoigne la conclusion du film sur « Zombie » des Cranberries. Vous l’avez ?
Alors y a-t-il encore quelque chose à tirer de ces 2h30 de braquage zombie ?
Éventuellement un peu de gore, mais sans grande imagination, répétant jusqu’à l’ennui des head shots numériques et offrant grand maximum deux mises à mort rigolotes, par un Snyder qui finit par se citer lui-même, nous refaisant le coup de la femme zombie enceinte.
Avec sa durée massue et un rythme balourd sous couvert d’être « réaliste », c’est une vraie torpeur morte-vivante que provoque ce très long-métrage qui a oublié d’être fun, qui se prend mortellement au sérieux sans jamais donner les bagages suffisants à ses pantins de personnages pour être à la hauteur, et qui échoue surtout à offrir un spectacle décent et mémorable, d’autant plus vu son postulat de départ alléchant et son budget.
A l’image de sa photographie délavée et terne, de ses losers crétins, de ses décors ultra limités et de ses reprises musicales souvent malheureuses, Army of the Dead semble bel et bien être le fruit d’un metteur en scène aussi fatigué que ses créatures.
Army of the Dead, de Zack Snyder – Disponible le 21 mai 2021 sur Netflix