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Ahlala Michael Bay.
Plus qu’un cinéaste, un poème à lui tout seul. On a beau l’adorer ou le détester, le temps marque de plus en plus l’importance de ce zinzin de l’image qui tabasse, très tôt érigé en étendard absolu du mauvais goût américain, de la toute puissance du fric sur l’art, de l’asservissement d’Hollywood à l’effet sur la matière. Car plus que ses réalisations, c’est leur influence qui ne cesse de prendre de l’importance, en témoigne la saga Fast & Furious qui court de plus en plus après le style Bay sans jamais en avoir la folie, et tout un tas de copycats qui s’y sont essayés en vain.
Et alors qu’il est à plus de 25 ans de carrière, ce bon vieux Michael reste fidèle à lui-même.
Il a lancé deux franchises au cinéma, s’est essayé au drame à Oscars, est passé par Netflix, et le revoilà avec un film d’action anachronique au possible, au pitch proche du high-concept comme on les adorait dans les années 90, tourné début 2021 en pleine pandémie dans un Los Angeles encore confiné. Est-ce que le Covid allait empêcher Michael de tout faire péter ? Évidemment non.
Inspiré d’un film danois du même nom sorti en 2005, Ambulance part d’un braquage commis par deux frères qui ne se passe évidemment pas DU TOUT comme prévu.
Repérés quasiment sur le coup, l’opération tourne à la fusillade massive, et ils se retrouvent à dérober une ambulance avec une secouriste à son bord pour s’échapper, ainsi qu’un flic sur le brancard en mauvaise posture. Une combinaison bien foireuse qui va provoquer une énorme course-poursuite à travers toute la cité des anges, les flics voulant récupérer leur collègue intact tandis que les bandits veulent mettre les voiles coûte que coûte.
On connait évidemment le style Bay depuis des lustres, et Ambulance est un véhicule tout trouvé pour une nouvelle démonstration de ce dernier.
Montage super rapide, plans agités dans tous les sens et chargés au bulldozer, action frénétique où tout pète jusqu’à l’absurde : pas de doute, même à 57 balais, Bay ne change pas d’un iota sur la forme. Enfin presque, puisque son style trouve un nouveau joujou, à savoir une caméra accrochée à un drone qu’il bombarde dans l’action à toute berzingue, histoire d’avoir des plans encore plus rapides qu’à l’accoutumée, capable de vriller en l’air au sommet d’un building pour le redescendre en flèche, ou d’accompagner une fois de plus la frénésie de l’action.
Un ajout à l’image du film, à savoir foutraque, puisqu’on a souvent l’impression que les plans sont coupés de manière très sèche, comme si on avait pas le droit de les prendre du début à la fin tant leur grande vitesse semble coupée dans son élan, donnant juste des pics d’adrénaline supplémentaires au milieu de bordel ambiant.
Et ça marche plutôt bien, parfois même du feu de dieu, à l’instar d’un plan surréaliste où la caméra passe sous une caisse en plein vol plané pour aller s’intéresser à des véhicules de police qui avancent pied au plancher juste derrière.
Une vélocité extrême qui reflète à merveille tout le projet de mise en scène du film, qui fait fi de toute notion de spatialisation dans les scènes ET dans sa trame pour juste confiner à cette idée d’ambulance qui fonce pourchassée par des hordes de flics.
Concrètement : les braqueurs traversent la ville en long, en large et en travers pendant une heure et demie sans jamais vraiment savoir où ils doivent aller, tandis que les flics déversent une quantité phénoménale de véhicules à leurs trousses, d’une horde de muscle-cars à une armada d’hélicoptères. La chose en devient absurde tant elle est souvent dé-personnifiée : à part les 2, 3 flics qui servent de têtes de gondoles aux rangs des forces de l’ordre, les voitures policières semblant arriver de manière infinie, sortant toujours de nulle part, s’explosant par moment dans le décor sans que l’on sache vraiment pourquoi.
Dans le même genre, il semble carrément impossible de comprendre le trajet opéré par tout ce bazar tant on passe souvent du coq à l’âne, d’une rue à sous un pont, à sur une autoroute ou quoi, sans se soucier une seconde de la géographie des lieux, de l’organisation des rues et l’agencement des routes.
À vrai dire : Michael Bay s’en fout. Tout ce qui compte, c’est cette sacro-sainte intensité cinétique, cet enchaînement d’images tarées, bardés de carambolages, d’étincelles et de mouvements, où tout bouge dans tous les sens et vous pète à la gueule pourvu que vous vous accrochiez à votre siège.
Un concentré de la méthode Bay, avec les poursuites de The Rock ou Bad Boys 2 dans le rétroviseur tout du long, sans pour autant atteindre leur impact.
Pourquoi ? Ambulance dure 2h15, et sa poursuite boulimique en occupe plus d’une heure et demie facile. En l’absence des dites spatialisations, tout le film reposant sur son simple concept de poursuite effrénée, l’ensemble finit inévitablement par s’épuiser.
Il y a certes la tentative de créer un huis-clos dans le véhicule, les relations se chauffant au fil de la poursuite, le personnage campé par Jake Gyllenhaal révélant petit à petit son caractère hautement toxique, tandis que l’état du flic mal en point à l’arrière se détériore et que la secouriste jouée par Eiza Gonzalez fait tout pour sauver la mise. Au milieu de tout ça, Yahya Abdul-Mateen II laisse son charisme faire le boulot dans le rôle du bandit au grand cœur.
Et les comédiens sont à vrai dire suffisamment bons pour donner de la chair à leurs maigres partitions et les faire exister au milieu de ce chaos organisé.
Mais le tout a quelque chose d’abstrait, avec des rouages scénaristiques parfois absurdes, comme lorsque le chef de la police décide de mettre en pause tout un peloton de bolides de ses hommes parce qu’il y a son chien à l’intérieur !
Et plus généralement, son parti-pris de mise en scène uniquement sensitif, qui occulte complètement l’espace et bombarde inlassablement des flics sur l’ambulance, finit par tout vampiriser, puisque qu’importe la route, qu’importe l’adversaire : le véhicule éponyme du film avance envers et contre tous.
Le concept rappelle évidemment Speed (qui selon certaines rumeurs aurait pu être le premier long-métrage de Bay) et la comparaison est judicieuse : le fameux bus ne devait pas passer en dessous d’une certaine vitesse (et un enjeu, un !), se dégradait au fur et à mesure de la poursuite, ce qui compliquait la tâche (enjeu !), devait prendre en compte ses trajectoires pour respecter son terrible fardeau (enjeu, enjeu, enjeu !), tout ça avec un maniaque au bout du fil qui ne manquait pas de pimenter la tâche. Ici, rien de tout ça : ça conduit n’importe comment tout le temps, le bazar semble indestructible, et finalement, au bout d’un moment, difficile de ne pas sentir une certaine lassitude, tant la durée du schmilblick finit par être antinomique avec son projet d’intensité et une construction trop légère.
Une fatigue qui se ressent aussi sur la réalisation, Michael Bay devant à deux moments faire appel à des effets spéciaux numériques bien baveux pour visiblement remplacer des plans qui manquaient sur le banc de montage, et qui sautent d’autant plus aux yeux qu’Ambulance a cette véritable authenticité d’autan, où tout était fait en dur et sur le plateau.
D’ailleurs, le système Bay se mord la queue un peu comme à chaque fois, tant la surenchère perpétuelle jusque dans le moindre plan d’exposition, où le cinéaste ne manque jamais de caser un avion en arrière-plan et 3 hélicos au second, finit par quelque peu aplatir l’effet woaw sur la durée.
Pourtant, au bout de 2 heures de film, il y a encore de quoi être ébahi en voyant le véhicule star foncer dans les canaux de L.A avec 2 hélicoptères en rase-motte derrière lui, et des échanges de coups de feu entre les deux. Le plan est manifestement tourne en dur, la performance est dingue, mais comme tout est over-the-top, on aurait presque tendance à l’oublier à ce moment là. Bay a toujours été synonyme d’overdose, et ça aussi, ça ne change pas.
Alors si tout ça semble finalement terriblement familier pour les connaisseurs du bonhomme, il faut bien saluer quelques évolutions dans son cinéma. Premièrement, Ambulance semble être le premier film de sa carrière à vouloir respecter la gent féminine tant Ô miracle : il n’y pas UN SEUL plan racoleur de tout le film. On pouvait craindre (ou espérer pour certains) que la plastique d’Eiza Gonzalez soit filmée sous toutes ses coutures et pourtant, pas une image déplacée, pas une réplique grivoise, bien au contraire. Badass et déterminée jusqu’au bout, son personnage est iconisé à fond, et Bay filme à vrai dire les sauveteurs, pompiers et ambulanciers comme les marines par le passé ou des super-héros, mettant ses fameuses contre-plongées et ralentis à leur service pour saluer leur courage, faisant d’Ambulance un vrai film post-Covid de ce point de vue-là.
D’ailleurs, un sauvetage d’une gamine dans une voiture accidentée en début de film s’avère très spectaculaire dans le genre, et assez rafraichissant tant ça semble inédit comme situation dans sa filmographie.
Une démarche quelque peu sabordée via une scène assez surréaliste où des chirurgiens assistent l’héroïne en visioconférence alors qu’ils sont tranquillement en train de se la couler douce sur un terrain de golf, mais que voulez-vous, ils sont riches ces cons !
Aussi Bay raccroche avec l’actualité via une scène d’arrestation où le spectre de la tragédie de George Floyd plane fortement, et le parallèle se fait sans détour, signe que même au milieu d’une grosse machine de divertissement, le réalisateur reste aux aguets avec son époque.
D’un autre côté, il se passe la pommade tout seul en laissant ses personnages citer à plusieurs reprises ses propres films, signe d’une mégalomanie jamais lointaine, et toujours aussi joueuse.
Et aussi paradoxal soit-il dans ses extrêmes, aussi glouton dans sa proposition sur-généreuse et aussi bourratif au final : Michael Bay a le mérite de délivrer au centuple et profite de ne pas être dans une franchise familiale pour donner gentiment dans le gore.
Alors oui, Ambulance repose sur un postulat un peu con-con, semble crier « America Fuck Yeah » à chaque instant et joue comme toujours avec Bay à une surenchère absurde qui finit par effriter petit à petit le sel de son intrigue. Mais cette proposition de cinéma sensitive, où tout est fait avant tout pour vous coller à votre siège tout du long avec un sound design pétaradant et un concours à l’image la plus bourrine qui soit, a le mérite d’être d’une sincérité totale, d’une générosité presque embarrassante, et d’être comme toujours avec Bay un véritable manifeste pour un divertissement bigger-than-life de qualité, qui vous offre un spectacle comme seul le cinéma peut en produire, où tout est fait pour vous décrasser les sens.
Comme toujours, il sera facile de cracher dessus et de tirer sur l’ambulance. (!)
Mais comme toujours, il sera difficile de trouver un autre cinéaste qui le fait avec cette énergie inépuisable, ce savoir-faire unique et qui a le mérite de vous offrir au centuple ce que vous êtes pertinemment venu chercher sur le plus grand écran possible.
Ambulance, de Michael Bay – Sortie en salles le 23 mars 2022