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Cannes, Jour 7 : Sicario, Moutains May Depart,
Les jours se suivent et ne se ressemblent plus tellement à Cannes.
Nous sommes désormais passés dans la phase où ne nous comptons plus les jours écoulés, mais ceux restants avant de quitter ce centre du monde du cinéma. Jusqu’ici, les films sélectionnés en compétition officielle nous avaient majoritairement déçus. Ils étaient censés représenter l’excellence de 1800 films proposés. C’était sans compter sur la participation de Denis Villeneuve et de Jia Zhangke qui avec leurs Sicario et Mountains May Depart se sont révélés des concurrents salutaires et talentueux.
Sicario de Denis Villeneuve
Sortie le 7 octobre 2015
Prisoners, Enemy, le cinéaste Denis Villeneuve ne cesse de démontrer la puissance de sa mise en scène et son cinéma devient toujours plus ambitieux. En 2015, il s’attaque au combat que mènent les États-Unis contre les cartels de la drogue à la frontière avec le Mexique avec en première ligne Emily Blunt, Josh Brolin et Benicio Del Toro. Sicario est le film le plus dopé à l’adrénaline de la compétition.
Pas de tergiversation, Denis Villeneuve ne fait pas de manière et nous lance direct dans le bain avec une intervention du SWAT dans une petite baraque d’une banlieue tranquille d’Arizona pour y déloger par la force des membres d’un gang mexicain. Une intervention qui laissera la place à une macabre découverte qui orientera les autorités vers une structure criminelle plus vaste et organisée. Faisant partie du groupe d’assaut, Emily Blunt se verra proposer d’agir dans l’illégalité avec un groupe de barbouzes du FBI pour démanteler un cartel, car les poursuites en justice ou les emprisonnements n’ont aucun effet sur la situation critique. Que l’on ne se trompe pas. Denis Villeneuve ne laisse aucune ambiguïté sur son propos. Sicario n’est pas un thriller ou un polar sur le monde de la drogue. La première mission de l’autre côté de la frontière poreuse est filmée comme un film de guerre. Les images nous rappellent alors La Chute du faucon noir ou Zero Dark Thirty. Comme eux, Sicario est un film de guerre.
Entre la photographie sublime de Roger Deakins et un casting excellent, le drame sur le piège qui se referme lentement sur le personnage d’Emily Blunt, prise au étau par son devoir d’exemplarité et sa volonté de mener un combat efficace contre les cartels est monumental. La tension extrême qui s’installe au moment des attaques nous étouffe complètement. Villeneuve n’a rien perdu de son talent à créer un suspense haletant dans une ambiance aussi pesante.
Sicario est une nouvelle référence du genre, jouant des coudes avec le Traffic de Steven Soderbergh. Jusqu’au bout, le long-métrage critique la politique menée par les États-Unis contre la drogue. Le gouvernement mène ses hommes dans une guerre sale qui se déroule à leur propre porte. Emily Blunt découvrira que ses coéquipiers incarnés par Del Toro et Brolin sont des vétérans abimés, prêts au moindre sacrifice pour accomplir leur mission. Le message final glaçant du film sera dévastateur sur cette lutte qui ne semble pas avoir de fin, tandis que les innocents continuent de tomber sous les balles.
Sicario est une belle claque, bien qu’un peu hors du commun du reste de la compétition officielle, qui donne à voir du cinéma à la minute et pourrait bien remporter le Prix de la Mise en scène.
Mountains May Depart de Jia Zhangke
Sortie le 9 décembre
En 2013, le réalisateur chinois Jia Zhangke était venu à Cannes présenter son Touch of Sin en compétition officielle. Son film avait laissé la critique divisée et avait gagné le Prix du Meilleur scénario. La réception de Mountains May Depart est, quant à elle, majoritairement positive et le film s’avance comme une très probable Palme d’or.
Divisé en trois parties, son nouveau long-métrage retrace trois périodes de la vie d’un couple avec ses hauts et ses bas, allant de 1995 à 2025 en passant par 2014. Jia Zhangke y travaille déjà tout ce qui englobe les relations amoureuses dans un premier temps puis filiales. Le destin des personnages se joue sur un choix de Tao, une jeune femme pleine d’espoir pour l’avenir et dont le cœur est convoité par ses deux meilleurs amis. S’étirant sur trente ans, la partie mélodrame fonctionne efficacement. Les deux grandes ellipses renforcent encore plus le drame du sort de chacun des protagonistes. Les années ont beau passer, les liens restent forts. Sous un autre aspect, Mountains May Depart raconte l’histoire de la Chine moderne. Cette Chine soit disant communiste, mais qui s’ouvre au monde capitaliste qui l’entoure.
De la rétrocession de Macao aux berlines de luxe, certains chinois s’adaptent très vite aux nouvelles tendances venues de l’étranger. On notera une touche de mélancolie chez Jia Zhangke dans son rapport à son pays. De la même façon que dans 24 City, il regrette l’ancienne Chine travailleuse à celle consumériste qui l’a remplacé. Le réalisateur étendra sa réflexion avec une diaspora qui ne gravite finalement qu’autour de l’empire du milieu. Ceux qui l’auront quitté pour un (possible) meilleur avenir auront comme obsession d’y retourner un jour, sans forcément sauter le pas. Le final de Mountains May Depart forme une boucle avec l’ouverture, comme si l’amour, la vie, le monde continuait de tourner malgré tous les grands drames personnels et les petits tracas du quotidien. De l’émotion en toute simplicité.
Jia Zhangke nous aura livré une touchante leçon de vie et conduit son actrice principale, Zhao Tao, vers un Prix d’interprétation féminine.
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