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Babylon 5 : Comprendre les histoires pour mieux construire le futur

Et si Babylon 5 était tout simplement une des meilleures séries de science-fiction jamais écrite ?

A l’occasion de la diffusion des premières images de Sense8, Arkaron s’est penché sur le travail d’écriture de J. Michael Straczynski, qui co-écrit la série d’Andy et Lana Wachowski que Netflix doit diffuser à partir du 5 juin prochain.

Entre réappropriation de l’histoire du monde et déconstruction de l’histoire du héros de science-fiction, il y a beaucoup à dire sur les 110 épisodes répartis en 5 saisons qui furent diffusés de 1993 à 1998…

« Babylon 5 ?! », me dites-vous, un air pétrifié vous figeant le visage dans l’horreur la plus sombre. « La série avec le type à la coupe de cheveux ridicule et aux effets spéciaux d’un autre âge ? ». Bien, admettons : certains choix esthétiques de la série et la difficulté de ses images de synthèse à traverser les années peuvent rebuter. Plus sérieusement, cependant, qu’est-ce que Babylon 5 pourrait bien offrir de plus intéressant que les autres séries de science-fiction occidentales ?

Pour bien appréhender la question, il est important d’en connaître quelques spécificités. Lorsque Warner Brothers accepte de financer une nouvelle série de SF écrite par le scénariste J. Michael Straczynski, celui-ci leur présente une saga auto-suffisante, dont l’histoire sera toute tracée, du pilote au dernier épisode de la saison 5, avant même que la production ne commence. Ainsi libéré de l’énorme contrainte posée par l’incertitude annuelle du renouvellement, Straczynski en profite pour planifier son histoire de manière millimétrée (il écrit 92 des 110 épisodes lui-même), sans toutefois oublier que le médium télévisuel impliquait un certain lot de risques auxquels il convenait de pallier en intégrant des portes de sortie scénaristiques possibles pour chaque personnage important de la série. Pour réaliser sa vision, la concentration de l’action dans un nombre prédéfini de lieux permet de contrôler le budget (estimé à 500 000 dollars par épisode… soit au moins trois fois plus faible que celui de Star Trek DS9).

Ainsi, la différence majeure que présente Babylon 5 est sa capacité à construire une mythologie cohérente et riche en se transformant progressivement en épopée sérialisée dans laquelle chaque épisode participe à l’évolution des intrigues comme des personnages. Cela signifie que certaines graines plantées en saison 1 trouvent leur écho uniquement en saison 3, voire en saison 5, que les personnages ne sont jamais statiques comme ils peuvent l’être dans les autres séries (qui fonctionnent sur un procédé de répétition de la diégèse afin de maintenir la familiarité de l’univers présenté), et que chaque dialogue est susceptible de porter une signification bien plus ample qu’à la première vision. Reposant sur les procédés de prolepse et d’analepse, la série se révèle ainsi exigeante sur l’instant mais gratifiante sur la durée, qui permet finalement de saisir la portée et la précision de l’écriture globale.

Alors que la franchise Star Trek fonctionne par alternance entre système d’épisodes indépendants et arcs narratifs développés sur une saison (parfois deux), ou que The X-Files finit par plier sous l’incertitude toujours reconduite de sa survie (menant à des non-dits et des incohérences), Babylon 5 se permet de bâtir son épopée dès son pilote et fait de chaque épisode une pièce intégrante du puzzle. Cependant, au-delà de la cohérence interne inégalée que la série offre dans le genre de la SF, la création de Straczynski dépasse de très loin l’exercice d’écriture en construisant ses fondations sur deux piliers inédits en télévision : la réappropriation de l’histoire du monde, et la déconstruction de l’histoire du héros de science-fiction et de son univers.

 

Babylon 5, épopée historique

Sur ses cinq saisons et quelques-uns de ses téléfilms, la franchise Babylon 5 développe un univers régit par les forces géopolitiques et les héros individuels qui l’habitent. Les deux aspects en question participant à l’existence de la dimension épique de l’histoire, la pleine portée de celle-ci ne peut être réellement abordée que si le spectateur garde à l’esprit que les événements présents à l’écran font écho à des faits historiques réels réinterprétés, reformulés pour en souligner le rôle et en comprendre l’impact. Il est extrêmement difficile d’en parler avec précision sans révéler des parties importantes du scénario, c’est pourquoi les détails de ces points scénaristiques seront passés sous silence autant que faire se peut, leur signification n’en étant pas moins compréhensible une fois les parallèles établis (mais certains spoilers persistent, soyez prévenus).

Pour renforcer sa filiation à l’histoire, on notera que la série est présentée, et ce dès la première saison, sous forme de fait révolu, d’une sorte de conte mythique qui nous est récité en images, l’inscrivant directement dans l’Histoire. Babylon 5 est donc une station spatiale bâtie dans l’espoir de créer un lieu d’échange et de paix pour les différentes cultures peuplant la galaxie. Il s’agit de la cinquième station Babylon, les trois premières ayant été victimes de sabotage et la quatrième ayant tout simplement disparu au lendemain de sa mise en service. Les acteurs principaux de ce théâtre interstellaire représentent cinq races : les humains, les Minbari, les Narns, les Centauris et les mystérieux Vorlons. Ce simple postulat permet de rappeler la vraie Babylone bien sûr qui, lorsqu’elle fut gouvernée par le roi Hammurabi, se transforma en scène de confrontations dans l’espoir de rallier les cinq états-ville les plus puissants la composant (Larsa, Eshnunnathe, Qatna, Aleppo et Assur). Ainsi plantée sur un sol historique, aux limites du mythe, la série se divise en cinq saisons, la première faisant office de prologue et la dernière d’épilogue, tandis que les diverses tragédies épiques développées atteignent leur apogée en saison 4.

Motivée par les manipulations de races anciennes, l’intrigue se permet de dépasser les considérations manichéennes pour mieux pervertir le schéma de guerre froide qui s’installe petit à petit, et s’achever sur une confrontation des idéologies primordiales ayant servi de justification aux guerres d’antan. Ainsi, si les races de Babylon 5 sont prisonnières de leur idéologie, elles ne le sont justement pas afin de mieux s’approprier un territoire spatial, mais bien pour conquérir un territoire métaphysique. Si Straczynski fait s’opposer ces êtres anciens et leurs positions arrêtées aux races plus jeunes généralement motivées par leurs seuls besoins immédiats, c’est pour mieux souligner le fait qu’une idéologie respectée sans recul est aussi destructrice que l’absence de tout idéal.

Plongés dans un monde en mouvement constant, les personnages revivent notre histoire : le peuple Drazi se divise à l’instar de l’Irlande du Nord ou du conflit israélo-palestinien ; le mouvement paramilitaire de la Garde de nuit est créé en réaction à une aliénisation croissante de la société et ravive le souvenir de la Gestapo ; une planète est bombardée « jusqu’à revenir à l’âge de pierre » comme le fut le Vietnam ; deux des races majeures entretiennent une relation semblable aux WASP et aux afro-américains autrefois esclaves ; la Bataille de la Ligne si souvent évoquée par les héros se révèle vite ressembler à une bataille de Dunkerque élevée au niveau cosmique ; l’empereur fou Cartagia fait écho au romain Caligula ; la République Centauri n’est autre qu’un Empire Romain en décadence, et les exemples se multiplient encore et encore au fur et à mesure que les saisons défilent.

La présence de tels parallèles ne suffit pas néanmoins, à justifier le discours de Straczynski, qui se doit de poursuivre en adaptant l’issue ou les circonstances de tels événements pour en extraire une prise de position critique. De ce fait, si les dissensions internes peuvent paraitre logiques aux combattants, elles n’ont aucun sens pour les étrangers, qui ne perçoivent pas la finalité des combats ; l’existence de mouvements violents et réactionnaires se retourne d’une certaine façon contre ses instigateurs en les entraînant dans une spirale incontrôlable ; le bombardement orbital de la victoire est obtenu au prix immense de l’âme du politicien ; l’issue de la bataille de Dunkerque est relue en tant que victoire miracle suite à la compréhension soudaine de l’unité des peuples, et ainsi de suite.

Orientant son histoire vers un angle globalement positif, Straczynski réécrit l’Histoire pour mieux effacer la binarité apparente du monde et en révéler la complexité intrinsèque, ne laissant ainsi jamais au spectateur l’occasion de prédire avec certitude l’issue de tel ou tel arc scénaristique, le prenant également par surprise aux moments les plus inattendus. Cependant, si l’optimisme est important, la difficulté des épreuves à surmonter pour parvenir à la victoire ou à des semi-victoires force toujours les héros à envisager une alternative, une troisième solution.

Au final, l’auteur de la série construit une épopée dont il n’est pas toujours évident d’appréhender la portée sans repérer sa réorganisation historique. Celle-ci permet de remettre en question la responsabilité de chacun à forger l’histoire et à appréhender les conséquences qu’ont chacune de nos décisions. Par conséquent, les personnages essayant de remodeler l’histoire à leurs propres fins ne récoltent que vents et tempêtes : le passé doit absolument être mis à jour à travers le prisme de la vérité absolue, elle-même mise à mal par la tendance qu’ont les médias à dramatiser les faits et les universitaires à se faire conteurs plutôt qu’observateurs, réduisant ainsi les actions d’une somme d’individus à des flux socio-politiques abstraits. Cette recherche de la vérité est présentée comme unique solution à la compréhension du passé et à la construction du futur.

Cet exercice présente cependant un point de divergence important comparé au corpus de SF télévisuelle américaine, fondé presque intégralement sur le mythe inébranlable de la destinée manifeste (« Manifest Destiny », en anglais) et de la Frontière. Or Babylon 5 désamorce ces poncifs pour proposer un système diamétralement opposé, qui ne fait pas du peuple américano-humain les élus d’un destin divinement tracé, mais qui rend, dans une idéologie humaniste rarement égalée dans un tel cadre, la capacité aux êtres vivants à manifester l’univers au travers de leurs actions. Le personnage de Delenn l’exprime par ailleurs en début de saison 2 : « We are the universe, made manifest ».

 

Babylon 5, épopée (science-)fictionnelle

Ainsi, loin de s’arrêter à l’Histoire historique, Straczynski articule également son récit en déconstruction des mécanismes narratifs employés dans les sagas de SF et de fantasy. Encore une fois, il s’agit d’un terrain à spoiler très glissant, mais susceptible de rendre le visionnage de la série encore plus fascinant.

C’est avec le concept même de sa série que l’auteur commence à s’éloigner des structures usuelles du genre du space opéra à la télévision. En effet, alors que la vaste majorité de ses prédécesseurs repose sur une avancée linéaire (l’exploration pour Star Trek, le retour vers la Terre pour Battlestar Galactica, la dérive spatiale dans Space: 1999, etc.), Babylon 5 recentre l’intrigue sur un lieu physique précis, qui n’est pourtant jamais spécifiquement localisé, comme si, contrairement aux feuilletons précités, l’inconnu et le futur ne se trouvaient pas dans le mouvement avant, mais seraient déjà présents au sein de l’univers lui-même. Cette idée se vérifie lorsque Straczynski évacue la notion de prédestination et impose le libre arbitre comme moteur principal des modifications apportées à un futur à la fois déjà présent, mais pas encore accompli, lors d’arcs scénaristiques jouant sur le voyage temporel.

En outre, Babylon 5 se distingue notamment de ses séries cousines (Space Island One, Mercy Point, Deep Space Nine) ou plus lointaines, car elle cultive de manière récurrente, et grâce aux mécanismes propres à la SF (sauts temporels, races extra-terrestres) et à l’art narratif (parcours campbellien), l’aliénation cognitive théorisée par Darko Suvin, en mettant ses personnages face à des idées qui leur sont nouvelles ou parfois incompréhensibles, les forçant à réévaluer leur système de valeurs.

Par exemple, John Sheridan, le protagoniste des saisons 2 à 5, est traité comme le héros monomythique par excellence, tandis que son prédécesseur Jeffrey Sinclair (dans la saison 1 donc) servira de socle à la dimension mythologique de la série dans une idée scénaristique brillante. Tout cela est renforcé par les nombreux appels intertextuels employés dans les scénarii. Immanquable et fonctionnant en clé de voûte de l’évolution du héros, sa phase de mort/résurrection a lieu sur la planète primordiale Z’Ha’Dum… en référence directe à la mort de Gandalf le Gris dans la ville minière de Khazadum. La différence majeure, cependant, réside dans l’issue de la résurrection, qui garantit l’immortalité et la puissance retrouvées à Gandalf, tandis que Sheridan gagne un sursis qu’il doit employer pour forger son immortalité dans le mythe au prix d’efforts et de sacrifices considérables.

Parallèlement, les antagonistes principaux, les Ombres, sont utilisés de manière à rappeler les guides omniscients de l’Odyssée de l’espace, à ceci près que leur direction est ici présentée comme étant une méprise, une interprétation erronée du concept d’évolution, probablement née d’une autarcie idéologique millénaire et qui rappelle que le futur ne se construit pas selon la seule sagesse de ceux qui nous précèdent.

De nombreux éléments abordés viennent étoffer l’appartenance de la franchise à un genre métatextuel réévaluant constamment la force et l’utilisation des mécanismes courants de la SF. Ainsi, les télépathes, représentants de l’évolution humain dans d’autres œuvres, sont ici réduits au statut d’armes créées de toute pièce pour satisfaire des guerriers qui n’existent plus, reléguant les hommes les plus puissants au rang de brebis égarées qui doivent, de par leur différence, redoubler d’efforts pour se construire un futur. Plus tard, le mot « asimov » est substantivé pour évoquer un blocage psychique que les hommes retournent contre eux-mêmes, refusant ainsi à l’un des personnages d’opérer sa catharsis et le forçant à rechercher une alternative, à rejeter un système de pensée bilatéral.

Tous les stéréotypes y passent, chacun étant ravivé pour servir un but précis plutôt que pour nourrir un simple besoin de MacGuffin par épisode : l’intelligence artificielle abordée comme fin en soi conduit à une impasse technologique ou évolutive, le voyage dans le temps permet de mettre les personnages face à leurs choix et à bâtir une mythologie puissante, la résurrection renforce l’idée que rien n’est acquis d’avance, tandis que la guerre cosmique propre aux space opéras est transformée en opposition épique de différents systèmes de pensée.

D’une certaine façon, en transformant le format épisodique de Star Trek en saga continuelle, Babylon 5 se propose de mettre en images l’accouchement douloureux de ce futur parfait qui nous est présenté de facto dans sa série aînée. Autrefois considéré comme un acquis, le futur selon J.M. Straczynski est une bataille de plus, la plus importante d’entre elles : celle qui déterminera si notre passé nous permet de faire les choix qui nous conduiront vers l’avenir que l’on se dessine dans nos fantasmes, ou si notre ignorance mènera aux visions apocalyptiques que nous cultivons depuis notre éveil. Sur le chemin, il propose des pistes, des idées qui défient notre confiance en certains acquis aux niveaux substantiel (l’histoire institutionnelle, la vertu de la politique ou du capitalisme, la résolution manichéenne ou les deux ex-machina) et formel (la réorganisation des climax au niveau global des cinq saisons).

Non, Babylon 5 n’est pas dénuée de fautes : sa réalisation un peu raide l’empêche d’atteindre le dynamisme attendu, ses effets visuels accusent du temps qui passe, certains détails laissent perplexe et sa première saison est somme toute peu engageante, mettant tranquillement en place les éléments de l’épopée à venir. Néanmoins, comme mentionné plus haut, la série sait récompenser le spectateur sur le long terme, lui offrant des arcs scénaristiques tout simplement inégalés à ce jour dans leur complexité et leur précision, tout en n’oubliant pas qu’il s’agit après tout d’un space opéra et que les affrontements cosmiques en sont l’étendard indémodable.

Si vous aimez le genre et cherchez de quoi combler vos soirées, regardez Babylon 5 et laissez-vous emporter dans un tourbillon de conflits galactiques féroces, aux machinations géopolitiques troublées par les ambitions et les peurs d’individus écrivant l’histoire par leurs mots et par leurs actions. Ou tout simplement, regardez Babylon 5 parce qu’il s’agit de ce qui se fait de mieux en termes d’écriture de science-fiction télévisuelle.

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2 Comments

  • Trackback: CloneWeb » L’Emission : Sense 8, Les Minions
  • par Mansour Tour
    Posté lundi 13 janvier 2020 13 h 41 min 0Likes

    Je viens de tomber sur cette perle d’analyse ! En effet je suis un fan inconditionnel de B5. Cela passait sur canal + et je regardais ca avec mes copains au sénégal. Je n’ai toujours pas compris pourquoi il n’a pas eu autant de succès comme star trek ou ballestar mais le scénario, les intrigues, les personnages sont à coup sùr bien meilleurs. Et tout le suspense autour des ombres est juste rondement mené de meme que le pystere qui entoure les vorlons. Mon personnage préféré est Londo Molari même si j’ai un faible pour G’kar et Garibaldi. Tous en faite ! J’ai aimé tout le parcours de G’kar de l’etre detestable au début jusqu’à l’humaniste qu’il est devenu par la suite. J’ai aimé Londo, son humour, son cynisme et ses moments de solitudes et de détresses. J’ai aimé Garibaldi, sa personnalité. Le docteur franklin aussi était attachant. Bref une excellente série qui mérite vraiment un reboot ou en tout cas une seconde chance. Merci à l’auteur de l’article, il a vraiment su décrire la serie

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