19Vues 0commentaires

Angoulême 2024, c’était comment ?
Eeeet c’est reparti, voici le traditionnel papier de CloneWeb sur le festival international de la bande dessinée d’Angoulême !
Quoi ? Comment ? mais pourquoi parler du festival d’Angoulême quinze jours après sa clôture ?! me direz-vous. Eh bien pour plusieurs raisons : d’abord, sur CloneWeb, on n’aime pas faire comme tout le monde, vous le savez bien, on est les petits rebelles de la pop culture et des Internets.
Deuxième raison, parce que, depuis le début de ces compte-rendu, l’idée, c’est de vous donner envie d’y aller l’année d’après. Comme la ville est prise d’assaut par des habitués, ce n’est pas une expédition qui se monte à la dernière minute donc on s’organise quelques mois à l’avance (à l’automne en général). Les articles de CloneWeb sont donc là pour vous incepter.
Et troisième raison, c’est parce qu’en dehors du festival, certaines expositions peuvent voyager et venir dans votre ville tôt ou tard et puis, pour tout amateur de 9e art, le musée de la bd se visite toute l’année à Angoulême et en cette période de vacances scolaires, si vous passez par la Charente, pourquoi ne pas y faire un tour ?
ANGOULEME 2024, C’ÉTAIT COMMENT ?
Eh bien, sans tenir compte des barrages agricoles sur la route qui ont un peu allongé le temps de trajet, c’était une édition très apaisante.
Apaisante parce qu’il n’y avait pas trop de monde, parce qu’il faisait beau (rarissime pendant le festival), parce qu’il n’y a pas eu de scandale (on trouve toujours une polémique par-ci, par-là… mais bon) et parce que les expositions proposées sont toujours aussi qualitatives. Et ça, ça motive à revenir année après année.
Alors, entendons-nous bien, je vous donne une précision (et un conseil) : pour passer un festival apaisé, on ne perd pas son temps à faire des dédicaces. Eh oui, ça peut sembler paradoxal mais les dédicaces à Angoulême (surtout chez les gros éditeurs), c’est l’endroit qui génère le plus de nervosité et de tensions.
Mon conseil : si vous le pouvez, privilégiez le jeudi ou le vendredi pour faire des dédicaces et profitez du reste du festival le samedi et le dimanche. Ou bien saisissez les opportunités lorsqu’elles se présentent : un ou une artiste disponible, une file d’attente réduite, une dédicace dans un autre lieu que les « bulles » du festival… tout est affaire de chance ou d’organisation mais inutile de gaspiller son temps quand il y a plein de choses à voir ! Attention, je précise tout de suite les choses : je ne blâme pas les fans qui veulent une dédicace, personnellement, j’ai mis une dizaine d’années à me rendre compte que l’essence du festival ne consistait pas à faire la queue pendant des heures. Si vous voulez tenter votre chance, sachez néanmoins que les dédicaces sont très codifiées : de plus en plus, il faut acheter un album sur place pour obtenir un jeton-dédicace ou un des tickets limités pour les auteurs les plus demandés. Ceci est valable chez les gros éditeurs, chez les éditeurs indépendants, il y a plus de place pour la spontanéité mais cela demande quand même de l’organisation.
Bref, si vous arrivez à remporter ce challenge, vous verrez que le festival regorge de pépites. Et cette année, une fois de plus, les expositions valaient largement le déplacement. Je ne vais pas faire une description exhaustive de tout ce qu’il y avait à voir mais simplement vous titiller le cerveau avec des impressions glanées çà et là dans la ville.
CLASSIQUE EN MOUVEMENT
On commence par le musée d’histoire où se trouvaient l’exposition consacrée à Lorenzo Mattoti sur la course et celle consacrée à l’œuvre entière de Motto Hagio, une grande figure du manga.
L’exposition de Mattoti présentait un grand nombre de dessins, tous sur le même thème : courir. Si de prime abord, cela pouvait sembler répétitif, les centres d’intérêt étaient multiples : diversité des techniques : fusain, pastels, craies grasses, encre… Mattoti montre sa maîtrise des outils et des supports car les dimensions des dessins pouvaient varier d’une feuille A5 à une affiche 40x50cm ; diversité des couleurs : noirs profonds, couleurs vives, ocres… là encore, l’artiste crée des ambiances, nous fait ressentir la chaleur, le froid, la nature, les moments de la journée par sa maîtrise de la lumière et de la couleur ; le dernier point d’intérêt (et à mon sens, le plus intéressant) était le sens du détail anatomique. Mattoti n’a pas un dessin réaliste, au contraire, il est très stylisé, épuré. Ici, il met son épure au service du détail et arrive à retranscrire, grâce à la position des corps, des têtes, toutes les émotions générées par la course : l’effort, la fatigue, la victoire, la rage de vaincre, l’évasion… C’était hallucinant de regarder ces dessins et de sentir ce que les personnages pouvaient vivre, juste par leur positionnement. On ne parle plus de maîtrise mais de maestria.
Pour Moto Hagio, plongée dans le temps : on remonte dans les années 60 et 70 pour assister à l’émergence du shôjô manga, le manga « pour filles ». Inspirée par Tezuka, Moto Hagio fait partie de celles qui ont posé les bases d’une esthétique, d’un genre et au-delà des clichés, l’exposition montrait avec intelligence ce que le shôjô a apporté en termes de narration dans le manga : davantage de monologues intérieurs, des héros qui hésitent, qui doutent, des relations plus complexes entre les personnages et un questionnement sur les obligations de la société japonaise et sur ses stéréotypes. On retrouvait avec plaisir des personnages vibrants d’émotion, des planches raffinées et on voyait comment les œuvres de l’artiste reflétaient les étapes de sa vie personnelle (ses relations avec ses parents notamment). Nostalgique et pédagogique.
Toujours dans les classiques du manga, à l’espace Franquin, il y avait l’ébouriffante exposition consacrée à L’habitant de l’infini de Samura Hiroaki. Une scénographie sobre et sombre nous plongeait dans l’ambiance violente de cette série de chambara (histoire de sabre) mettant en scène un anti-héros désabusé immortel qui découpe tous ceux qui s’opposent à lui avec son katana virevoltant. Samura dessine tout au crayon, sans encrage, et les originaux présentés, au-delà de son style graphique que l’on aime ou pas, montraient sa maîtrise de l’outil dans la réalisation des textures (peau, vêtements, bois, métal…). Mais plus que le graphisme, le plus impressionnant était la retranscription du mouvement, que cela soit dans les cases elles-mêmes ou dans le découpage (héhé) des planches : des scènes de duels, des scènes de poursuite, des scènes de combat… le mouvement est retranscrit avec virtuosité par des « arrêts sur image » parfaitement choisis et des angles de vues qui renforcent la vitesse ou la dextérité des personnages. Impressionnant.
NB : les expos Mattoti et Hagio restent visibles jusqu’au mois de mars 2024.
EGO ET HUMILITÉ
Pour la suite des expositions, direction le Vaisseau Moebius, au bas de la ville. Là, opportunément (ou pas) on trouvait deux expositions assez opposées : à ma gauche, Riad Sattouf, et à ma droite, Thierry Smolderen.
Pour une exposition consacrée à un Grand prix du festival, celle consacrée à Riad Sattouf était décevante. Seulement centrée sur sa série L’arabe du futur, elle n’offrait quasiment aucun original (Sattouf dessine sur tablette graphique) et pour les lecteurs, aucune nouveauté en dehors de recréer un décor « comme si on était dans la case de bd ». C’est bien dommage car les expositions consacrées aux grands prix sont l’occasion de retracer une carrière : aucune mention de Pipit Farlouze (titre épuisé chez l’éditeur Sarbacane qu’on aurait justement aimé revoir), aucune mention des Désastreuses aventures de Jérémie, ni de Pascal Brutal, ni même des Cahiers d’Esther… étrange choix qui n’encourage pas la curiosité et conforte les fans dans leur fanatisme pendant 10 minutes de visite et qui conforte l’auteur dans son statut de star de l’édition actuelle sans montrer les erreurs, les étapes pour y arriver.
À l’étage du vaisseau, en revanche, une expo qui prend du temps, une exposition à lire et à décortiquer, celle consacrée au travail du scénariste Thierry Smolderen qui démontre ici son amour du médium et son exploration de ses limites narratives en s’inspirant des grands maîtres classiques et en cherchant à apporter des innovations. C’est dense, varié et en plus de la qualité des ouvrages expliqués, on sent l’humilité de l’auteur qui est sans cesse en train de remettre en question sa façon d’écrire un scénario, que cela soit sur les thématiques abordées ou sur la narration. Une vraie leçon.
Ces expositions seront visibles jusqu’au mois de mai 2024.
JEUNESSE ET PATRIMOINE
Pour terminer, direction le musée de la bd, avec deux expositions formidables qui savent faire communier plaisir, réflexion et pédagogie.
L’une était consacrée à la fantastique série jeunesse, les Bergères guerrières, chez Glénat. Une scénographie immersive, une présentation des personnages claire, on entre tout de suite dans le bain, en route vers l’aventure. Que l’on soit lecteur ou novice, on suit les coulisses de la création de la série : crayonnés, originaux, sources d’inspiration… tout est bien expliqué, présenté et dans chaque salle, on trouve un petit jeu de piste pour les enfants (et les adultes). On alterne les supports : dessins, textes, vidéos, audios ; on encourage les visiteurs à dessiner ; on peut revêtir la cape des bergères et on repart avec un diplôme ! Un vrai exemple de scénographie à suivre et j’encourage toutes les médiathèques de France à faire venir cette exposition chez elles.
L’autre exposition pouvait sembler un peu « facile » prenant pour thème la nourriture dans la bande-dessinée… Mouais, un peu fourre-tout, non ? C’était sans compter sur l’incroyable fond de collection du musée ! Ce thème, judicieusement choisi est l’occasion de présenter des originaux des légendes du 9e art : Franquin, Uderzo, Morris… rien que pour ces trois-là, l’exposition vaut le coup d’œil ! Là aussi, une scénographie très bien pensée, allant du plus général au plus particulier, du plus populaire au plus alternatif mais tous reliés par ce thème universel. Et l’exposition va plus loin, en proposant d’imaginer la nourriture et les habitudes alimentaires du futur en faisant dialoguer auteurs de bd et spécialistes de l’alimentation (c’est du concret, pas de la science-fiction !). Un très bon moment de lecture qui satisfera le plus grand nombre.
Cette exposition est visible jusqu’au mois de novembre 2024.
BILAN
Il y a encore plein de choses à dire sur le festival : des expos sur le journal de Tintin, sur Nine Antico, sur les éditions de la Cerise (20 ans déjà !), la fréquentation, le beau temps qu’il y a eu cette année, le palmarès, etc. mais comme je vous l’ai dit au début, l’idée, c’est de vous donner envie d’aller faire un tour dans cette ville, soit maintenant, au calme, soit l’année prochaine, pendant l’effervescence de janvier.
Quoiqu’il en soit, il y a toujours quelque chose à voir (à lire !) à Angoulême.
Guillaume